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Billet de blog 11 janvier 2011

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«Il est encore temps pour la communauté internationale de tenir ses promesses envers Haïti »

Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7,3 a terrassé Haïti faisant plus de 250 000 morts, environ 300 000 blessés et 1,3 million de sans-abri. Un an après, le plus pauvre pays d'Amérique latine ne parvient toujours pas à se relever. Le paysage de destruction, sur le bord des routes, n'a pas changé. Selon l'ONG britannique Oxfam, à peine 5% des décombres ont été retirés.

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Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7,3 a terrassé Haïti faisant plus de 250 000 morts, environ 300 000 blessés et 1,3 million de sans-abri. Un an après, le plus pauvre pays d'Amérique latine ne parvient toujours pas à se relever. Le paysage de destruction, sur le bord des routes, n'a pas changé. Selon l'ONG britannique Oxfam, à peine 5% des décombres ont été retirés. Pierre Salignon, directeur général de Médecins du monde, l'une des principales ONG à agir sur place revient d'Haïti, il dresse un bilan de la situation pour Mediapart.

Quelle est la situation aujourd'hui en Haïti, un an après le séisme ?

C'est un bien triste anniversaire. Depuis le 12 janvier 2010, les Haïtiens survivent essentiellement grâce à l'aide internationale, aux ONG et aux agences des Nations unies. La population est dans une situation d'extrême fragilité. On parle de 1,3 de personnes sinistrées, mais la réalité est beaucoup plus grave. Même dans ce qui est considéré comme « construit », les Haïtiens vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Le séisme n'est pas venu frapper n'importe quelle ville. Même si ce n'est pas politiquement correct de le dire, Port-au-Prince avait déjà, avant la catastrophe, les traits d'un immense bidonville.

Où en est l'épidémie du choléra ?

Il faut être très prudent dans l'évaluation de la situation. Depuis fin octobre, on compte au moins 157 000 cas, 3500 morts et quelque 80 000 hospitalisations. C'est d'autant plus rageant que la maladie avait disparu depuis des dizaines d'années d'Haïti. Le scénario du pire, une flambée des cas dans les camps de réfugiés, n'a heureusement pas eu lieu, mais l'épidémie est loin d'être éradiquée. On se bat contre l'absence d'hygiène, le manque d'information, l'illettrisme, et la difficulté d'accès aux hôpitaux dans les zones rurales. Le plan de bataille de Médecins du monde est étendu aux prochains six mois.

Le séisme puis le choléra n'a fait qu'empirer l'injustice qui existait déjà sur le terrain sanitaire. Entre des hôpitaux surchargés et des cliniques privées au coût inaccessible, la moitié de la population n'avait pas accès aux soins. La présence des ONG médicales a permis d'améliorer la situation.

Ce travail se fait en collaboration avec les autorités sanitaires ?

Oui, même si c'est compliqué. Il y a une grande ambiguïté dans le discours de l'Etat : d'un côté, on nous demande de ne pas partir, de l'autre, on critique la concurrence entre les services des ONG et les services de l'Etat.

Le ministère de la Santé haïtien a établi un plan intérimaire de reconstruction, mais cela avance trop lentement. Dans le cas du choléra, ce sont principalement les ONG qui ont dû gérer l'urgence. A chaque nouvelle initiative, nous essayons d'intégrer les autorités dans la réflexion et d'imaginer comment sur le long terme les activités pourront être reprises par l'Etat haïtien. Mais ce n'est pas facile : l'Etat manque de planification et de moyens.

Financiers ou humains ?

Les deux ! L'Etat attend toujours les dons promis par la communauté internationale. En ce qui concerne les ressources humaines, elles ont toujours manqué, mais la situation empire. Beaucoup de personnes qualifiées quittent le pays. On a même du mal à embaucher des infirmiers pour nos équipes.

Justement, qu'en est-il des promesses de dons ?

La réalité de ce qui est arrivé est difficile à évaluer. En gros, on peut dire que près de 3 milliards de dollars, en majorité d'origine privée, ont permis de financer des opérations humanitaires massives qui se poursuivent aujourd'hui. Les grandes ONG traditionnelles sont sur le terrain, tout comme de nombreuses églises américaines, ce qui bouscule un peu la donne en introduisant une donne religieuse compliquée, accompagnée, parfois d'une culture de la résignation. Il y a aussi les médecins cubains, qui font un bon travail et font tourner beaucoup de structures.

En revanche, les Etats restent bien loin du compte. Sur les 10 milliards de dollars promis en mars 2010 lors de la conférence de New York par les bailleurs internationaux, seules quelques centaines de millions ont été décaissées. Beaucoup de pays, dont la France, entretiennent un décalage entre le discours et les actes.

Pensez-vous que la crise économique internationale explique ce retard ?

Elle joue évidemment un rôle. J'étais en juillet dernier à New York pour une réunion sur le sujet. Et Bill Clinton, qui était présent, a tout de suite évoqué les difficultés provoquées par la crise économique par rapport au Sénat américain. De façon générale, dans tous les pays riches, lorsqu'on coupe les budgets sociaux nationaux, on en fait de même sur l'aide au développement. Seule l'aide d'urgence est épargnée, car en termes d'image, cela rapporte plus.

L'autre argument des bailleurs de fonds, c'est de dire que la fragilité de l'Etat haïtien rend impossible tout programme de reconstruction, et qu'il n'y aurait aucune structure pour gérer cet argent. C'est un cercle vicieux : sans l'aide de la communauté internationale, l'Etat haïtien ne peut pas se relever. Avec la situation politique actuelle, dans l'attente de l'élection, contestée, d'un président, c'est pire encore.

Quelle est l'action de Médecins du monde sur place ?

Nous collaborons avec la population haïtienne depuis plus de 20 ans. Avant le séisme, nous avions 85 membres de Médecins du monde dont plus de 80% de personnel haïtien. Depuis, notre présence a énormément augmenté : nous comptons sur place 1 268 membres de Méde­cins du monde dont 95% de Haïtiens. L'équipe a été fortement renforcée depuis l'épidémie du choléra. Cette action a été financée par l'élan de solidarité provoqué par la tragédie l'année dernière. Au total, le réseau international de Médecins du monde a reçu 18,8 millions d'euros, dont 10,4 millions d'euros d'origine privée (particuliers, fondations privées...) et 8,4 millions de subventions publiques. En moyenne, environ 9.250 consultations médicales réalisées (incluant la vaccination) chaque semaine, dont 20% pour les enfants

Les ONG peuvent-elles aider seules à la reconstruction ?

Les ONG ont un rôle fondamental dans la réponse à l'urgence, elles ont permis de sauver des vies, même si leur travail provoque des critiques, parfois à raison. Il y a des gens plein de bonne volonté mais peu efficaces, et on peut déplorer l'absence d'une vraie coordination. Mais le problème de fond, c'est que les ONG sont submergées par une tâche qui se situe au-delà de leurs réelles responsabilités et capacités en matière de reconstruction et de lutte contre la pauvreté. C'est aux Etats de s'impliquer, et de cesser d'envisager l'assistance à Haïti qu'au travers des programmes d'urgence. Il est encore temps de tenir ces promesses, même si je ne vous cache pas que sur le terrain, le pessimisme gagne. En continuant à n'apporter que des réponses ponctuelles, la communauté internationale est en train de perdre l'opportunité de sortir Haïti de la pauvreté. Dans ce cas, le séisme du 12 janvier n'aura été qu'une tragédie de plus dans l'histoire du pays.

La photo, de Lahcen Abib, a été prise à Port-au-Prince le 7 décembre 2010. Un crieur de Médecins du monde arpente les allées d'un bidonville du quartier de la vallée Bourdon pour les informer de leur présence.