Depuis l’attribution, par l’agence de notation « Standard & Poor’s », du statut de « degré d’investissement » au Brésil, les fonds de pension du monde entier savent qu’ils sont en sécurité dans le grand pays latino-americain. Ils ont bien de la chance : dans le Para, un des principaux états amazoniens du Brésil, des dizaines de militants ne bénéficient pas de la moindre sécurité, ni pour marcher dans la rue, ni pour assister à des réunions, ni même pour dormir dans leur lit.
Les autorités de l’état du Para ont dénombré l’année dernière plus de 100 personnes menacées de mort, cibles de « contrats » financés par des grands propriétaires terriens. Ces derniers sont prêts à tout pour faire taire ces syndicalistes, petits agriculteurs, militants de l’écologie ou même religieux, qui les empêchent de s’installer à leur guise sur des terres qu’ils s’approprient souvent en toute illégalité, en dévastant un peu plus l’Amazonie.
La situation de cette centaine de militants en sursis (ils sont en fait probablement plus nombreux) a connu une sérieuse dégradation la semaine dernière, avec la décision d’un tribunal de l’état du Para de relaxer le principal suspect commanditaire de la mort de la religieuse Dorothy Stang. Américaine naturalisée brésilienne, soeur Dorothy a été tuée à l’âge de 73 ans, de six balles, sur un petit chemin, le 12 févier 2005. Elle avait été menacée à maintes reprises par les grands propriétaires terriens.
En général, ces crimes ne sont jamais punis. La Commission pastorale de la terre, liée à l’Eglise catholique, calcule que depuis 1971, quelque 819 personnes ont été assassinées pour leur implication dans des conflits sur la terre. Aucun commanditaire ne purge aujourd’hui de peine pour leur mort. L’assassinat de Soeur Dorothée, avait toutefois pris une dimension internationale (elle était Américaine, et religieuse), contraignant les autorités policières et judiciaires locales à rechercher ses responsables.
En mai 2007, le propriétaire terrien Vitalmiro Bastos Moura avait été condamné à trente ans de prison pour avoir payé le contrat sur sa tête. Le pistolero, Rayfran das Neves, auteur des coups de feu, avait lui écoppé de 28 ans de prison. Ils ont fait appel. La semaine dernière, la justice du Para a tout bonnement délivré un non-lieu au propriétaire : l’exception «Dorothy Stang » n’aura finalement pas lieu.
Comme toujours, lorsqu’un cas de ce type est jugé par un tribunal local (au lieu des autorités judiciaires fédérales, comme cela aurait du être le cas, puisque la dispute concernait des terres de l’Etat, et puisqu’il s’agissait d’une atteinte aux droits de l’homme), le même mécanisme se met en place. Le puissant local se débarasse des gêneurs, en le faisant savoir à l’avance, puis échappe à la justice, d’abord parce qu’il n’y a pas d’enquête.
Si c’est pourtant le cas, il s’en tire soit parce qu’il est de mèche avec les magistrats (eux-mêmes grands propriétaires, ils sont peu susceptibles de sympathie pour les agitateurs des droits de l’homme) soit, en achetant et/ou menaçant les membres du jury populaire. Il le fait avec d’autant plus de facilité qu’il est le maître, dans des régions hors–la-loi où l’Etat est totalement absent.
A Anapu, la petite localité amazonienne où Soeur Dorothée a été assassinée, la présence publique est inexistante en terme de santé, transport, sécurité, ou infrastructures. La population est ainsi otage du seigneur local. Le président Lula ne s’est pas trompé en se disant « indigné en tant que Brésilien, en tant que citoyen commun », estimant que cette décision tacherait l’image du Brésil. Les bonnes âmes se sont aussitôt indignées du manque du respect du chef d’Etat pour la division des pouvoirs, voyant même dans ses attaques répétées contre l’institution judiciaire un signe d’autoritarisme.
Les Brésiliens sont formidables pour célébrer la « démocratie formelle », se moquant qu’elle viole les droits des plus faibles tous les jours. Mais Lula a raison, d’abord sur le fonds : car ces dernières semaines, les décisions judiciaires ne se sont pas bornées à être discutables au niveau local, mais aussi au niveau fédéral. Sur décision de la Cour Suprême, les droits des Indiens ont été bafoués sur une réserve indigène. Le tribunal électoral a ordonné la suspension de programmes sociaux qui bénéficiaient à des millions de Brésiliens.
En termes d’image ensuite, le président n’a pas tort de craindre les répercussions négatives. Le Brésil prétend devenir le grenier du monde, et fournir les voitures en mal d’essence d’éthanol, dans le monde entier. Ce serait un scandale que cette montée en puissance se fasse aux dépens de vies humaines, et de dizaines de milliers d’arbres abattus en Amazonie, comme cela semble être le cas. Lula a raison, mais comme souvent, il n’est pas cohérent. Au lieu de critiquer les plus hautes instances judiciaires du pays, il aurait pu éviter d’y nommer des magistrats très conservateurs comme il l’a fait à plusieurs reprises. Ce ne serait pas de l’autoritarisme, c’est sa prérogative, selon la Constitution.