Lamia Oualalou (avatar)

Lamia Oualalou

Journaliste

Pigiste Mediapart

250 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 octobre 2010

Lamia Oualalou (avatar)

Lamia Oualalou

Journaliste

Pigiste Mediapart

La désastreuse entrée de la religion dans la campagne brésilienne

 Le Brésil est devenu l'année dernière la huitième puissance mondiale. Il devrait d'ici un an déloger l'Italie de son septième rang. On applaudit, mais sans oublier : le Brésil reste encore un des douze pays les plus inégalitaires au monde. Près de 50 millions de personnes n'ont pas accès à un système d'égout ou d'eau potable.

Lamia Oualalou (avatar)

Lamia Oualalou

Journaliste

Pigiste Mediapart

Le Brésil est devenu l'année dernière la huitième puissance mondiale. Il devrait d'ici un an déloger l'Italie de son septième rang. On applaudit, mais sans oublier : le Brésil reste encore un des douze pays les plus inégalitaires au monde. Près de 50 millions de personnes n'ont pas accès à un système d'égout ou d'eau potable.

Le travail informel occupe toujours un Brésilien sur deux. L'éducation publique reste catastrophique, la sécurité, très précaire dans les grandes périphéries, et l'accès à la santé inégalitaire. Et pendant ce temps que font les deux candidats du second tour ? Ils se disputent sur l'importance de Dieu, de la famille et de l'avortement...

Le thème est entré de manière insidieuse dans la campagne, avant tout pour déstabiliser Dilma Rousseff, la dauphine de Lula. Dès le mois de juin, des évêques très conservateurs ont ouvertement appelé à voter « contre » elle et sa formation politique, le Parti des Travailleurs (PT). Motif : Dilma a déclaré en 2007 être en faveur de la légalisation de l'avortement, tout comme la majorité des députés du PT.

Au Brésil, l'interruption volontaire de grossesse est interdite sauf dans deux cas : lorsque la femme a été violée, ou lorsque sa vie est mise en danger par la gestation. Les plus radicaux des évangélistes ont également concentré leurs attaques contre la candidate. Dans le Parana, un Etat du sud du Brésil, un pasteur a montré à ses fidèles des images de fœtus morts ainsi que des enfants soi-disant enterrés vivants par des Indiens. Ces actes étaient directement liés à Dilma Rousseff dans son discours. La vidéo du culte a été vue plus de trois millions de fois sur internet. Une rumeur circulant sur la toile faisait également dire à Dilma Rousseff que « même le Christ ne pourrait lui enlever cette victoire ».

L'effet, dans certaines banlieues où les évangélistes sont très forts, a été radical. La première à capitaliser là-dessus a été Marina Silva, la candidate des Verts, membre de l'Assemblée de Dieu. José Serra, le candidat de la droite, a perçu, avant même le premier tour, que les attaques pouvaient porter contre Dilma Rousseff, femme et divorcée. Lui-même, qui n'a rien d'un religieux, s'est mis à vanter les « valeurs chrétiennes », à s'afficher dans les clips électoraux aux côtés de sa famille. Sa femme, Monica Serra, a été dans une banlieue de Rio de Janeiro assurer que Dilma voulait « tuer les petits enfants ».

Immense hypocrisie. La même Monica Serra expliquait, en 1992, durant un de ses cours, comment elle avait dû avorter à la veille de leur exil, et combien cette expérience était un « événement marquant dans la vie de toute femme ». Ce sont plusieurs de ses élèves, indignées par le double discours, qui sont venues le rappeler. Quant à José Serra, c'est lui qui avait, en tant que ministre de la santé, réglementé l'avortement dans les centres hospitaliers dans les deux cas autorisés par la loi. Une excellente décision au demeurant, mais qu'il préfère taire aujourd'hui en faisant intervenir des pasteurs dans ses clips électoraux et des légions de femmes enceintes.

A la tête d'une campagne totalement désorganisée - son comité s'attendait à une victoire dès le premier tour - Dilma Rousseff s'est fait piéger en acceptant de rentrer dans ce débat. Elle a ainsi signé une lettre aux évangélistes assurant qu'en cas de victoire, elle ne stimulerait aucun changement de législation sur l'avortement. Une marche arrière dans un pays où l'avortement est d'abord un problème de santé publique : alors que les femmes des beaux quartiers le font dans des cliniques, au mépris de la loi et dans de bonnes conditions, les plus pauvres ont recours à des aiguilles à tricoter, des cocktails d'herbe ou des médicaments provoquant des hémorragies. Au moins une femme meurt tous les deux jours des suites d'un avortement clandestin dans le pays.

La prise de position de Dilma n'a beau être qu'électorale, elle déçoit ses partisans progressistes, sans nécessairement s'avérer efficace. Si elle n'a pas gagné au premier tour, ce n'est qu'en partie à cause de ce vote conservateur. Chercher à se distinguer de Serra - qui ce de point de vue, a une vision identique - sur le registre religieux est un désastre. D'autant que bien d'autres points distinguent vraiment leurs équipes: le rôle de l'Etat, l'importance des programmes sociaux, la non-criminalisation des mouvements sociaux. Ces derniers jours, la candidate de Lula semble s'être réveillée : elle a laissé le missel de côté et recommencé à parler de solidarité et fraternité. Son électorat doit commencer à s'y retrouver...