Le soulagement était visible sur le visage de Luiz Inacio Lula da Silva, ce lundi matin, lorsqu'il pu enfin lever les bras au ciel, entouré de son homologue iranien Mahmoud Ahamadinejad et du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan pour saluer le retour de l'Iran à la table des négociations sur la question nucléaire.
Le Brésil et la Turquie, deux pays à refuser de laisser la communauté internationale s'enfoncer dans le cirque des sanctions qui ne font que donner plus de légitimité aux dirigeants autoritaires en faisant souffrir la population (l'Irak, vous vous souvenez ? ) ont réussi une gageure : inciter l'Iran à accepter la proposition de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), refusée en novembre dernier, c'est-à-dire l'envoi à l'étranger de 1200 kilos d'uranium faiblement enrichi (3,5%), la majorité de son stock connu. Cet uranium serait échangé dans un délai maximum d'un an contre 120 kilos de combustible enrichi à 20%, nécessaire au réacteur de recherche nucléaire de Téhéran. Un tel processus devrait permettre de s'assurer que l'uranium iranien n'est pas utilisé à des fins militaires. Pour que la confiance soit rétablie, l'échange serait effectué en Turquie. C'est le seul élément qui diffère par rapport à la proposition de l'AIEA de l'automne dernier.
Certain qu'Ahmadinejad n'accepterait pas, Washington a qualifié la semaine dernière le voyage de Lula à Téhéran de « mission de la dernière chance », incitant les autorités turques, alliées des Etats-Unis, à ne pas se rendre à la réunion. Erdogan a d'abord capitulé, avant, au dernier moment, de prendre l'avion dimanche pour l'Iran. Et le lendemain matin, après 18 heures de négociations, l'accord était signé. « Accord de la dernière chance » ? Il faut croire que grandes puissances n'en veulent pas. En France, le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner a aussitôt annoncé que la France continuerait à demander des sanctions. De leur côté, les Etats-Unis faisaient savoir que la proposition de l'AIEA, valable en octobre dernier, était désormais caduque, dans la mesure où l'Iran aurait augmenté son stock d'uranium entretemps. Les preuves de cette augmentation ressemblent à celles qu'avait présentées Colin Powell il y a sept ans à propos des armes de destructions massives en Irak. L'Iran n'a pas de mines pour extraire plus d'uranium, et qu'on le sache, personne ne lui en a vendu entretemps. Ou il faudrait démontrer le contraire. Dans la foulée, le porte-parole du département d'Etat américain a souligné que la parole d'Ahmadinejad ne valait rien. Autre grand argument politique qui justifie le ton va-t-en-guerre.
Il ne s'agit pas de défendre la bonne foi d'Ahmadinejad, personnage fort peu sympathique et aux politiques intérieures désastreuses. Mais, même en laissant de côté l'hypocrisie qui permet à certains pays d'avoir l'arme nucléaire quand les autres doivent s'engager à ne jamais l'avoir, même en laissant de côté le dangereux précédent qui interdirait à un pays d'enrichir du nucléaire seul, à des fins pacifiques (l'Argentine et le Brésil le font bien, d'où la détermination de Lula d'ailleurs), on ne peut que se demander quelle est la volonté réelle des « Grands » de ce monde de donner une chance à la paix, au lieu de se lancer dans une batterie de sanctions qui ne feront que radicaliser le pays.
On ne peut que constater aussi, le mépris, et l'aveuglement des « Grands », frace à un monde qui change. Si le Brésil veut négocier, il est traité d'ingénu. «Les ingénus, ce sont ceux qui ont voulu croire que l'Irak avaient des armes de destruction massive, avec les conséquences que l'on connaît », m'a confié Marco Aurelio Garcia, le bras droit de Lula sur les questions internationales. Et pourtant, le Brésil, la Turquie deviennent des « big players », alors que l'Europe démontre son incapacité à se diriger politiquement, en se choisissant un président inexpressif et une chef de la diplomatie anti-européenne.
Plus désolant encore, le provincialisme d'une bonne partie de la presse française, Mediapart y compris, qui a réservé des tartines à la libération de Clotide Reiss (« contrepartie ou non ? ») en évoquant marginalement cet accord, pourtant de portée mondiale. Franchement, on se moque des dessous de table de la libération de Clotide Reiss, et de qui va rembourser l'amende de 230 000 euros. Surtout quand ce qui est en jeu, c'est l'équilibre nucléaire du monde. Hier, en assistant au journal de France 2 via TV5 à Rio de Janeiro, je n'en croyais pas mes yeux : Clotide Reiss, la mise en liberté conditionnelle de Véronique Courjault, (condamnée à huit ans de prison en juin 2009 pour trois infanticides), une histoire sur les personnes âgées qui craignent d'être agressées, un « dossier » ( !) sur une chanteuse et un berger qui ont hébergé Yvan Colonna en cavale, et l'annonce de Domenech sur la sélection définitive pour la coupe du monde. Voilà tout. Ah, tout de même, avant de baisse le rideau, le présentateur a lancé un « International : en bref, un accord signé ce matin entre l'Iran, le Brésil et la Turquie relance les espoirs sur la question nucléaire, et il est accueilli avec scepticisme par les Occidentaux ». Dommage pour ceux qui ne savent rien du dossier, ils n'en sauront pas plus. Et passons sur l'usage imbécile (et généralisé dans la presse) du terme « occidentaux » : le Brésil, c'est en Orient ?