Le mois dernier encore, Marina Silva représentait, aux yeux de l’élite brésilienne, tout ce qu’il y a de plus détestable. Issue d’une famille pauvre d’origine nordestine, analphabète jusqu’à l’âge de seize ans, et militante de gauche proche du honni Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).
Tout a changé depuis que l’ex-ministre de l’environnement de Lula a fait part de ses doutes, et de sa volonté de, peut-être, faire cavalier seul et de quitter la formation politique dans laquelle elle se bat depuis 1985, le Parti des Travailleurs de Lula (PT). Elle lui préfère le Parti Vert (PV), pour « être cohérente avec elle-même ». Du jour au lendemain, Marina, comme on l’appelle, est devenu la « queridinha », la « petite chérie », de la grande presse brésilienne.
Les mêmes journaux qui font place à des éditoriaux méprisants à l’égard des Nordestins pauvres et peu éduqués exaltent désormais son parcours impressionnant, du fin fond de l’Amazonie, dans cet état d’Acre aux limites de la Bolivie, où elle a, dès l’adolescence, commencé à travailler avec ses frères « seringueiros », ces travailleurs qui saignent les arbres pour en recueillir le précieux caoutchouc. Elle y a perdu sa mère, à l’âge de 14 ans, a du prendre en charge ses frères, avant qu’une hépatite la contraigne à se rendre à la ville. Une chance : sur place, des bonnes sœurs l’épaulent, elle apprend à lire, entre à l’université, devient historienne.
Ces mêmes journaux (Folha, Globo, Estado..) qui l’attaquaient, lorsqu’elle était au ministère de l’environnement pour ses positions « extrémistes », incompatibles avec le développement économique dont le Brésil a besoin, se redécouvrent «Verts » convaincus, et embrassent sa cause.
Cette même presse qui ne peut s’empêcher d’associer le Mouvement des Sans Terre à des actes illégaux et violents, et qui confond protestation sociale avec délinquance exalte depuis une semaine l’histoire de cette militante qui, dans les années 70 et 80, s’est battu aux côtés de Chico Mendes, l’icône du mouvement vert brésilien, dans son Acre natal, pour la forêt et ses habitants, contre les grands propriétaires terriens. Chico est mort, assassiné lors d’une embuscade, en décembre 1988, Marina Silva est élue députée de l’Etat, puis en 1994 sénatrice, à 35 ans, la plus jeune de l’histoire du Brésil. Réélue en 2002, elle devient l’année suivante ministre de l’environnement du Brésil. Et la revue Epoca de souligner : « On dirait Lula, non ? »
C’est la clef de la transmutation médiatique : en quittant le PT, Marina Silva assène un coup inattendu à l’ex-président métallurgiste. Son parti perd une figure respectée, jamais salie par aucun scandale de financement de campagne ou des batailles peu reluisantes des coulisses de la politique. Surtout, elle pourrait mettre en péril le projet de Lula de faire élire sa dauphine, Dilma Roussef, actuelle chef de la Maison Civile (équivalent local de Premier ministre) au terme d’une élection marquée par la polarisation entre elle et son probable adversaire de droite, José Serra (PSDB). Car en envisageant de devenir la candidate du Parti vert, Marina Silva ôte à Dilma son excluvisité de femme de gauche dans la course à la présidentielle. Surtout, elle créé un appel d’air qui devrait pousser d’autres candidats, plus expérimentés et plus à même d’attirer des votes, à entrer dans la danse. C’est notamment le cas de Ciro Gomes, une figure du Nordeste brésilien, furieusement à gauche. En un mot, Marina Silva bouscule le scénario politique, et à ce titre, la grande presse, - majoritairement anti-Lula, et qui prêche pour le retour de la droite plus sensible à ses intérêts – l’a intronisé Jeanne d’Arc de l’Amazonie.
Tout ceci n’est qu’une mascarade. Marina Silva est certes une grande dame, avec des convictions louables, et nécessaires dans un paysage politique marqué par le cynisme et le calcul à court terme. Elle a compris plus vite que ses compatriotes la nécessité d’abandonner un système économique exténuant la planète, parce que nous y perdrons tous. Elle n’en a pas moins plusieurs problèmes : elle est contre l’avortement et, plus grave, est en faveur de l’enseignement des thèses créationnistes sur l’évolution de l’humanité, estimant que les écoliers doivent pouvoir choisir une autre option que la lecture darwinienne. Que la religion bafoue la science importe peu. Au ministère de l’environnement, elle s’est souvent entourée de personnes incompétentes, ce qui n’a pas aidé dans sa lutte. Enfin, elle est dotée d’un orgueil démesuré, qui lui fait quitter aujourd’hui le PT, où elle ne serait jamais candidate et lui préférer le Parti Vert. On ne lui jettera pas la pierre : son talent politique a également été nourri par cette soif de reconnaissance. Mais ce n’est pas une sainte.
Epoca lui offre sa une : « Presidente Marina ? ». On pourrait rêver si l’on ne décelait pas derrière le véritable cynisme des patrons de presse. Marina n’a aucune chance. Le petit Parti Vert n’a que 14 députés - en majorité des transfuges élus par d’autres formations politiques - pas de programme, pas de moyens financiers pour une campagne coûteuse, et un temps de publicité gratuite misérable – il dépend du nombre d’élus au précédent scrutin. Marina va croître dans les sondages toute l’année à venir, en particulier par ceux qui sont faits exclusivement par téléphone. Au Brésil, cette méthode provoque un biais en faveur des classes moyennes, qui sont les plus sensibles aux thèmes de la protection de l’environnement. Les médias constitueront une parfaite caisse de résonnance, comme ils l’ont fait avec Heloisa Helena en 2006. Puis en août 2010, la campagne va commencer, et le vrai Brésil, celui que Sao Paulo et Rio ignorent mais qui représente l’essentiel des 191 millions d’habitants, va s’intéresser à la bataille. Et là, on peut le regretter, mais c’est ainsi : sans fonds, sans ressources humaines, et sans temps de télévision, Marina Silva va s’effondrer. Si entre temps, elle n’a pas jeté l’éponge par dégoût. Sans ligne idéologique définie, le PV s’est toujours vendu au plus offrant, quitte à s’allier à la droite la plus réactionnaire et corrompue quand cette dernière lui offrait des postes dans une municipalité ou un gouvernement d’Etat.
Marina a des principes : elle l’a prouvé en quittant le ministère de l’environnement l’année dernière, et en claquant la porte du PT hier. Mais ces principes risquent de souffrir sérieusement lorsqu’elle devra monter sur scène appuyer des candidats à député, sénateur, ou gouverneur d’Etat qui représentent tout ce qu’elle a toujours combattu.