Lamia Oualalou (avatar)

Lamia Oualalou

Journaliste

Pigiste Mediapart

250 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 avril 2008

Lamia Oualalou (avatar)

Lamia Oualalou

Journaliste

Pigiste Mediapart

La jolie victoire de Fernando Lugo au Paraguay

Bien sûr, le plus dur reste à faire : gouverner. L’ex-évêque de gauche Fernando Lugo a été élu dimanche soir à la tête du Paraguay et en beauté : plus de 40% des suffrages, avec une bonne dizaine de points d’avance sur la candidate du parti Colorado.

Lamia Oualalou (avatar)

Lamia Oualalou

Journaliste

Pigiste Mediapart

Bien sûr, le plus dur reste à faire : gouverner. L’ex-évêque de gauche Fernando Lugo a été élu dimanche soir à la tête du Paraguay et en beauté : plus de 40% des suffrages, avec une bonne dizaine de points d’avance sur la candidate du parti Colorado. Avant de penser à l’ampleur de sa tâche (immense) et ses chances de réussite (faibles), trinquons à cette bonne nouvelle : cela prouve peut-être qu'on ne peut plus en Amérique Latine, ni même au Paraguay, faire de fraude trop grossière pour s’imposer. Les Colorado avaient la machine publique sous contrôle, ainsi que tout l’appareil électoral et les instances judiciaires. Ils ont menacé les fonctionnaires, ont ponctionné leurs salaires pour financer la campagne électorale, et multiplié la désinformation, mais ils n’ont pas été jusqu’à trop trafiquer les résultats. Comme au Mexique en 2000, les pays voisins (là-bas, les Etats-Unis, ici, le Brésil et l’Argentine), ont sans doute laissé entendre qu’il y avait des limites au tolérable. Sans parler de l’Organisation des Etats Américains (OEA), qui a placé sa crédibilité (renouvelée depuis l’histoire de la bataille entre l’Equateur et la Colombie) dans la balance.

Les leçons de la campagne ? D’abord, comme l’annonçait le propre Lugo, l’argent ne gagne pas toujours. Il est sûr qu’il est toujours plus facile d’acheter le vote d’une population pauvre, peu alphabétisée, et qui n’attend pas grand choses des suffrages. Sollicités pour leur vote à la veille de l’élection, les pauvres latino-américains (entre autres) retombent dans l’oubli avec régularité. Ensuite, les campagnes de dénigrement ne fonctionnent plus, surtout quand elles sont associées au péril « communiste, cubain et vénézuélien ». L’élection équatorienne l’a déjà démontré il y a deux ans. Rafael Correa faisait face à un millionnaire, qui tapissait toutes les villes de photos du candidat contre Chavez. Les peuples sont moins idiots qu’on ne le pense. D’abord, ils savent qu’il s’agit le plus souvent d’une vulgaire manipulation, dont ils n’entendent pas forcément les tenants et aboutissants, mais dont l’esprit leur apparaît comme douteux. Ensuite, que Chavez aide des candidats de gauche ne choque pas grand monde : s’émeut-on de voir l’administration américaine aider soit de façon directe, soit via des ONG fort peu discrète des candidats pro-américains ? Pourquoi faut-il s’étonner de la présence de médecins cubains au demeurant très compétents, payés par Chavez, et estimer que les fonds versés par l’USAID sont naturels ? C’est la règle du jeu. La force de Chavez n’est pas dans sa critique de l’impérialisme américain, mais dans son imitation. C’est aussi pour cela que les populations n’ont pas peur de Chavez : pourquoi craindre un chef d’Etat qui a le bon goût de dépenser sa rente pétrolière dans les pays voisins ? Toute l’Amérique centrale s’en félicite, les Paraguayens feront de même s’ils parviennent à en tirer un tel profit.

Comme Rafael Correa en Equateur, comme Evo Morales en Bolivie, Fernando Lugo s’est imposé contre une partie de l’establishment (Lugo bénéficiait au moins de l’appui d’une partie des médias, contrairement aux deux autres), et les réticences des grands pays voisins, inquiets de voir un trublion remettre en question leurs intérêts. Mais les comparaisons s’arrêtent là. Alors qu’en Equateur et en Bolivie, les pays traditionnels n’étaient plus que l’ombre d’eux même, le parti Colorado reste, malgré son déclin, et ses dissensions, une machine à l’inertie monstrueuse installée à tous les étages de la société. La déloger ne sera pas simple. Surtout que Lugo ne bénéficie pas de majorité au Sénat, et qu’il n’est même pas le maître de sa propre coalition. L’Alliance patriotique pour le changement réunit aussi bien des groupuscules revendiquant l’appellation de « marxistes-léninistes », des mouvements sans-terre, des curés de gauche que le parti libéral, dont les membres ne veulent pas entendre parler de remise en cause de la redistribution de revenus et de réforme agraire. Après avoir convaincu une majorité de Paraguayens, Fernando Lugo va devoir vaincre une sorte de « primaire » au sein de sa coalition pour faire dominer sa politique. Puis viendra le temps de la « primaire internationale » : quelle place trouver entre le Venezuela, les Etats-Unis, le Brésil et l’Argentine. Vaste programme… Alors autant s’offrir la journée pour fêter cette jolie victoire, le plus dur est à venir.