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Billet de blog 22 mars 2010

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« Le Brésil devrait accepter une entrée progressive au Conseil de sécurité »

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Le voyage de Lula au Proche-Orient est une claire démonstration que le Brésil, qui s’assume aujourd’hui comme une puissance, a décidé de s’ouvrir vers d’autres horizons. Après l’expérience d’Haïti – réussie, jusqu’au tragique tremblement de terre - il tenter d’apporter sa vocation conciliatrice entre Israël et la Palestine, tout en étant un des seuls pays à continuer à dialoguer avec l’Iran. La présence du géant latino-américain en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU devient de plus en plus évidente aux yeux de certains pays. C’est le cas du Royaume-Uni et de la France, eux-mêmes membres permanents. Des représentants des deux pays viennent de le rappeler lors d’un séminaire organisé la semaine dernière par l’Institut de relations internationales de la PUC, une grande université de Rio de Janeiro. Parmi eux, l’ex-ambassadeur Alain Dejammet, qui a représenté la France auprès de l’ONU, dont il connait bien les coulisses. Il réitère la « bonne volonté » de Paris, mais souligne que les conditions existent. Ses propos qui, souligne-t-il, s’engage que lui-même, montrent une prise de conscience de l’importance du Brésil dans le nouveau scénario mondial, tout comme l’agacement par rapport à des prises de position indépendante, comme le dialogue maintenu avec l’Iran en dépit des préventions de Washington et Paris.

Comment expliquez-vous les difficultés à réformer l’ONU?

Elles sont de plusieurs ordres. D’abord, il faut rappeler que l’ONU est un ensemble de pays, qui se disputent le prestige en permanence. Certains ne souffrent pas qu’un voisin de la région puisse devenir membre du conseil de sécurité. Même s’ils ne sont pas candidats, ils ne veulent pas qu’une réforme bénéficie à leur voisin. Ils ont le sentiment qu’ouvrir la porte à de nouveaux membres revient à créer une nouvelle hiérarchie.

Deuxièmement, les 192 pays de l’ONU ne partagent pas tous les mêmes valeurs. Par exemple, il y a des pays en faveur de la justice internationale, mais la moitié des membres de l’ONU n’ont pas ratifié la création de la cour de justice internationale.

On peut aussi relever une désaffection vis à vis d’institutions centrales de l’ONU, comme le conseil économique et social, aujourd’hui supplanté par le G20. Idem pour le conseil de sécurité, dont les résolutions sont négligées. On oublie qu’une résolution de l’ONU a un caractère obligatoire, c’est très net au Proche-Orient.

Quelle est la légitimité du Brésil à demander le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité ?

Le Brésil a produit de grands ambassadeurs, très actifs. Je pense à Celso Amorim, l’actuel ministre des affaires étrangères. Il a proposé une approche originale du problème irakien, alors qu’on était en pleine crise. Il y avait des analyses très divergentes entre les cinq membres de l’ONU, et le Brésil est arrivé avec des propositions raisonnables. Il a également émis des idées très intéressantes par rapport aux Etats en faillite.

Ensuite, il y a indéniablement des figures brésiliennes du secrétariat des Nations Unies. Je pense notamment à Sergio Vieira de Mello qui était un homme remarquable, impartial, objectif.

Pourquoi une réforme du Conseil de Sécurité est-elle nécessaire ?

Pour être efficace il faut que le conseil de sécurité ne dépasse pas un numéro raisonnable. C’est pour cela que les Américains sont très réticents d’aller au-delà de 21 membres (aujourd’hui, il y en a 15, dont 5 permanents. On ne discute réellement sérieusement que quand on peut faire des tours de tables. Mais il y a sentiment que des pays qui jouent un rôle de plus en plus réel, comme l’Inde, le Brésil, ou ceux qui sont des gros contributeurs au budget des Nations Unies, comme le Japon et l’Allemagne, doivent faire partie du conseil de sécurité permanent. C’est la position française, et je pense qu’elle est majoritaire au sein de l’ONU. Mais il faut deux-tiers des pays pour réviser la charte, et pour l’instant, nous n’avons pas atteint cette proportion.

Quelle est la meilleure stratégie pour le Brésil ?

Continuer tout simplement à être lui-même, c’est-à-dire un pays qui a produit des hommes qui ont enrichi l’ONU, et qui a des idées. On le sait peu, parce qu’il s’agit de questions économiques, mais le Brésil est à l’origine de l’établissement du droit de la mer au sein de l’ONU. Il a été capital dans la mise en place d’un comité de conciliation de la paix. Aujourd’hui, il démontre son engagement avec Haïti. Et l’engagement de Lula au Proche-orient démontre que le Brésil s’intéresse à de nouveaux horizons.

Le Brésil est-il prêt à devenir membre permanent?

Je pense qu’il faut qu’il se prépare, y compris sur les questions techniques, comme les contributions à l’ONU, qui augmentent avec les opérations de maintien de la paix, et envoyer plus de troupes. Il faut qu’il fasse des propositions concernant tous les problèmes du monde, et pas seulement du voisinage. Aujourd’hui, si la présence de la France et du Royaume-Uni ne sont pas discutées au sein du conseil de sécurité, ce n’est pas du fait de leur poids démographique, militaire ou économique, mais aussi parce que ce sont ces deux pays qui proposent 70% des résolutions qui traitent de crise, comme le Liban, en 2006. Il faut qu’il comprenne qu’en devenant un acteur plus important, il ne pourra pas toujours être le pays populaire et sympathique qu’il est aujourd’hui, conciliant avec tout le monde..

Vous faites référence à l’Iran ?

Le Brésil peut discuter avec l’Iran, mais il doit savoir avec qui ils ont à faire, mais je pense qu’ils le savent. Les Américains ont été en faveur du dialogue et au bout de plusieurs mois, ils ont laissé tomber. Nous aussi nous l’avons fait.

En l’absence d’accord sur la réforme, comment faire ?

Nous travaillons sur l’idée d’une période intérimaire, pour qu’ils restent longtemps au Conseil de Sécurité pour que leur consécration en tant que membre permanent soit plus simple. Aujourd’hui, le Brésil, l’Allemagne et le Japon reviennent tous les cinq ans au Conseil de sécurité. Si la rééligibilité était autorisée à l’issue d’un mandat, je pense que le Brésil se maintiendrait à chaque fois. Je sais que le Brésil ne veut pas cela, mais cela peut être une façon graduelle de devenir membre permanent. Sans inscrire la nouvelle hiérarchisation, il peut devenir membre du conseil pour de longues durées. Cela créerait une accoutumance, et ferait tomber les préventions à l’encontre de son entrée définitive dans le Conseil permanent.