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Billet de blog 25 janvier 2011

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Au Brésil, Dilma démontre son autorité, et fait une concession aux conservateurs

Tout a commencé par une interview. Pedro Abramovay, le secrétaire national des politiques de lutte contre les drogues, a accordé un entretien au quotidien brésilien O Globo

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Tout a commencé par une interview. Pedro Abramovay, le secrétaire national des politiques de lutte contre les drogues, a accordé un entretien au quotidien brésilien O Globo (http://oglobo.globo.com/pais/mat/2011/01/10/drogas-novo-secretario-defende-fim-da-prisao-para-pequenos-traficantes-923470171.asp), dans lequel il défend l’idée d’éviter les condamnations à prison des petits trafiquants de drogues, le plus souvent conduits à la vente, marginale, pour pouvoir se payer simplement leurs propres doses. Abramovay ne fait que reprendre des idées largement répandues. D’une part, les prisons brésiliennes sont dans un état de délabrement extrêmement avancé : des dizaines de prisonniers par cellules, des violences incontrôlables, des soulèvements qui virent souvent au massacre. En les « allégeant » des petits trafiquants, on gagnerait de l’espace au lieu de continuer à promettre la construction de nouvelles unités qui ne font que la richesse des amateurs de pots-de-vin dans le secteur du bâtiment. D’autre part, les prisons ont le chic de transformer ces petits délinquants, à «bonne école », en criminels de grande envergure. La discipline y est en effet le plus souvent contrôlée par les grands gangs de la drogue, qui recrutent parmi les jeunes qui sortiront bientôt de nouveaux talents.

La déclaration a provoqué l’ire de la présidente Dilma Rousseff. Le problème n’est pas tant qu’elle soit contre cette proposition – on ne sait rien de son opinion sur le sujet – mais que le secrétaire n’a pas pris soin de la consulter ou d’en parler à son supérieur hiérarchique, le ministre de la justice José Eduardo Cardozo. Ce dernier a donc aussitôt informé qu’il s’agissait d’une opinion personnelle d’Abramovay et non de la thèse du gouvernement. Dans la foulée, le secrétaire national des politiques de lutte contre les drogues a rendu son tablier.

On comprend la décision de Dilma de réclamer la discipline au sein du gouvernement, sur un sujet aussi délicat, très mal perçu auprès d’une population essentiellement conservatrice. Elle peut également décider qu’il est trop tôt pour ouvrir des polémiques avec la droite, qui seront abondamment exploitées par la presse, qui ne lui cache pas son hostilité.

Mais on remarquera aussi que lorsque, il y a deux semaines, le général José Elito Siqueira, chef des services secrets brésiliens, a déclaré qu’il « n’y avait aucune honte » à avoir des disparus pendant la dictature, Dilma Rousseff s’est contentée de le convoquer pour lui exprimer son mécontentement, et ce, en privé. Il n’a pas été démis de ses fonctions.

A démontrer de la sorte son autorité, Dilma fait une erreur : celle de pactiser avec les conservateurs – on peut démettre un civil au discours progressiste, et non un militaire encensant indirectement l’action de la dictature. En outre, elle transmet l’idée que son gouvernement veut continuer à lutter contre l’expansion de la drogue à travers la seule répression. Une stratégie qui a échoué dans le monde entier. C'est d'autant plus grave qu'elle a fait de la lutte contre le crack une des priorités sociales de son mandat.

Exister après Lula n’est pas facile et Dilma a clairement fait comprendre que ce ne serait pas à travers le charisme, mais un « choc de gestion » qu’elle compte y parvenir. Il ne faudrait pas qu’elle perde en route l’appui des progressistes. Même en prenant soin de ne pas froisser les conservateurs, elle ne gagnera jamais leur appui. Si elle l’oublie, la bataille des urnes le lui rappellera bientôt. Et si besoin, elle peut jeter un œil sur l’histoire récente de la gauche européenne, qui a abandonné ses idéaux et les siens, en échange de... De quoi au juste ?