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Billet de blog 26 janvier 2010

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L’élection au Chili, une alerte pour la gauche latino-américaine

« Alerta, alerta, alerta que camina, la espada de Bolivar por la America Latina »: le slogan, scandé dans les rues de Caracas quand la révolution bolivarienne se disait encore «bonita », a célébré ces dernières années l'avancée de gouvernements progressistes dans la région, symbolisée par cette marche de l'épée de Bolivar. Une autre alerte vient toutefois de retentir en Amérique latine, avec l'élection du millionnaire Sebastian Pinera au Chili.

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« Alerta, alerta, alerta que camina, la espada de Bolivar por la America Latina »: le slogan, scandé dans les rues de Caracas quand la révolution bolivarienne se disait encore «bonita », a célébré ces dernières années l'avancée de gouvernements progressistes dans la région, symbolisée par cette marche de l'épée de Bolivar. Une autre alerte vient toutefois de retentir en Amérique latine, avec l'élection du millionnaire Sebastian Pinera au Chili.

Le scrutin est remarquable : c'est le premier qui parvient à porter la droite au Palais présidentiel de La Moneda depuis la sortie de scène d'Augusto Pinochet en 1990. Mieux, c'est la première fois depuis 1958 que la droite arrive au pouvoir de façon démocratique. Et il s'impose alors que la présidente sortante jouit d'une popularité de près de 80%, inédite dans l'histoire du pays, et que la reprise économique, après une année 2009 difficile suite à la crise mondiale, est confirmée.

Le Chili, ses dix-huit millions d'habitants et son statut géographique presque insulaire - coincé entre le Pacifique et la cordillère des Andes - ne devrait pas trop peser sur le reste de la région. Et pourtant, certains leaders de gauche latino-américains ont commencé à s'inquiéter de l'impact de l'élection de Pinera. Il y a le poids symbolique bien sûr, on parle du pays de Salvador Allende et de Pablo Neruda, et on frissonne face au spectre d'Augusto Pinochet. Mais ce n'est pas tout : c'est la question de l'incapacité de la gauche à transmettre sa popularité d'un gouvernement à l'autre qui inquiète, et notamment au Brésil. Comme dans le petit pays andin, le président sortant, ici Lula, a une popularité qui bat tous les records, et une succession qui n'est pas simple tant sa personnalité a étouffé son parti. Bien sûr, les comparaisons ont leur limites : le Chili est fatigué de vingt ans de « concertation », la coalition qui a uni socialistes e chrétiens-démocrates au nom de la lutte contre la dictature. Le Brésil n'est pas encore fatigué du Parti des Travailleurs de Lula, qui d'ailleurs n'est pas véritablement au pouvoir. Bien sûr, on ne peut comparer les charismes des présidents sortants : Michelle Bachelet a des mérites, mais elle respire l'ennui. Lula arrive à enthousiasmer une personne qui suit ses discours depuis trente ans. Mais au fond, le risque est le même, comme l'a reconnu Dilma Roussef, la dauphine de Lula, lors d'une intervention à la radio hier : une division de la gauche ou du moins du camps progressiste (les divisions traditionnelles européennes sont ici douteuses) au premier tour, comme cela s'est passé au Chili. Le 13 décembre, 56% des Chiliens se sont distribués entre les candidats du centre gauche. La dispersion n'a pas donné lieu à un rassemblement au second tour derrière le pâle Eduardo Frei, qui a perdu. Deuxièmement, et surtout : il faut cesser de croire que la bonne gestion suffit à gagner une élection. La Concertation a bien géré le pays, réussi une transition démocratique, réduit la pauvreté. Mais elle a abdiqué devant les règles du libéralisme primaire, libéralisé à tout va, et accepté de limiter le Chili à un exportateur de matières premières, tout en restant un des pays les plus inégaux du monde. Au Brésil, Dilma Roussef est présentée comme le « mère du PAC », le Programme d'accélération de croissance, qui dresse routes et ponts dans tout le Brésil. Le pays est transformé, on créé des emplois, mais ce n'est pas un projet politique, et ça ne fait pas rêver. Sans charisme, Dilma doit être autre chose, l'espérance d'un Brésil plus juste encore. Lula a fait du bien, mais le chemin est long encore. La bataille électorale ne commencera qu'en avril, mais la prise de conscience doit se faire dès aujourd'hui.