Les Brésiliens sont épatants. De gauche, de droite, du nord ou du sud, ils ont tous en commun ce positivisme qu’on étudie dans les livres. Vous savez Auguste Comte, la devise « ordre et progrès » etc ? Cela a l’air d’un poncif académique, il n’en est rien. Cycliquement, les Brésiliens oublient leurs divergences idéologiques pour se passionner pour un thème, présenté comme la solution à tous les malheurs, ceux du pays bien sûr, mais aussi le reste du monde. Actuellement, c’est l’éthanol. Et les Brésiliens s’y accrochent avec d’autant plus d’énergie que le biocombustible est attaqué par les institutions internationales, qui y voient un des responsables de la crise alimentaire.
La semaine dernière, le ministre des affaires étrangères Celso Amorim a résumé l’état d’esprit ambiant d’une formule lapidaire : « l’éthanol, c’est comme le cholestérol, il y a le bon, et le mauvais ». Comprenez : l’éthanol américain, dérivé de maïs, est mauvais, car il augmente le cours de cette denrée essentielle dans les pays en voie de développement, et en particulier dans le Mexique voisin. En revanche, il ne faut pas confondre avec le « bon éthanol », le brésilien, fait de canne à sucre, est excellent : on ne mange pas de canne à sucre, et les terres sont abondantes dans ce grand pays pour alimenter tout le monde. Si les pays occidentaux, et en particulier l’Europe (à commencer par Sarkozy) s’en prennent à l’éthanol, c’est par jalousie, parce qu’ils sont incapables de produire cette énergie du futur, dépourvus de terres et de climats adaptés. Pour une fois que le Brésil pourrait tirer son épingle du jeu, on lui met dans bâtons dans les roues, empêchant peut-être cette merveilleuse énergie de faire des émules en Amérique centrale, en Asie, ou en Afrique.
Il y a du vrai dans l’interprétation des diplomates brésiliens : les Européens bloquent l’entrée de l’éthanol tout comme ils limitent les vins latino-américains, la viande argentine, le poulet et le jus d’orange brésilien. Soucieux de préserver leur PAC, ils savent que l’agriculture brésilienne, devenue une des plus compétitives du monde, dévasterait en quelques mois le pays age agricole européen. Même constat pour les Etats-Unis.
Mais aux critiques des puissances traditionnelles, les Brésiliens opposent une foi dans l’éthanol désarmante d’ingénuité si elle ne devenait pas préoccupante. Plus de la moitié du parc automobile brésilien roule à l’éthanol, et la consommation de ce dernier devrait dépasser celle de l’essence cette année. Des investissements monstrueux viennent du monde entier tabler sur ce nouvel eldorado énergétique, (parmi lesquels George Soros). L’année dernière, Lula a carrément qualifié les producteurs de canne à sucre de « nouveaux héros du Brésil ». On se pince, et pourtant c’est clair, le débat n’est plus possible : le Brésil « qui avance » est pro-éthanol, le Brésil attardé (celui des mouvements sociaux, des paysans sans terre et des esprits chagrins) ne pourra pas l’arrêter. A la crédulité généreuses des uns s’unit le gros travail de communication du lobby agricole. Et tous les arguments sont balayés : le prix des aliments ? Rien à voir, la canne ne se mange pas. On oublie que pour produire de la canne les agriculteurs ont abandonné d’autres cultures, ou opté pour l’importation, notamment de blé (aujourd’hui en pleine crise, l’Argentine ayant stoppé ses fournitures). L’Amazonie dévastée ? Allons bon : tout le monde sait que les terres d’Amazonie ne conviennent pas à la canne à sucre, et d’ailleurs, le Brésil est immense, il est plein de terres vierges qui ne demandent qu’à être cultivées. Là encore, on oublie que la canne a tout bonnement repoussé d’autres productions, comme l’élevage, qui s’accomode fort bien des terres amazoniennes débarassées de leurs arbres. Quant aux terres vierges, elles sont si loin des centres de consommation, dans un pays aux infrastructures désastreuses, que personne ne veut si rendre, tant le coût de production deviendrait prohibitif. L’éthanol brésilien est propre, et ne produit pas de CO2 ? Peut-être, mais la canne à sucre est gourmande en eau. L’éthanol a permis l’émergence de groupes économiques de taille, faisant du Brésil un «big player » incontournable. Bien sûr, mais le prix de la terre dans les états les plus fertiles (le sud-est du pays) a plus que doublé ces cinq dernières années, provoquant une concentration de la la terre et un retour au latifundio qu’on n’espérait pas du gouvernement Lula. Allez dans ces conditions penser à financer une réforme agraire. Les emplois de l’éthanol ? A voir : quand il est très mécanisé, il est inexistant, quand la production reste traditionnelle, l’emploi se résume à embaucher des coupeurs de canne à sucre pour un des métiers les plus épuisants et dégradants du monde. Là encore on n’attendait pas de Lula l’apologie du secteur. Et qui attire dans d’investissements étrangers si ce n’est l’éthanol ? Bon, il est vrai, on a souvent la mémoire courte ici : les capitaux qui rentrent en masse sont souvent spéculatifs (Soros, vous vous souvenez ?) et ils pourraient sortir aussi vite si les cours du sucre s’effondraient, ou si le Brésil ne parvenait pas à réussir son pari de transformer l’éthanol en « commoditie mondial), ce qui est loin d’être le cas.
Mais ne poussons pas le bouchon trop loin dans l’autre sens : l’éthanol a ses mérites, j’ai d’ailleurs une voiture flex, qui me permet, comme la majorité des automobilistes brésiliens de choisir, selon le cours du jour, combien d’essence et d’alcool je vais mettre dans ma voiture, pour optimiser la facture. C’est juste que l’éthanol n’est pas la solution à tous les maux du Brésil, ni de l’Afrique, ni du monde, et que c’est en s’entichant de la sorte pour un type de production que le Brésil a gagné l’appellation de «terre d’avenir ». Dans les rues de Rio et d’ailleurs, on voudrait bien qu’elle soit aussi du présent.