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Billet de blog 27 juin 2008

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L'inégalité recule au Brésil... heureusement, il y a les banques!

L'Ipea, l'équivalent brésilien du département recherches de l'Insee français, vient de publier la première étude sur l'évolution des revenus entre le dernier trimestre de 2002 et aujourd'hui, autant dire depuis l'arrivée de Lula à la tête du pays.

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L'Ipea, l'équivalent brésilien du département recherches de l'Insee français, vient de publier la première étude sur l'évolution des revenus entre le dernier trimestre de 2002 et aujourd'hui, autant dire depuis l'arrivée de Lula à la tête du pays. Les conclusions sont encourageantes : la différence entre les revenus de la tranche des 10% les plus riches de la population et celle des 10% des plus pauvres a été réduite de 7%. Parallèlement, l'indice de Gini, qui mesure le degré d'inégalité, a glissé de 0,543 à 0,505 (0 représente l'égalité absolue, et 1 l'inégalité la plus totale).

Ce n'est pas rien : c'est la plus importante réduction de l'inégalité depuis 1960. Les revenus des plus pauvres ont augmenté quatre fois plus, comparativement, que ceux des pus riches. L'explication : une progression constante du salaire minimum, bien au-delà de l'inflation, et une politique de transfert de revenus incarnée principalement par l'allocation « Bolsa Familia », la « bourse famille », qui verse une somme modique à 11 millions de familles tous les mois, en échange de la scolarisation et de la vaccination des enfants du foyers.

Bien sûr, la croissance économique et la création conséquente de centaines de milliers d'emplois formels n'est pas étrangère à cette amélioration. A ce rythme, le Brésil pourrait retrouver en 2010 un indice de Gini de 0,49, équivalent à celui de 1960, quelques années avant la mise en place de la dictature et sa politique conservatrice. Les différences restent toutefois abyssales. Selon l'Ipea, les plus riches gagnaient en 2003 environ 27,3 plus que les plus pauvres. Aujourd'hui, le rapport n'est « plus » que de 23,5.

Mais il y a un bémol : les travaux de l'Ipea n'incluent ni les fortunes placées à l'étranger, ni surtout, les revenus issus des placements financiers, ces dernières données étant trop difficiles à obtenir. Or il a rarement été aussi intéressant de placer son argent en bourse ou en obligations que depuis l'arrivée de Lula à la présidence, et les banques du monde entier se vantent dans leurs rapports annuels d'afficher au Brésil leurs meilleurs bénéfices. Cette absence amène à trois conclusions.

D'abord, la réduction des inégalités, réelle et issue d'une bonne politique, n'est pas aussi importante qu'on l'estime (l'Ipea reconnaît cette limitation) et bien moindre qu'on pourrait l'espérer d'un président aussi populaire que Lula dans un contexte économique mondial globalement favorable.

Ensuite, la politique désastreuse de la banque centrale, intimement liée au système financier malgré une dépendance formelle de l'Etat, et sa promesse de continuer à augmenter les taux d'intérêts, déjà les plus élevés au monde, aura, on le sait déjà, un effet pervers sur la réduction des inégalités. Elle menace la croissance économique et en conséquence, les revenus du travail, et contribue à l'augmentation des revenus financiers, concentrés entre les mains des plus riches.

Enfin, puisque les plus riches n'ont globalement pas perdu de fonds, cela signifie que la réduction de l'inégalité globale des revenus à l'échelle du Brésil, s'est faite aux dépens de la classe moyenne. Une constatation qui explique fort bien qu'une grande partie de la classe moyenne n'a pas voté Lula en 2006, en dépit de la croissance. Objectivement, cette tranche de la population a peu gagné d'un point de vue matériel, même si le dynamisme de l'emploi la concerne directement Elle a surtout perdu du terrain d'un point de vue symbolique : la classe moyenne arrivait péniblement à l'issue de maints efforts, à placer ses enfants à l'université et en faisait un motif de fierté. La politique de Lula de discrimination positive (que l'on applaudit ici!) leur a même ôté ce privilège.

Désormais, mêmes les plus pauvres ont droit à l'université. Cet exemple souligne à quel point les classes moyennes sont volontiers réactionnaires (en particulier en Amérique Latine où elles se sont souvent associées aux dictatures pourvu qu'elles apportent ordre et emploi), mais aussi fragiles. Au Brésil, un membre de la classe moyenne a aussi appris qu'il pouvait tout perdre du jour au lendemain, et qu'il devait payer cher pour l'éducation et la santé de ses proches. Mépriser cette couche de la population peut être commode intellectuellement, mais rarement efficace sur le terrain politique. L'histoire montre qu'on ne change pas profondément une société sans la classe moyenne. Surtout quand on a décidé, comme Lula, de ne pas affronter les puissants.