Lorsqu’il l’a lancé, il y a une décennie, c’était une innovation. Hugo Chavez répondait à une presse qui s’était massée pour l’essentiel contre lui avec les mêmes armes, en mettant sur pied un programme télévisé tous les dimanches durant lesquels il s’adresse directement à la population. Pour le novice, c’est un véritable spectacle. Au nom de la démocratie directe et participative, Chavez y explique les grands axes de sa politique, qu’il soit à Caracas ou Paris ou Moscou. Il n’hésite pas à chanter, à se déguiser (on l’a vu avec une chapka russe), et surtout à exposer mappemonde et chiffres pour se faire pédagogue. Le succès est indéniable, à tel point qu’une des premières cibles des putchistes qui tentent de le renverser en 2002, est de prendre le contrôle de « Venezuela de Television », le canal public. L’idée est même reprise par d’autres, notamment le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, qui a désormais un programme de radio hebdomadaire, «un café avec le président ». Là encore, le souci est de contourner le blocus des médias, qui amplifient tous les problèmes du gouvernement et camouflent ses réussites – une dimension qu’on a du mal à percevoir en Europe, où l’on attribue à la presse des vertus de quatrième pouvoir.
Mais Hugo Chavez va trop loin. L’aspect pédagogique du programme s’est effacé derrière un véritable acte politique. Le leader de la révolution bolivarienne profite de cette tribune pour annoncer en direct le renvoi de tel ou tel cadre (il l’a notamment fait avec des ingénieurs de la compagnie d’hydrocarbures PDVSA, s’y créant de solides inimitiés), porter aux nues ou humilier ses collaborateurs. Ces derniers finissent par en oublier que le travail se fait sur le terrain, et non pas à la télévision. Le gouvernement perd en efficacité et gagne en complaisance. Surtout, «Alo Presidente » est devenu trop long et trop présent. Fidel Castro, qui de sa retraite continue à se manifester à travers des tribunes dans la presse cubaine vient de faire le calcul : «pendant ces dix ans, Chavez a consacré 1536 heures, c'est-à-dire 64 jours complets, à ce programme afin d’informer et d’éduquer la nation », écrit-il dans sa dernière « réflexion », publiée la semaine dernière. « Sans ce programme, l’impérialisme et l’oligarchie, qui disposent d’un contrôle quasi absolu des médias de communication de masse, auraient détruit la révolution vénézuélienne de leurs mensonges et calomnies », poursuit-il.
Soixante quatre jours complets ! Auxquels il faut ajouter les heures de « cadena », quand le Chef d’Etat impose à toutes les chaînes hertziennes de retransmettre un discours ou un événement jugés cruciaux pour le pays. De rare, la mesure est devenue au moins hebdomadaire. Certes, il suffit d’atterrir au Venezuela pour voir que la presse écrite abonde de critique contre Chavez. La télévision, plus encore, entretient la haine fondée sur les plus bas instincts, tels le racisme, contre l’idole des pauvres. Mais « Alo Presidente » et plus généralement la programmation des chaînes publiques (Canal 8, Vive, Avila TV) démontrent un échec de la communication du président. A la vulgarité anti-chaviste répond désormais le ton monocorde de glorification du Chef. Les cadres cubains ont fait des merveilles dans la machine étatique brésilienne, en structurant notamment les « missions », ces plans sociaux atypiques qui ont bouleversé la vie des plus défavorisés. Mais la télévision n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, le point fort de Cuba. On aurait préféré d’autres modèles.
En abandonnant tout pari d’originalité, Chavez place le Vénézuélien moyen devant un choix : une télévision anti-chaviste, mais divertissante ou un canal publique se félicitant des réussites de la révolution en taisant ses principaux problèmes : l’inflation, l’insécurité et la corruption. Il permet ainsi à ses opposants de récupérer le discours sur la « liberté d’expression » qui leur sied pourtant si mal. L’habileté des premiers jours laisse place, sur le terrain de la communication, à la fatigue, l’ennui, voire aux dérapages autoritaires.