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Billet de blog 29 juin 2008

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L'image ternie de l'armée brésilienne

Vingt-trois ans se sont écoulés depuis la fin de la dictature, pendant lesquels l'armée a réussi à faire oublier la répression des années noires et à se gagner une image respectable inimaginable dans les pays voisins.

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Vingt-trois ans se sont écoulés depuis la fin de la dictature, pendant lesquels l'armée a réussi à faire oublier la répression des années noires et à se gagner une image respectable inimaginable dans les pays voisins. Bien sûr, on arguera que les militaires brésiliens ont plutôt moins tué que leurs homologues argentins et chiliens, c'est vrai. Et qu'ils avaient un projet économique pour le pays qui dépassait le simple banditisme, c'est aussi vrai. Les officiers brésiliens n'étaient pas sans un certain sens de l'Etat, totalement absent chez les voisins.
Les dommages qu'ils ont infligé à la société ne sont pas moins énormes et on les mesure à la faible politisation et au manque de révoltes face à l'injustice qui continuent de caractériser le Brésil. Enfin, en s'engageant à Haïti, l'armée est parvenue à se trouverune légitimité, bien loin de celle que lui conférait la recherche de la "sécurité intérieure" et l'élimination des "ennemis" que sont les communistes, les syndicalistes et autres leaders de l'université. Bref, malgré tout, les uniformes sont bien vus, au coté d'une police déconsidérée, sans parler de l'institution parlementaire.

Deux épisodes viennent toutefois d'entacher gravement l'image de la « grande muette » brésilienne. Il y a deux semaines, trois adolescents ont été tout simplement vendus par un groupe de soldats et leur officiers à un gang du narcotrafic. Ils revenaient d'une fête, ont eu le malheur de croiser les soldats qui faisaient une ronde pour la « sécurité » de leur quartier, et constatant qu'ils venaient d'une favela dominée par un gang du narcotrafic, ils ont été vendus au gang rival.

Les trois gamins, âgés de 17 à 24 ans, ont été longuement torturés, avant d'être tués. Les médecins légistes ont dénombré 46 balles dans leurs corps, la majorité dans la tête, une manière d'humilier un peu plus les familles, puisque les corps, méconnaissables, ne peuvent être veillés comme le veut la tradition. Explosion de violence le lendemain dans la favela, où tous se souvenaient de la dictature.
Deuxième épisode, en parallèle : deux sergents homosexuels ont fait leur « outing » en direct à la télévision pour dénoncer toutes les tentatives de l'armée pour les séparer, en les mutant à des endroits différents par exemple. L'émission était encore en cours quand l'armée a dépêché des soldats pour les jeter en prison. L'arrivée d'hommes armés dans le canal de télévision a beaucoup ému, d'autant que la hiérarchie s'est empressée d'assurer que l'ordre d'arrestation n'avait rien à voir avec les déclarations sur l'homosexualité des sergents, mais s'expliquait par le fait qu'ils avaient déserté.

Le scandale s'est produit au moment même où se tenait une conférence nationale sur les libertés sexuelles, incluant homosexuels, travestis, lesbiennes, sous l'égide de Lula. Une première mondiale qui souligne à quel point la société n'est pas sur la même longueur d'ondes que l'armée, même si les agressions homophobes sont fréquentes au Brésil.

Tout de même, rappelons que la gay pride de Sao Paulo est, avec plus de trois millions de participants tous les ans, la plus importante du monde. L'armée s'est révélée peu astucieuse, puisqu'elle devait, ce dimanche, être ridiculisée en direct lors de la gay pride de Brasilia. Nettement moins important d'un point de vue numérique, l'événement attire toutefois l'attention du fait de sa proximité du pouvoir.

Les participants étaient invités à se présenter en tenue de camouflage, un clef d'oeil militaire destinée à se solidariser avec les deux soldats et à discuter de l'homosexualité dans l'armée. Qui sait, cela amènera peut-être les Brésiliens à s'interroger sur beaucoup d'autres silences de l'armée, en particulier sur son refus d'ouvrir ses archives portant sur la dictature ?