On ne parlait que de ça, j'ai même été particulièrement chiant.e avec ça je pense, mais dans ma tête je crois que je réalisais toujours pas.
Ce matin, tout a des airs de mauvaise blague. J'ai un peu l'impression d'être éjecté.e du tourbillon de ces deux semaines (ce qui est très long tourbillon) comme si on m'avait jeté.e par-dessus bord.
L'air est humide, il y a de la musique, des gens qui n'ont pas fini la fête ou qui la commencent tôt. Je les admire un peu.
Je sors.
Je vais vers l'école qui accueille le bureau de vote. Il y a du monde. Ça me rassure et ça me fait super peur en même temps. J'ai encore l'impression d'être au milieu d'un océan et de passer d'une vague à l'autre.
Je rentre.
Le bureau de vote n'est pas clair, il y a plein de petits bureaux et on vote avec une machine. Je suis trop jeune pour trouver ça terrifiant, et écologiquement je pense que c'est mieux, mais j'avoue que je suis pas fan. J'aime bien mettre mon petit bulletin dans ma petite enveloppe, comme si j'envoyais une lettre au monde pour lui dire que j'y crois encore.
La file passe, j'ai les larmes aux yeux et la gorge qui pique. Je vois des familles, des enfants. Je vois une famille de personnes racisées, je les regarde, j'ai envie de les serrer dans mes bras en leur disant qu'on va gagner et que tout ira bien. La dame qui dit les noms elle reste bloquée sur mon nom. Ça ça me fait plaisir parce que ça, même si tout change, les gens sauront jamais prononcer mon nom de famille. Même les gens de l'Europe du chocolat de chez qui ça vient.
Je vote.
Je signe, la dame elle me regarde avec un grand sourire et une curiosité que je connais bien (rapport au nom de famille tout ça).
Je sors.
Je vois arriver des gens, et certains qui ont l'air d'avoir le vote qui penche pas mal à tribord. C'est pas bien de juger le physique, je sais, et ce qui est encore moins bien c'est ce que je ressens.
Une colère sourde et désespérée, une envie de les pousser en dehors du bureau, pas de leur faire mal, de les retenir de voter, de leur dire que si leurs idées passent ce sera dangereux pour plein de monde, alors que si c'est le NFP à priori juste les pleins de sous auront moins de sous (et ils en auront encore en vrai ça va hein), que je revendique pas une supériorité morale mais que je veux pas que des gens soient en danger et que ça me paraît pas extrémiste. Je m'en veux en bonne élève de la République pluraliste de l'école publique, je me dis que c'est pas à moi de décider qui peut s'exprimer ou pas, et en même temps normalement l'extrême droite n'a pas d'aussi grands boulevards, ne devrait pas en avoir, qu'elle devrait rester diabolisée, considérée comme dangereuse et non républicaine justement.
Je me dis que les règles du jeu de la démocratie ont changé et que maintenant il s'est mélangé avec le jeu de l'extrême droite, et que celui là, je ne veux pas apprendre à y jouer.
Je marche.
Je crois qu'après ce matin, mon angoisse surpasse mon espoir. C'est exactement l'augure d'une vie sous l'extrême-droite. C'est peut-être et sans doute ça qui fait basculer les gens perdus du côté du bleu sombre.
Alors j'écris.
Et j'espère à nouveau.
Allez voter.