Il y a une première chose à souligner, qu’on ne dit pas assez souvent. Lecteur assidu d’essais, de livres dits de société ou de sociologie, il faut reconnaître que la grande majorité de ces ouvrages sont hermétiques, que la grande majorité ne pensent pas aux lecteurs autrement qu’en l’imaginant étudiant assidu, surlignant son exemplaire et prenant des notes. Ce genre de livre a parfois tendance à faire son prof de fac.
Pas cette fois-ci. Je ne sais pas si c’est un plaisir d’écrire, de partager sa culture ou juste le style d’Adrien Dénouette, mais son essai, Nik ta race, (comme celui sur Jim Carrey) est un livre que j’ai dévoré. C’est un livre dont j’ai tourné les pages à la manière d’un page-turner. Je ne l’ai pas lâché, lu d’une traite, le temps d’un voyage en train.
Ça n’a l’air de rien, mais la qualité de l’écriture, le style et son rythme rendent limpide les arguments et la thèse déroulée dans l’ouvrage. Nik ta race, donc, part de ce postulat : la France a perdu son côté Gavroche, la France a perdu son humour. Pire, la France ne reconnaît pas ses enfants les plus talentueux. La culture bourgeoise a bouffé le subversif pour en digérer une bouillie informe, insipide, sans saveur, sans humeur. Exit la provocation, exit le fait d’aller trop loin, de prendre des risques. Les humoristes, comme les artistes, pèsent leurs mots.
« Que s’est-il passé, entre 1905 et aujourd’hui, pour que nous soyons si affolés de cette insolence qui fut jadis notre marque de fabrique ? Pourquoi, de peuple le plus inflammable et ingouvernable du XIXème siècle, sommes-nous devenus le plus conservateur ? […] Ce livre raconte l’histoire de cette trahison, et de la ségrégation culturelle qui en découle. »
Mustafa El Atrassi est le fil rouge du livre d’Adrien Dénouette. Et surtout la façon dont il est traité. Ce traitement, de la part de ses collègues humoristes, comme de la part des médias, n’est pas à la hauteur de son génie. La reconnaissance du métier n’existe pas pour Mustafa El Atrassi. Comme il n’existe pas pour Karim Benzema. Comme il n’existe pas pour SCH. Ce qui se dessine, c’est une autre histoire de la France, parallèle à celle qui s’écrit aux heures de grandes écoutes, dans les journaux les plus vendus, dans les émissions TV les plus regardés. Une France blanche, qui adoube le gentil Giroux et crache sur Benzéma, qui applaudit McFly et Carlito et vomit sur El Atrassi. Si le racisme de la France n’est pas une notion découverte par le livre, je n’ai pas lu, de mémoire, un livre aussi implacable dans le déroulé de ses arguments et qui tape aussi juste.
« […] Si grand remplacement il y a, c’est la seule conclusion à en tirer : l’excellence et le génie français ne sont plus aux mains de ceux qui s’en réclament. Ce bouleversement ne signe en aucun cas la fin d’une civilisation, seulement d’une classe, la bourgeoisie française, terrifiée à l’idée de perdre ses privilèges au point de confonde sa destinée avec celle de l’Occident, par mégalomanie. »
Arabes, noirs, précaires, débarquant des banlieues, voilà ce qui fait peur à cette vieille France, engoncée dans son racisme systémique. Je ne peux que vous conseiller la lecture de Nik ta race, aux éditions Façonnage et d’écouter l’interview en deux parties que nous avons réalisés pour “Précédemment dans...” et disponible sur toutes les plateformes de streaming audio.
Vous pouvez vous abonnez à l'émission "Précédemment !" sur toutes les plateformes de streaming audio, notamment Spotify : https://bit.ly/3TljFgj
Le texte est extrait du numéro 3 de la revue "La Nuit du Dimanche", disponible ici : https://revue.lanuitdudimanche.fr