/ Louis Lepetit-Dufour, comment répondez vous à la question " Qui suis-je ", question qui je le sais vous a été posée un très grand nombre de fois dans votre si longue carrière ?
/ La question à laquelle vous me demandez de répondre : " Qui suis-je?", selon une forme réfléchie, me procure un embarras que vous avez immédiatement remarqué, car je n’ai pas un contrôle absolu de mes réactions faciales, contrôle si nécessaire lorsqu’on est amené, comme je le suis, à rencontrer des emmerdeurs qui posent des questions bateaux.
Une impartialité sans faille de ma part, reposant sur la légitime méfiance vis à vis de ma propension à être de mon avis lorsque la cause à juger peut entamer ma certitude d’être dans le droit fil de la logique la plus rigoureuse, à la question « qui suis-je » disais-je avant d’être grossièrement interrompu par la digression au sujet de mon impartialité, à la question " Qui suis-je ", redis-je, je ne peux répondre avec la concision et la simplicité de propos qui m’ont toujours caractérisé et dont je pourrais à juste titre m’enorgueillir si ma foncière modestie ne m’en empêchait. En effet, cette question, si simple à la première audition, se révèle, si on la considère avec l’honnêteté qui m’est propre, délicate à cerner. Si je n’étais pas l’honnête homme tel que je me complais à penser que vous me jugez, il me suffirait, pour vous donner une réponse satisfaisant à ma malhonnêteté, ladite malhonnêteté, je vous le rappelle n’étant qu’une hypothèse d’école, il me suffirait commençais-je, d’ouvrir mon agenda à la page d’aujourd’hui, où j’ai noté l’heure de mon rendez-vous avec vous et où j’ai serré votre carte de visite ; et je pourrais, pour répondre à votre question selon votre formulation " Qui suis-je ? " en mode réfléchi, vous annoncer de façon définitive et péremptoire que vous êtes Jean-Louis PHILLIPON, journaliste et écrivain collaborant à la revue Lettres et Esprit, revue qui nous est si chère.
J’aurais préféré que vous formuliez votre question au mode pluriel, sous la forme classique " Qui êtes vous ? " mode qui m’aurait permis d’envisager une réponse indiquant la pluralité de mes " moi(s) "imbriqués, mais ce sera pour une autre entrevue, aujourd’hui vous en avez déjà au moins une page. Je ne vous en remercie pas moins de m’avoir donné l’idée du titre de mon prochain essai : " Qui sommes-je ". Et voilà le travail !