Aujourd'hui, c'est sa dernière journée d'école. Dernier jour de lycée, plutôt. Sans cahier, sans livre, sans crayon. Aujourd'hui, il écoute, il regarde. Pas la peine d'écrire, il n'aura plus de devoirs à rendre, plus de leçons à réciter. Le professeur de français lui dit de passer le voir pendant la récréation et il ira. Pour l'entendre encore une fois dire que c'est dommage d'arrêter les études.
Demain, il aura 14 ans. L'âge où on peut travailler pour aider les parents. Le père est vieux et ne peut plus faire d'heures supplémentaires pour gagner un peu plus. Encore quatre petits derrière, dont 3 filles. Alors, on arrête l'école, on devient un homme qui gagne son pain.
Le père travaille dans une aciérie, mais trouve que c'est trop dur pour un gosse. " A la mine, c'est plus facile, et la quinzaine est meilleure. Tu vas aller à la mine, une bonne place ".
Et le voilà sur le carreau de la fosse N°1. Il fait partie de l'équipe de 2 à 10 heures. Il connaît Henri, le chef d'équipe, le " porion ". Le porion le confie à Achour, un grand, 16 ans, pour le mettre au courant de ce qu'il faut faire en bas.
La salle des pendus, ou vestiaire, l'équipement : casque, lampe. Le bleu de travail, qu'Achour appelle un bourgeron. Puis, la cage. 8 hommes, 3 gosses. La grille se ferme, la chute, hors du temps. La grille s'ouvre. Devant ses yeux, un panneau : - 910 mètres. Il suit Achour, l'écoute lui dire qu'il sera hercheur, que c'est facile, qu'il faut juste pousser la berline pleine de charbon jusqu'au puits et en ramener une vide. Achour lui promet de le prendre avec lui comme aide-piqueur plus tard puis s'en va, il est piqueur dans les petites galeries, un peu plus loin.
Arc-bouté, il pousse le wagonnet plein jusqu'au puits et revient avec un vide. Il s'appuie sur la paroi et attend la suite. Le porion revient, l'air très agité. " qu'esse-tu fous, pouqué qu'tu t'arrêtes ?". " Bin, j'attends ! ". " T'attinds qué, qu'les berlines ess' pouss' tout' seules , ". Un éclair de compréhension : il faut faire ça tout le temps ! Le porion s'éloigne en marmonnant " Faut tout leu dire aux sidis ".
Plusieurs jours de berlines, puis Achour le prend avec lui pour remplacer son aide blessé.
Le piqueur s'introduit dans une petite galerie, à peine assez large pour un adulte, en poussant devant lui le marteau-piqueur. Une corde lie ses chevilles et se déroule derrière lui " Si ça croule, tu m'tires ".
Achour pique, s'arrête, fait glisser les morceaux de charbon derrière lui, pique, s'arrête, son aide comprend qu'il doit enlever le charbon et le charger dans la berline. A la pause, qu'on appelle briquet, Achour lui dit " t'es costaud, tu pourrais piquer, j'va l'dire au porion ".
Le voilà piqueur, avec Rahem comme aide. Il entre dans la galerie, le marteau est lourd, le tuyau d'air comprimé est lourd, il a chaud, la corde lui écorche les chevilles, il a peur. Des voix à l'entrée, puis celle du porion " Q'esse t'attinds, qu'ça sorte tout seu ? ". Il appuie sur la détente du marteau. Quel vacarme ! Il repousse le charbon entre ses jambes, pique, repousse, pique, repousse… " Briquet " Crie Rahem.
Plusieurs jours de marteau. Il n'en peut plus. Comment font-ils ?
Son père lui trouve un boulot moins pénible : la ballastière des haut-fourneaux.
On verra bien.