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Billet de blog 9 juillet 2024

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Trois semaines de tumulte : que faut-il en retenir ?

Nous sommes des millions à avoir oscillé entre colère, désespoir, angoisse, abattement ; montagnes russes d'émotions, rythmées tantôt de rires nerveux tantôt de sanglots difficilement retenus. On s'est parfois cru en plein cauchemar, ou pris au piège d'une boucle temporelle d'un nouveau genre. On en ressort épuisés, rincés et amers. Alors, que faut-il retenir de ce paysage de ruines ?

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Même sans avoir fait campagne, nous sommes restés les yeux rivés à nos écrans, fascinés par le balais des unions et désunions, par les torrents de mensonges, de calomnies et d'insultes, éberlués par des ovnis médiatiques semblant tout droit venus des pires heures du XXème siècle ; multitudes de diatribes fascistes et racistes décomplexées émanant d'individus disposant à peine de leur capacité de discernement.

Nous sommes des millions à avoir oscillé entre colère, désespoir, angoisse, abattement ; montagnes russes d'émotions, rythmées tantôt de rires nerveux tantôt de sanglots difficilement retenus. On s'est parfois cru en plein cauchemar, ou pris au piège d'une boucle temporelle d'un nouveau genre. On en ressort épuisés, rincés et amers.

La dissolution que nous avons vécue est avant tout celle de la nation française. Les ruptures sont désormais actées. Les menaces se révèlent au grand jour. Les complicités sont définitivement assumées. Certes le danger est écarté, mais ce n'est que provisoire, il reviendra comme la mauvaise grippe qui peut définitivement vous mettre à terre.

Alors, que faut-il retenir de ce paysage de ruines ? Personnellement, j'en retiens deux enseignements principaux. Et tout n'est pas si noir.

Nous sommes légions

Oui, c'est tout de même l'enseignement principal que je retiens, qui permet de tenir debout et de poursuivre le combat. Nous sommes des millions. La constitution de ce Front Populaire aura eu au moins ce mérite là. Celui de nous rappeler que nous sommes des millions d'antifascistes en France. « Siamo Tutti antifascisti » (Nous sommes tous antifascistes) est le slogan qui a sans doute été le plus repris en cœur dans les différents rassemblements, rappelant que l'antifascisme constitue le ferment de l'union des gauches.

L'union est certes branlante, mais chacun en a ri à sa façon. « On se disputera plus tard » a fleuri sur les pancartes, montrant la conscience des divergences et la nécessité de les dépasser, au moins pour un temps. Depuis le 7 Octobre, l'ambiance était déjà lourde, les scandales médiatiques, les petites phrases ambiguës, les licenciements abusifs s’enchaînaient. La sérénité de la sphère publique était d'ores et déjà agonisante.

La dissolution a marqué le point d'orgue de la division nationale. On s'est vu revivre sous Mc Carthy, on osait plus parler sous peine de se faire traiter du pire. On souffrait des malentendus, de conflits intrafamiliaux devenus épidermiques. On se refermait peu à peu sur nous même. Et peu à peu, à la faveur de cette union improbable, les langues se sont déliées. Des discussions qu'on pensait impossibles ont eu lieu. On échange sur nos points de vue, on les confronte. Dans la mesure du possible on essaie de le faire avec le plus d'ouverture et d'écoute réciproque possible.

Et parfois, souvent, on se découvre pas si éloignés, pas si différents. On reprend contact, on se sert les coudes, on se parle à nouveau. La famille politique existe, elle est là bien ancrée, solidaire, malgré les agacements, malgré les vieilles inimitiés - comme toutes les familles en somme.

Il me semble qu'il y a aujourd'hui un vrai désir d'union et d'apaisement chez la plupart des citoyens de gauche. Et surtout, un désir très fort de poursuivre le combat, une volonté d'en découdre, de rester mobiliser pour qu'une autre issue au RN se fasse jour en 2027. Des espoirs ont germé. J'espère qu'ils seront entretenus et fertilisés par la naissance d'un nouveau parti, pourquoi pas, excluant les lignes droitières et se concentrant à gauche, en rassemblant largement mais sans concession ni ambiguïté sur les positions et les actions à mener. Surtout il ne faut pas laisser la mobilisation fléchir. Le combat, le vrai est devant nous.

L'ère de la post-vérité est officielle en France

Mon deuxième enseignement concerne la menace de la désinformation : L'ère de la post-vérité est désormais actée en France. Le cas du site Maretraite.nupes.fr1 lancé par le parti présidentiel comme celui qui a pris pour cible RSF, lancé par la sphère Bolloré2, en atteste. Outre atlantique, depuis déjà une décennie, la vérité se bat pour exister, pour ne pas être piétinée comme paillasson, pour rester la référence factuelle, indiscutable de par sa conformité à la réalité.

Elle permet de différencier le menteur du juste, pour qu'un cap puisse être maintenu, pour ne pas tomber dans le chaos. Il faut être intransigeant avec ce phénomène, même si il nous paraît absurde, même si ses ficelles nous paraissent grossières ou stupides, même si l'on aurait simplement envie de s'esclaffer devant tant de bêtises et de passer à autre chose de moins affligeant. Les citoyens éduqués sont tentés de mépriser ces stratagèmes vulgaires qui ne tentent même plus d'être crédibles, ils les pensent inoffensifs, bobards farfelus que même bambins ne sauraient croire.

Et pourtant, le danger gronde, et la vérité recule, elle perd peu à peu non pas de sa crédibilité -ce n'est même plus le sujet - elle perd de sa légitimité. Beaucoup de nos contemporains ne se soucient plus de distinguer le vrai du faux, ils cherchent avant tout à trouver le son de cloche qui raisonnera le mieux avec sa conception du monde. On a peu à peu inversé la construction des systèmes logiques. Les idées préconçues se conçoive a priori, et on cherche ensuite les pièces de puzzle - faits divers, rumeurs ou approximations - qui s'agenceront le mieux à cette compréhension du monde. C'est tout l'esprit des Lumières qui se voit remis en question. La recherche de la vérité n'est plus le principe fondateur du raisonnement. Il n'importe plus qu'il soit construit sur des faits historiques, des éléments statistiques ou scientifiques vérifiés, le but est d'abord d'être conforté dans son point de vue.

Alors faut-il se battre si, in fine, la véracité des faits n'a plus d'importance aux yeux de nos concitoyens et adversaires ? Faut-il perdre son temps à débattre avec eux, pour qui le doute est une faiblesse, pour qui l'affirmation péremptoire tient lieu de victoire définitive. C'est ce que nous explique la loi de Brandolini, qui dit qu'il faut bien plus de temps pour démontrer une vérité ou faire la preuve d'une falsification, qu'il n'en faut pour saccager la réalité des faits. On peut se consoler à l'idée que cela n'est pas nouveau. On peut garder en mémoire Galilée, -« Et pourtant, elle tourne »-, et se dire qu'un jour la vérité reviendra au goût du jour, qu'elle finira à nouveau par vaincre, comme lors de tous les cycles des lumières qui ont illuminé l'Histoire de l'Humanité et son linceul d'obscurité.

On peut passer son chemin, s'isoler des réseaux sociaux délétères pour des raisons de santé mentale évidente. Oui, on peut. Surtout, si on a pas la voix qui porte suffisamment loin, surtout si on a l'impression d'hurler dans le vide et de finir par devenir détestable à tous ceux qui préfèrent ne pas y prêter attention. Lorsqu'on a pas la puissance de frappe nécessaire, la puissance de feu qu'il faudrait, à quoi bon s'échiner tel un Don Quichotte ?

Soit. Laissons donc à ceux qui sont en première ligne, les politiques, les journalistes, les scientifiques, tous les acteurs de la vie civile la responsabilité de ce combat, car ils sont audibles ou ont a minima la capacité de l'être. Rien ne sert de se rendre malade face à tous les mensonges et calomnies journalières quand on a pas les moyens de les réduire au silence. Nous avons cependant encore, en tant que citoyens et membres de l'Humanité éclairée, deux responsabilités :

Nous nous devons d'abord de ne pas sombrer à notre tour, tout d'abord, de ne jamais prêter le flan ou accorder la moindre concession à tous les sophismes. Pour cela, un seul réflexe prévaut : celui du doute préalable. Il ne faut rien prendre pour acquis tant que cela n'est pas vérifié. Il ne faut pas céder à la facilité de croire ce qui nous est dit, simplement parce que cela semble affirmé de bonne foi.

Toute information se doit d'être vérifiée, c'est à dire dans un premier temps triangulée par des sources différentes ; puis d'être analysée afin d'être prouvée par une démonstration à l'appui de faits statistiques, scientifiques ou historiques dont les liens de causalité seront explicités. La vérité n'est pas gratuite, elle nécessite quelques efforts, mais une fois qu'elle est établie, elle est immuable. Nous nous devons à nous même cette exigence de rigueur dans la vérification de ce qui est dit ; nous nous devons également de rester intransigeants à l'égard des menteurs et des fourbes.

Puis nous nous devons d'interpeler ceux que j'appelle les premières lignes, lorsqu'ils faiblissent dans leur combat ou commence à montrer des signes de complaisance à l'égard des imposteurs. Nous nous devons aussi de devenir chacun lanceur d'alerte et de leur transmettre tout manquement au respect de la vérité que l'on aura débusqué. Nous pouvons également aider à financer les enquêtes ou les poursuites judiciaires pour qu'elles se multiplient et que nous puissions mettre fin à l'ère de la calomnie permanente.

Enfin, il faudra prendre soin de soi, se préserver pour ne pas se laisser emporter par la vague du mépris, de la haine ou du défaitisme. Et rester solidaire aussi, continuer de lutter à son échelle, même si ce sera long et jamais acquis. Il faut garder une chose en tête pourtant pour se consoler. Tout au long de l'Histoire, et malgré toutes les tentatives de maquillages ou de fabulations, la vérité a toujours fini par être rétablie.

Et pour finir, un dernier conseil. Éteignez votre poste de télévision. Sortez de chez vous, allez au kiosque à journaux, à la bibliothèque ou au cinéma. Votre meilleur ami est votre esprit critique. Servez vous-en, aiguisez-le. C'est l'arme qu'on ne pourra pas vous prendre tant qu'elle reste affûtée.

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