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Billet de blog 19 juillet 2024

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Lecture croisée : Edouard Louis et Juliette Rousseau

Dès la rentrée, les salves vont reprendre. Il faudra s’organiser à nouveau, faire acte de présence et de résistance. Le repos est donc un devoir, comme la permission pour le soldat.

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Les bouleversements politiques du début de l’été ont été particulièrement éprouvants, l’angoisse de revivre les pires heures de l’Histoire croissaient au fur et à mesure des semaines, passant de possibilité hypothétique à probabilité palpable. La mobilisation civile a permis finalement d’éviter le pire. Pour se remettre de cette période angoissante, il me fallait, comme à beaucoup, un retour au calme, une promesse d’apaisement momentanée avant la reprise d’une lutte désormais nécessaire. Car dès la rentrée, les salves vont reprendre. Il faudra s’organiser à nouveau, faire acte de présence et de résistance. Le repos est donc un devoir, comme la permission pour le soldat. Alors, pour cela, et afin de rester éveillée, j’ai choisi de lire de jeunes auteur.e.s, parmi ceux qui font la société civile qui s’est organisée durant cette période de remous. J’ai choisi Juliette Rousseau et Edouard Louis, parce que je ne les avais pas encore lus et parce que tous deux abordent le combat féministe de façon proche. Ils documentent, en effet, l’enfermement des femmes dans les milieux ruraux, tout en donnant de l’espoir en illustrant leur propre émancipation ou celle de leur proche - Fille et mère. Emancipation cependant toujours marquée par une culpabilité palpable.

Dans son livre « la vie têtue » Juliette Rousseau s’adresse à sa sœur anorexique, décédée prématurément d’une maladie rare. Cette correspondance à sens unique lui permet de faire son deuil et lui donne l’occasion de raconter les liens qu’elle entretient avec toutes les femmes de sa lignée : Sœurs, mère, fille. La domination masculine se lit partout, sans véhémence mais de façon brutale. Elle se manifeste essentiellement par le contrôle du corps féminin, dans lequel les hommes font intrusion, sans permission, à chaque âge qui suit la puberté. Ils contrôlent aussi les grossesses tantôt imposées tantôt interdites ; comme s’ils étaient seuls détenteurs d’une décision qui n’influe en rien sur leur propre matrice. Le contrôle du corps se lit aussi au travers des diktats esthétiques meurtrier ; sa nature doit être maitrisée pour être mince et lisse, à défaut il se verra avili, sali, détruit par les tombereaux d’insultes, le dégoût et le mépris. Juliette Rousseau est une rescapée de ce contrôle, sans doute car elle a, toute jeune, choisie de garder la main sur ce corps qui est le sien, malgré les invectives. Puis elle s’est tournée vers la capitale où l’emprise des hommes est affaiblie par l’éloignement des familles et voisins. Cependant, son attachement à la nature l’a rappelée à sa terre natale, où elle a choisi de voir grandir sa fille et de mener son combat féministe.

Parallèlement,  dans « Combats et métamorphoses d’une femme » Edouard Louis  s'adresse à sa mère, mais c'est à nous qu'il raconte la servitude quasi institutionnelle de celle-ci, son invisibilisation au cœur d’un foyer qui la condamne à une vie sans existence personnelle, réduite à celles de ses enfants et maris successifs alcooliques et violents. Il décrit dans un style sans fioriture, à visé délibérément sociologique, l’emprisonnement de sa mère dans une répétition de tâches élémentaires auxquelles elle ne trouve aucun intérêt. Elle se perd elle-même dans ce rôle qu'elle n'a pas choisi, alors qu'elle rêvait de tout autre chose. Cette condition est intrinsèquement liée aux caractéristiques biologiques de ce corps qui est le sien et à ce que la société en exige. Mais Edouard Louis expose aussi et surtout, la puissance de l’émancipation quand elle advient. Bien qu’il ne l’affirme pas aussi expressément, on comprend au fil des lignes, que c’est sa propre émancipation d’un milieu qui le vouait à la condition de paria, qui a permis à sa mère de s'autoriser à briser ses chaînes à son tour pour partir et prétendre enfin à un peu de bonheur.

C’est sur ce point que ces deux ouvrages féministes se rejoignent. Ils ne sont pas construits sur la violence de l’injustice ni sur la haine qu’elle peut engendrer, ni non plus en opposition à la force des oppresseurs. L’un comme l’autre, me semble-t-il, proposent avant tout de lutter en se rassemblant, en faisant cohésion, grâce au ciment de la solidarité, pour permettre à chacun.e de connaître un autre destin. Cette solidarité s’inscrit dans ces deux récits dans le cercle de la famille mais l’écriture permet de l'étendre au-delà de cette frontière, pour donner au projet de sororité un caractère plus universel.

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