En 1971, le secrétaire d'Etat au Trésor John Connolly répliquait ceci à ses homologues européens qui se plaignaient des fortes fluctuations du dollar : "the dollar is our currency but your problem". Depuis la chute du système de changes fixes issu des accords Bretton Woods, les Européens n'ont cessé de se lamenter que le dollar était ou bien trop faible ou bien trop fort. Même depuis l'introduction de l'euro, les Européens continuent à s'inquiéter du dollar trop faible ou du dollar trop fort. Il y a encore peu, Nicolas Sarkozy dénonçait un euro trop fort (donc un dollar trop faible) qui pénalisait les exportations françaises. Aujourd'hui, face à la panique des marchés financiers, tout le monde y va de son commentaire pour s'inquiéter de la baisse de l'euro voire de l'éclatement de la zone euro.
Qu'il me soit permis de réver qu’un dirigeant européen finisse par oser dire aux marchés financiers : "l'euro, c'est notre monnaie et votre problème".
Après tout, que l'euro baisse, c'est la meilleure nouvelle qui puisse arriver à la zone euro. Depuis 10 ans, l'euro était devenu la seconde monnaie de réserve dans le monde. Après un bref passage à vide lors de la chute de Lehman Brothers, la monnaie unique retrouva son rôle de valeur refuge. Ainsi, les Etats-Unis et l'Asie se refaisaient une santé économique en profitant de la faiblesse de leurs monnaies au détriment de l'euro qui ne cessait de monter. Avec la récession que la zone euro a connu en 2009 et l'épuisement des marges de manoeuvre de la politique monétaire de la BCE, le niveau élevé de l'euro faisait figure d'extrême onction pour l'économie européenne.
Nous pouvons donc remercier chaleureusement nos amis grecs d'avoir provoqué le relâchement de l'étau dans lequel se trouvait l'économie européenne. De plus, la baisse de l'euro permettra aux pays tels que la Grèce de souffler un peu. Une économie faible ne se refait pas une santé avec une monnaie forte !
A part le renchérissement des prix du pétrole et des matières premières, que doit-on donc craindre de la baisse de l'euro ? Une hausse des taux d'intérêt à long terme due à l'accroissement de la prime de risque ? Il suffit de jeter un œil sur les taux à 10 ans aux Etats-Unis et dans la zone euro : 3,25% pour cette dernière et 3,44% outre-atlantique. Bref, la panique des marchés financiers n’a pas encore touché la courbe des taux ! Alors, pour ceux qui se soucient de l’économie réelle, réjouissons-nous de la baisse de l’euro. Quant aux boursicoteurs, tant pis pour vous !
La panique actuelle sur les marchés financiers a certainement été déclenchée par la crise de l’euro mais si elle continue, ce n’est pas tant à cause de l’euro, mais plutôt de l’absence de monnaie de réserve solide. Depuis la fin de Bretton Woods, toutes les monnaies dans le monde sont dématérialisées. Par conséquent, la valeur d’une monnaie est relative. Elle repose entièrement sur la confiance des utilisateurs et la hiérarchie des niveaux de confiance dans les différentes monnaies. Or, depuis la crise financière, les fondamentaux des économies occidentales sont très dégradés et la défiance des marchés envers les monnaies occidentales est généralisée. Et comme il n’y a pas encore de substitut asiatique, les marchés financiers se font peur. Ce à quoi on assiste aujourd’hui n’est pas tant une bataille entre un dollar fort et un euro faible mais entre l’aveugle et le paralytique. Les investisseurs ne savent plus à quelle monnaie se vouer. Rien d’étonnant donc d’observer que la baisse de l’euro entraîne une ruée vers une très vieille monnaie … l’or.
Bien sûr, tout cela ne résout pas le problème de la dette grecque. Pourtant, une solution existe. Il suffirait seulement de créer un marché unique européen de la dette publique et on n’entendrait plus parler de crise grecque. Mais, les Allemands qui s’y sont opposés au moment de la création de l’euro, ne l’accepteraient pas. Il est pourtant là le problème de la zone euro : les Allemands (comme les autres pays membres) ont accepté que les Grecs intègrent la zone euro mais leur ont refusé d’en jouir pleinement. C’est la contradiction originelle de la zone euro qui éclate au grand jour aujourd’hui : une zone monétaire, on en fait partie pleinement ou on n'en fait pas partie du tout.