A quatorze ans, j’ai découvert la mobylette et les garçons, j’ai arrêté la gym, à dix-sept j’ai découvert la fête et l’alcool, j’ai abandonné les études.
Bringueuse mais bosseuse, j’avais trouvé un emploi pour les vacances dans ma ville natale que je n’avais d’ailleurs jamais quittée.
Une ville minière et industrielle aux matins glacés de brouillard et aux façades noircies par la houille. Cette houille qui se déposait au fil des ans en fines particules de poussières sur les murs sans soleil et les poumons des mineurs. Le charbon, la houille, le boulet que l’on retrouvait sous forme de confiserie dans les pâtisseries locales.
Ville noire, poussée au cœur de la Bourgogne romane, celle de la vouivre et des vignobles, des églises et des bistrots. Ville ouvrière, sans monuments historiques, sans passé mémorable, étirée entre un canal et une voie ferrée.
Les touristes de la route des vins ne faisaient pas de détour pour la visiter, ils avaient même tendance à fuir dés le premier instant et si un innocent persistait dans l’aventure, pour peu qu’il aime s’aviner, il y trouvait là des potes par dizaines. Entre « bois sans soif » on est vite frère.
Un jour, dans un bar appelé le Coquillage, atterrit un énergumène nommé Freddy, tronche fatiguée sous une casquette avachie. Grand buveur devant l’éternel, Freddy, au « Coq », avait trouvé son paradis.
Le Coq, coquillage échoué au bord du canal du centre, dans la ville minière voisine.
Le Coq coincé lui aussi entre le canal et la voie ferrée.
Le Coq, lieu de perdition et de délices pour la jeune fille avide d’expériences que j’étais à cet age.
C’était l’endroit que les parents interdisaient à leurs rejetons, et bien sur, c’était là et seulement là, qu’on avait envie d’aller.
Donc Freddy, arrivé de la banlieue parisienne, descendu du train par hasard, avait, grâce à cet instinct qui fait dire qu’il y a un bon Dieu pour les ivrognes, trouvé le chemin du Coquillage.
D’emblée adopté, il avait été baptisé d’office Freddy casquette quand il était à jeun et Freddy casse-couilles quand il était bourré.
Mais je ne suis pas là pour parler de Freddy, il a fait sa vie… Il est peut-être parti pour un avenir meilleur ou bien, épave enracinée, planté au comptoir dès l’aube, il boit le premier ballon de la journée, celui qui dompte le tremblement.
De tous ces fêtards, ces buveurs d’espérance, ces drogués, ces paumés, il n’en reste qu’une poignée …. Cette ville a dévoré ses enfants…..