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Billet de blog 12 juillet 2010

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Mauro Serri, James Lee Burke et Bertrand Tavernier

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En rentrant de la plage samedi dernier, après un bon bain de soleil qui empourpre la tronche plus que de coutume, nous traversons un gros bourg du riche pays picard, accostons sans encombres au ponton de la place du village, là où précisément un cowboy local s'évertue vainement à dompter les chevaux d'une moto en état d'ivresse. Autour du cascadeur, un attroupement du style quinquagénaire en fin de cycle genre chanson française, mais en plus rock, certains même manifestant clairement des signes extérieurs de violence musicale, cheveux gris longs, futales en cuir et grosses ceintures à boucle de métal ! Bref, des gars louches... qui en fait ne sont pas venus applaudir les prouesses de l'homme à la moto, mais font la pause entre deux sets de blues, genre musical qui consiste à faire pleurer une guitare sous les coups répétés d'une basse et d'une batterie. Un peu comme de l'Anne Sylvestre, mais en plus poétique.

Le chef de bande, pas un footballeur pourtant, un certain Mauro Serri, bandit calabrais né en Sardaigne et élevé au grain franchouillard, raconte avoir préféré dès son enfance les champs de coton aux chansons à boire. Il paraît qu'il aurait trouvé au croisement des routes des potions qui lui auraient inoculé le virus du blues. Derrière lui, alignées prêtes à faire feu, quatre machines d'enfer qu'il empoigne selon son humeur, faisant sortir de leurs panses des sons à vous foutre la chair de poule, des plaintes à vous dézinguer les boyaux, des larmes à vous faire regretter d'avoir écouté autre chose avant ça ! En retrait, derrière ses gamelles, un gars de la même tribu, Enrico Mattioli, pas vraiment un gros bras, mais un frappeur de première, emporte l'attelage sous ses coups de bélier et ramène sur la bonne piste le troupeau emballé avant que l'émotion dérape. Un peu plus loin, un grand mec, barbe et cheveux blonds à la général Custer, Marten Ingle, en apparence un calme british, ses paluches enlaçant sa machine aux sons lourds, il rythme en finesse, souplesse et légèreté le feu d'artifice des sons, parfois maltraite la bécane, la frappe et tente de lui arracher les cordes quand sa folie le déborde.

Un spectacle étonnant, trois gars qui se marrent, qui s'amusent sur scène, devant nous, presque comme si nous n'étions pas là, mais qui s'évertuent à nous faire décoller, à nous emmener loin dans leurs chansons d'amour de pauvres types, d'histoires de cocus et d'infidèles, dans leur musique en couleurs née sur les bords des rivières qui coulent de l'Ouest de l'Afrique au Sud des Etats-Unis. C'est vrai qu'en entendant ça, on oublie le reste, on écoute avec le bide, on se tortille l'émotif et on se vibre le palpitant sous les assauts des trois lascars. Les morceaux s'enchaînent, s'allongent, se fondent, ne font qu'un, jamais le même, mais toujours semblable, comme un poème déclinant à tous les temps une même émotion... Et ça ne s'arrêterait jamais s'il n'y avait pas les convenances, les voisins et ce qu'on appelle à tort le tapage nocturne, alors qu'on devrait parler dans ce cas de réveil nocturne ! Eux n'ont pas envie de se poser, nous non plus. Et pourtant faut bien y aller !

Au revoir à tous ! On emporte un CD pour se rappeler plus tard qu'on y était tout en sachant qu'on n'y retrouvera pas l'unicité de ce moment-là, mais ça ravivera le souvenir, ça rendra plus vivant le plaisir qu'on a eu et plus dur le regret que ça ne soit plus. Après avoir vécu ça, on se demande si on pourra écouter encore autre chose... et surtout si on doit écouter autre chose.

Moi, j'ai de la chance, car j'ai mes lectures du moment. James Lee Burke et ses Lousiana Stories, des polars qui se passent là où le blues est né, où la misère a des couleurs de pétrole, où les noirs sont encore aujourd'hui plus nègres que blacks, au milieu des bayous, sous les pacaniers et la mousse espagnole. C'est tout bêtement les aventures d'un adjoint du shérif de la commune de New Iberia, bourg voisin de Baton Rouge, un ancien du Vietnam et ancien alcoolique, qui sous prétexte d'énigmes policières fait visiter son pays, présente ces gens, les beaux comme les moches, encore tout empêtrés dans leur passé... et, derrière tout ça, la flotte omniprésente, l'humidité, la moiteur d'un climat, la nature exubérante et le blues en bande sonore. On ne le voit pas, mais on le sent...

Bertrand Tavernier en a fait un film , "Dans la brume électrique", avec Tommy Lee Jones dans le rôle principal et Buddy Guy dans le rôle du guitareux noir qui traîne sa misère au croisement des routes ! J'ai lu le livre, vu le film ensuite. Le DVD est double avec, en bonus, un échange entre Bertrand Tavernier et Buddy Guy : en fait, le blues, c'est de la chanson qui parle aux tripes, avec des mots qui sont des notes déchirées et inversement.

Si vous avez l'occasion de voir passer Mauro Serri, arrêtez-le, si vous pouvez lire et/ou voir "Dans la brume électrique" de James Lee Burke et Bertrand Tavernier, faites-le.

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