Un jour on m’a demandé de choisir une chanson que j’aimais, puis de prouver que je l’aimais ! Je l’aime et je le prouve ? Pas fastoche… Je l’aime et je le prouve : j’achète l’album, j’en parle à mes amis, je vais aux concerts pour l’entendre. C’est fait, je l’ai prouvé…
Pas compliqué au fond ! Mais je l’aime et je le prouve, dans le sen « je le démontre, j’explique pourquoi et je donne envie », ça, c’est une autre paire de manches ! Alors, aussitôt, le premier réflexe, c’est de se tourner vers un «grand», de se chercher une Brassens ou Ferré, une valeur sure, mais une chanson qui n’est pas une évidente, pas une vénérée par tous, histoire de montrer qu’on a de la culture. Puis on se dit que la chose a sûrement déjà été faite par des spécialistes, des sages, des encyclopédistes ou des universitaires et qu’on n’y ajoutera que des banalités, voire pire…
Finalement, c’est le « donner envie » qui l’emporte et on écoute en boucle l’élue de nos oreilles, en se demandant par quel bout on va l’agripper pour l’exposer… La mienne, mon élue, je l’écoute depuis qu’on m’a posé la question ! Je la trouve belle, mignonne, touchante, émouvante : elle m’arrache tantôt un sourire nostalgique, tantôt une p’tite larme tristounette et m’emporte dans un grand courant d’espoir. Elle est pourtant toute simple, avec des mots élémentaires. Pas besoin de dictionnaire pour la comprendre. Pas de prise de tête poétique, pas de rimes accouchées dans la douleur. Des phrases de tous les jours, des images banales, qui racontent une petite vie « normale ».
Le sujet est commun, le héros est bateau, c’est peut-être ce qui fait sa force, à ma p’tite chanson que j’aime et que je défends. Et puis la musique est douce, discrète au début, elle laisse la voix, jolie et sympathique, raconter l’histoire. Pas d’orchestre symphonique, pas de violon langoureux ! Juste une guitare et quelques notes, un chanteur qui y croit, des couplets et un refrain !
Rien de bien compliqué… Des souvenirs d’enfance, des images de bonheur, l’amour des parents, les quatre heures pour donner des forces, des copains, un tonton rigolo et les bouquins dans un lit… La vie sans chaos ! L’adolescence qui revient, frimeur, fumeur, le flipper, les potes, les petites amoureuses dans un lit. La vie sans souci ! Le jeune cadre, la p’tite famille, les enfants, la femme, les vacances à la plage, les mots croisés, les maîtresses, le sport à la télé qu’on regarde dans un lit ! La vie qui s’ennuie ?
Puis le clash… Imprévu et dont on ignore tout et dont on ne saura rien. La maladie, le stress, la déprime, le dégoût de tout ? Et le chanteur susurre ses regrets de bonheur disparu, la guitare joue en sourdine, car le silence est de rigueur à l’hôpital… Le moment où le temps prend son temps, où la vie s’arrête, le temps de faire le point, de voir tout ce qu’on n’aura plus. L’hôpital, c’est l’endroit où une simple visite, une promenade valent tous les loisirs branchés, une vinaigrette dans une salade tous les repas de fête…
«Y a plus d’été sur mes printemps / plus d’bouée sur l’océan», c’est quand même de la chouette poésie, ça ! Encore une histoire triste, un truc qui fout le blues, une vie qui s’arrête, qui se rétrécit… On sent les yeux qui se mouillent, l’hirondelle du faubourg n’est pas loin ! Mais non ! La musique revient au galop, comme la cavalerie dans un bon western, la voix se fait presque rock, le chanteur frappe l’instrument comme Kit Carson son cheval. Et la vie continue ! « J’aim’ tout c’ que j’ai pas droit / C’ qu’est barré , qui r’viendra pas !/ J’aim’ tout c’qu’est interdit ! / Sacré bonsoir ! J’aim’ la vie… ».
C’est du Brel à l’Olympia, par la fougue, par le tourbillon dans lequel s’engouffre le public… «La vie continue / Moi dedans / Bateau battu par les vents / Je m’habitue / Pas complèt’ment / Au menu / D’ ce restaurant». Mais c’est pas Brel, c’est pas Amsterdam… Ma p’tite chanson que j’aime, c’est «la vie continue » et le p’tit chanteur qui aime la vie, c’est Hervé Lapalud !