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Billet de blog 6 mars 2012

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S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la pita !

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Au-delà des difficultés économiques, la crise grecque révèle une grave crise démocratique, qui touche toute l’Union européenne. Au point de faire davantage ressembler nos gouvernants à la caricature de Marie-Antoinette qu’aux vertueux personnages qu’ils pensent incarner.

La situation en Grèce est bien entendu catastrophique. Elle l’est d’autant plus que toutes ces souffrances ne servent à rien : la « condition » imposée à l’Etat grec pour lui verser plusieurs dizaines de milliards d’euros porte sur moins de 400 M€. A ce stade de pointillisme, on est très loin de la vertu budgétaire, on est dans l’humiliation d’un Etat par ses « partenaires » lancés dans le concours de la plus grosse vertu. Macro-économiquement, toutes ces exigences, la priorité donnée à l’équilibre des budgets publics, n’ont aucun sens. La Grèce ne pourra jamais rembourser sa dette[1] et il n’y a plus que trois solutions : le prêt direct par la BCE à l’Etat grec, à des taux très faibles (inférieurs au taux de croissance de moyen terme), l’annulation de la dette, ou une inflation importante.  

Ce à quoi on assiste est un phénomène probablement unique dans l’histoire contemporaine, et qui doit être nommé : la transformation volontaire d’un pays développé en pays du tiers-monde. Précisément ce qui est reproché au marxisme-léninisme, à savoir la régression économique de l’Europe centrale après guerre. Le capitalisme était censé, à jamais, nous en protéger, c’est son ultima ratio et ce qui justifie que toute personne évoquant sa remise en cause soit bannie hors du cercle de la raison. La « tiers-mondisation » de la Grèce va jusqu’aux menaces de mise sous tutelle du pays, à l’envoi de spécialistes étrangers auprès du Gouvernement, et surtout à la « conditionnalité » des aides qui rappelle les plus sombres heures de la politique de la banque mondiale et du FMI, pourtant mainte fois dénoncée pour leurs effets pervers et leur inspiration purement idéologique[2]

La situation est d’autant plus critique que la Grèce n’est pas un cas isolé : en Hongrie, se multiplient les marches de la faim[3]. En Irlande ou en Lituanie, donnés en exemples à suivre, malgré des indicateurs de reprise facialement satisfaisants, la situation économique reste en réalité durablement catastrophique[4]. L’Europe est clairement en train de lâcher les plus faibles, on ne parle pas d’Etat mais de gens, au mépris de tout principe de solidarité. 

Le cœur du « modèle » ne va pas mieux : la France est dans la situation que l’on sait, tangentant la récession chaque trimestre, détruisant 10 000 emplois par mois[5] et gagnant 7% d’allocataires du RSA par an[6]. Le Royaume-Uni est enfoncé dans une crise économique plus durable que celle de 1929, grâce à la « thérapie de choc » fondée sur la vertu budgétaire et la confiance des marchés décidée par David Cameron[7]. L’Allemagne semble s’en sortir, mais au prix d’une contrainte colossale sur les niveaux de salaires réels, d’un accroissement considérable des inégalités[8] et d’une très probable dégradation massive des conditions de travail[9]

Le problème n’est pourtant pas tant économique que démocratique. Car face à cela, comment réagissent les Gouvernements ? Par la rigueur et la souffrance pour les gouvernés, l’autisme protégé par des cordons de policiers surarmés pour les gouvernants et leurs mandants réels. Les « unions sacrées » dirigés par des technocrates fleurissent partout. Heureusement, la décence l’a emporté après les émeutes du dimanche 12 février à Athènes et le peuple grec a bénéficié de compassion plutôt que des éternelles remontrances sur l’incapacité à comprendre et l’immaturité (encore que, l’éditorial du Monde du 13 février se voulait « balancé », ce qui en l’occurrence signifie scélérat). Mais sans remise en cause du processus global qui voudrait qu’il faut que tous souffrent sous la houlette d’élites éclairées. 

La crise est très profonde et ses symptômes se multiplient : 40 députés grecs se soient fait exclure de leur parti pour avoir refusé de voter avec l’adversaire ! Fait incroyable : ils ont osé ne pas tous être du même avis… qui peut dire la dernière fois qu’un député social-démocrate a été exclu de son parti pour des divergences (en l’occurrence, des convergences) socio-économiques ? En France, les Jack Lang, qui vote la réforme de la Constitution, et autres Manuel Valls, qui se prononce en faveur des mesures les plus antisociales proposées par la droite (la TVA « sociale » !), n’ont jamais risqué l’exclusion. 

Au-delà de cet épiphénomène, on n’envisage plus comme outil de réforme de la politique économique que des traités votés à la sauvette, sans débat. Celui sur le « mécanisme européen de stabilité », à savoir l’institutionnalisation des 10 plaies budgétaires en train de s’abattre sur Grèce, vient en débat devant l’Assemblée nationale le 21 février[1]. Qui le sait ?Qu’en a dit le parti socialiste ? Rien, et on ne peut en déduire qu’une chose, qu’il espère pouvoir le voter à la sauvette. Le problème est que la construction européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui nous condamne à ce phénomène, puisqu’on ne peut modifier les traités que par d’autres traités, que la négociation d’un traité est intrinsèquement un acte réservé aux gouvernements, et conduite plus ou moins secrètement, et qu’une fois qu’il a été négocié, il est impossible de le remettre en cause sans tout faire exploser. Confère le traité « portant constitution européenne » dont la ratification dans le dos des citoyens a consacré à la fois le fait que la démocratie était un doux souvenir, et qu’on pouvait l’assumer sans tout faire sauter. 

Il ne faut pas s’y tromper, et accuser l’Allemagne seule de cette situation. Certes, Angela Merkel a l’impression que son pays est le seul à pouvoir tirer son épingle du jeu, même s’il faut avoir une vision très partielle de la situation pour la suivre sur ce terrain, et elle use de la loi du plus fort. Certes, le chantage à la faillite conduit par les caïds du AAA, l’Allemagne, la Hollande et la Finlande, est odieux (et d’ailleurs probablement contre-productif même pour eux). Mais aucun gouvernement européen n’a mis la souveraineté de son peuple dans la balance, aucun n’a menacé de quitter l’union économique et monétaire, pour refuser la gouvernance économique absurde qui est en train d’être mise en place et qui ne bénéficie qu’à deux catégories de gens : les rentiers qui ont intérêt à une inflation très basse, et les technocrates et politiciens qui devraient avouer s’être trompés sans discontinuer depuis 25 ans. 

Le prétexte du gouvernement par une élite éclairée, c’est qu’il est le meilleur possible. En l’occurrence, les solutions retenues sont déraisonnables et dangereuses. Il n’y a aucune raison de ne pas laisser les peuples choisir, d’imposer le totalitarisme dans la rue et dans les hémicycles. La démocratie, c’est aussi, et peut-être avant tout, savoir mettre les pouces aux « réformes » quand 100 000 habitants d’un pays de 3,5 millions d’âmes sont dans la rue, quand le peuple n’a plus que sa colère pour tenter de contrôler ses dirigeants, puisque ses députés n’ont plus le choix de ce qu’ils votent, et que leur ex premier ministre se fait insulter s’il ose émettre l’hypothèse d’un référendum. Ce n’est en tout cas pas ce qui se passe en Europe en ce début 2012 et à part signer des pétitions, nous n’avons pas grand-chose à y faire...

Gaël Raimbault

[1] « Le 21 février, ce coup d’Etat à venir », Raoul Marc Jennar, 16 février 2012, http://www.placeaupeuple2012.fr/le-21-fevrier-ce-coup-detat-qui-se-profile/ 

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