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Billet de blog 13 février 2012

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Contre l'interdiction de la prostitution

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avertissement : les auteurs savent qu’il existe des hommes prostitués, mais choisissent délibérément la féminisation en vertu du principe majoritaire et contrairement aux règles du bon français, sans aucunement les soustraire à la démonstration. 

Depuis quelques mois, l’interdiction de la prostitution occupe à nouveau les pages « débats » de nos gazettes à l’initiative de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, rebondissant bien opportunément sur l’exposition médiatique des comportements sexuels présumés de M. Dominique Strauss-Kahn. La question de la prostitution y est abordée principalement sous l’angle du libre consentement de la prostituée. Les partisans de l’interdiction pensent que ce libre consentement n’est pas possible, l’activité de prostitution étant fondamentalement dégradante sur le plan physique et sur le plan moral. Les opposants à cette interdiction prônent généralement la « liberté sexuelle », et promeuvent la non-intervention de l’Etat dans un domaine qui relèverait de l’intime, du personnel, et donc exclusivement de la sphère « privée » : une position insensée dans une République constituée dont la raison d’être est bien la maximisation du bien collectif, parfois au détriment des volontés individuelles. 

Ces deux points de vue mènent l’un et l’autre à une impasse, car il ne sera jamais possible d’agglomérer les expériences subjectives des prostituées (la contrainte/la liberté, le plaisir/la souffrance, etc.) dans un ensemble homogène, sur lequel fonder une quelconque action politique. Ils ne sont que les deux faces d’une dialectique stérile qui, une fois de plus, détourne le débat public des vrais enjeux du sujet. 

Sur le problème du « choix » de la prostituée : 

Les « abolitionnistes » - moralistes contemporains qui assimilent la production de prestations sexuelles à une « peine » imposée aux prostituées<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> – avancent généralement l’estimation selon laquelle 80% des prostituées<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> exerceraient leur activité dans une situation de « contrainte ». Cette notion de « contrainte » n’est pas clairement définie mais on peut imaginer qu’elle est de deux types : 

<!- Certaines prostituées sont contraintes à leur activité par la force, au sein de réseaux criminels exerçant violences et pressions (confiscation de documents de voyage, privation de la liberté d’aller et de venir, vol de l’argent gagné par la prostituée…). Pour ce premier type de « contraintes », il existe déjà des qualifications pénales bien éprouvées : la prohibition du meurtre, de l’agression physique et morale, du viol, du viol en réunion, du proxénétisme, de l’esclavage, du travail forcé et de la séquestration… Les sanctions auxquelles l’on s’expose en enfreignant ses règles sont loin d’être symboliques et la véritable question réside dans les moyens dont on se dote pour arrêter et poursuivre les criminels en question, et pour mettre à l’abri leurs victimes.  

- Certaines prostituées sont contraintes à leur activité parce qu’elles ne trouvent pas d’alternatives pour subvenir à leurs besoins. C’est une hypothèse crédible car les femmes sont plus pauvres et plus fréquemment sans emploi que les hommes, surtout en période de chômage de masse, malgré un niveau de formation initiale aujourd’hui meilleur que leurs concitoyens. Cependant, l’objectif de disparition totale des revenus de la prostitution, défendu par le gouvernement actuel, sans ressources de substitution suffisantes pour les femmes concernées, est voué à l’échec. Si le gouvernement cherchait réellement à permettre au plus grand nombre de choisir sa profession, donc sa source de revenu, il devrait plutôt s’atteler à créer des emplois intéressants, bien rémunérés et conformes au niveau de qualification toujours plus élevé des Françaises ; il devrait songer à un revenu universel suffisamment élevé pour permettre à chacune de faire ses études sans travailler en parallèle (que ce soit au Mc Do ou en se prostituant), ou de passer des périodes plus difficiles de sa vie (notamment divorces et séparations qui sont des facteurs d’appauvrissement massif pour les femmes) ; il devrait déconnecter le droit individuel à la formation (pour les formations tout au long de la vie) de la détention d’un contrat de travail, dont les prostituées ne peuvent pas disposer, etc. Le refus obstiné de toute la classe politique, y compris la gauche, de proposer des mesures volontaires d’amélioration de la condition de vie des mères célibataires, des étudiantes ou des femmes seules demeure significatif, sujets qui n’ont aucune chance de rencontrer des relais médiatiques séduisants liant le féminisme à sa caricature vendable, comme, par exemple, les prouesses artistiques de jeunes branchées ou les carrières politiques de jeunes femmes dont  on ne prendra pas le risque qu’elles ne soient pas tout aussi jolies que les premières. 

Sur la spécificité de l’activité de prostitution dans l’univers du travail : 

En examinant les deux versants de la « contrainte » exercée sur les prostituées (violence/soumission, absence d’alternative économique), le traitement particulier réservé à la production de prestations sexuelles n’est pas compréhensible. 

Le travail, y compris dans ses formes traditionnelles, est encore un univers violent, tant sur le plan physique que moral, malgré la progression régulière de la protection des travailleurs à partir, grosso modo, de 1848. 

Le travail « classique » engendre des situations de stress physique intense. Si la difficile préservation de l’intégrité physique des prostituées compte tenu de leur surexposition à des risques particuliers (maladies sexuellement transmissibles) est un enjeu important, celle des autres travailleurs l’est tout autant : le nombre d’accidents graves du travail « classique » oscille aujourd’hui entre 43.000 et 51.000 par an et n’a pas significativement diminué en 25 ans, et le nombre de maladies professionnelles est en très forte progression.<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> L’enquête SUMER (Surveillance Médicale des risques professionnels) menée en 2003 par le Ministère en charge du Travail et de l’Emploi<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]--> a enregistré les évolutions de la situation des travailleurs entre 1994 et 2003, et celles-ci ne sont pas bonnes, surtout pour les ouvriers non qualifiés, plus souvent soumis à des poly-expositions nocives (par exemple, bruit+produits chimiques). Seul point vraiment positif, les durées longues de travail diminuent (semaine de + de 40 heures), grâce à la mise en place de la semaine de 35 heures. 

Plus encore, l’enquête SUMER montre que la pression psychologique liée au travail, entraînant des pathologies de plus en plus graves (dépression, épuisement,…), a augmenté pour tous les travailleurs. Le phénomène de job strain (forte demande psychologique combinée à une faible latitude décisionnelle et à un soutien social défaillant) touche d’ailleurs plus les femmes (28,2%) que les hommes (19,4%). Aussi la souffrance psychologique ou émotionnelle associée par les abolitionnistes à l’activité de prostitution existe en fait de façon très significative, et pour un nombre beaucoup plus important de personnes, dans des secteurs traditionnels du travail. Quotidiennement, des milliers de Françaises se font « violence » pour accomplir leur travail, activité globalement peu plébiscitée et non créatrice de plaisir de toute façon (selon une enquête sérieuse de l’INSEE<!--[if !supportFootnotes]-->[5]<!--[endif]-->), sans que ce phénomène ne provoque pour autant de mobilisation massive du gouvernement pour « sortir » les femmes du travail. 

Pour comprendre ce qui conduit les « abolitionnistes » à condamner la prostitution mais à tolérer les emplois d’ouvrières se relayant sur des chaînes de production de nuit, les emplois d’aides-soignantes qui nettoient les excréments de personnes âgées démentes, les emplois de femmes de ménage qui vident les poubelles des grandes entreprises entre 4h et 7h du matin, les emplois d’hôtesses d’accueil qui forment la profession la plus exposée aux agressions physiques au quotidien, il faut bien sûr faire un détour par le mythe de la « dignité » féminine fondée sur la rareté sélective de ses relations sexuelles, accomplies dans le cadre théorique de la pure gratuité. 

Que la gauche du centre s’épuise à séduire des médias n’ayant de moderne que le port du jean de ses journalistes par la prohibition de la prostitution la dispense de s’occuper des conditions de travail des ouvriers… Mais on sait, depuis les derniers rapports de Terra Nova ou les déclarations des grands candidats aux primaires socialistes, que, de toute façon, d’autres partis moins fréquentables les recueilleront. 

Conclusion et propositions 

Que faut-il en conclure ? Qu’encore une fois, l’Etat, comme toujours depuis trente ans, n’est capable, devant un problème qui se révèle, que de réprimer, de morigéner, d’externaliser, bref, de désespérer. Notre société ultra compétitive, individualiste et matérialiste ne peut aboutir, par la production de modèles et de standards conditionnants, qu’à des insatisfactions, des frustrations, dont la solution ne peut être tentée que par la névrose, la liberté ou l’aventure. La prostitution, comme le sport, l’art ou le travail, est une chose potentiellement dangereuse qui requiert l’organisation apaisée et confortable de son exercice. Abolie, ou refoulée, elle ne disparaîtra bien sûr pas, mais créera dans sa catacombe les conditions mafieuses de sa survie. Saint-Louis avait bien tenté en 1254 une abolition totale ; elle dura peu, et Paris revit bien vite quelques rues consacrées aux licences commerciales. 

Il ne faut pas qu’autoriser la prostitution, il faut l’organiser, et pourquoi pas la nationaliser. Recruter des prostitués hommes et femmes, être impitoyables avec les bandes mafieuses qui traitent ses employées comme du bétail (dont les abolitionnistes seront les complices de fait), protéger ses pratiquants et pratiquantes, leur assurer les droits de tout salarié en réglementant leurs cotisations, leurs droits à la protection sociale, à leur retraite, à leurs congés. Il ne s’agit pas rouvrir les maisons closes, mais justement de créer des maisons ouvertes, sereinement, courtoisement, pour que l’ignorance et l’aigreur ne puissent plus entacher notre époque du voile sale de l’obscurantisme.  

La Sotte et JL Lastelle

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