Depuis leur création dans le contexte de la crise des Gilets Jaunes de l’hiver 2018-2019, les cahiers citoyens - aussi connus sous le nom de « cahiers de doléances » - sont régulièrement sous les feux de l’actualité. Depuis plusieurs mois déjà, des initiatives appellent à donner accès à ces documents et laissent entendre qu’ils ne sont accessibles à personne.
Or ces cahiers et les autres données produites dans le cadre du Grand Débat national sont tenus à disposition du citoyen dans les services d'archives, dans le respect de la législation.
Les cahiers citoyens et autres données produites dans le cadre du Grand Débat national ne sont ni « perdus », ni « cachés » dans les services d’Archives, qui les tiennent à disposition du citoyen dans le respect de la législation.
Pourtant, depuis plusieurs mois déjà, de nombreuses initiatives appellent à donner accès aux cahiers citoyens et laissent entendre qu’ils ne sont accessibles à personne car « enterrés » dans les Archives.
Il est temps que soient apportées des précisions nécessaires à la bonne tenue du débat public ; il est fondamental d’affirmer avec force le rôle essentiel pour la société des archivistes et de l’institution des Archives, garants tout à la fois de l’accès aux documents et de la protection de la vie privée des individus.
Depuis leur création dans le contexte de la crise des Gilets Jaunes de l’hiver 2018-2019, les cahiers citoyens (aussi connus sous le nom de « cahiers de doléances ») sont régulièrement sous les feux de l’actualité. Ils sont devenus un objet polémique : certaines personnalités politiques - comme l’ancien Premier Ministre, Michel Barnier, et Lucie Castet, candidate à Matignon - ont ainsi dernièrement déclaré vouloir puiser dans leur contenu pour inspirer leur action ; d’autres ont accusé l'exécutif de n’en avoir tenu aucun compte.
Ils sont aussi au centre des sollicitations de chercheurs désirant en mener l’étude systématique ou de collectifs citoyens qui en réclament la publication. L’idée qu’ils seraient enterrés, enfermés, perdus, cachés aux Archives apparaît de manière récurrente.
Leur conservation aux Archives rendrait l’accès à l’expression de milliers de citoyens de fait impossible. Certains commentateurs semblent même voir dans cette situation le résultat d’une intention, voire d’une logique institutionnelle.
Avant d’aller imaginer un plan préétabli, rappelons quelques faits, et le droit.
Tout d’abord, ces documents constituent des archives publiques, en application du Code du patrimoine. Ouverts en mairie à l’initiative d’associations d’élus avant que l’État n’appelle à leur tenue dans le cadre du Grand Débat national, les cahiers y étaient librement accessibles à tout un chacun.
Certains maires y ont parfois adjoint des contributions individuelles à eux directement adressées, couvertes par le secret de la correspondance (relevant dans ce cas de la vie privée des individus).
Les préfectures ont ensuite concentré ces documents pour les numériser au format image. Elles ont transmis ces fichiers numériques au niveau national pour traitement et analyse des données, puis, conformément à la réglementation, ont versé aux Archives départementales les originaux papier et parfois des fichiers nativement numériques.
Une plateforme nationale de contributions a également été ouverte, dont les données, après traitement, ont été versées aux Archives nationales. Les cahiers citoyens, pris en charge et inventoriés dans les services d’Archives par les archivistes professionnels, y sont depuis accessibles dans le respect des règles définies par la loi : ils sont par principe immédiatement communicables, à moins que n’y aient été ajoutés des informations relevant du délai de 50 ans protégeant la vie privée des individus (art. L. 213-2 du code du patrimoine). Cette dernière situation concerne dans les faits une minorité de cahiers.
Eu égard à leur contenu sensible, toujours dans le souci de protéger la vie privée des individus et conformément aux préconisations de la CNIL, leur mise en ligne sur Internet en l’état n’est pas possible. En effet, les intéressés n’ont pas donné leur consentement (au sens du règlement général de protection des données).
Pour cette raison, avant toute mise en ligne, il convient de rechercher et d’occulter manuellement les informations d’identification (noms et prénoms des personnes ayant contribué, parfois revenus et état de santé, ou des éléments qui permettraient, directement ou indirectement, de les reconnaître), ce qui fait de l’anonymisation des cahiers citoyens une tâche qui est loin d’être anodine, nécessitant des moyens financiers et humains importants.
Les données collectées au niveau national sont, quant à elles, consultables aux Archives nationales, dans le respect des mêmes règles. Même quand ils ne sont pas immédiatement communicables, cahiers et documents associés ne sont pas « inaccessibles ».
En effet, la législation prévoit une procédure d'accès par dérogation. Elle engage le demandeur à ne pas divulguer les informations personnelles portées à sa connaissance lors de la consultation des documents dès lors qu’elles sont protégées par la loi.
Les cahiers citoyens, témoins d’un moment historique, constituent un corpus varié d’archives publiques, d’une grande richesse informationnelle sur l’état et les aspirations de la société. Loin d’être cachés, perdus ou enterrés dans les services publics d’Archives, ils y sont accessibles dans le respect d’une réglementation protectrice à la fois des droits de la société (droit à demander compte à tout agent public de son administration) et de ceux de l’individu (droit à la protection de la vie privée).
Les services d’archives et les archivistes qui y travaillent sont garants de cet équilibre indispensable au bon fonctionnement de nos institutions démocratiques.
En l’espèce, Archives et archivistes ne sauraient en aucun cas être rendus comptables des réponses politiques données aux revendications exprimées dans les cahiers citoyens ou de l'absence de financement des opérations nécessaires à la mise en ligne des cahiers.
Afin de faciliter l’accès aux cahiers citoyens, l’Association des archivistes français a élaboré un outil permettant, département par département, de repérer les cahiers conservés et fournissant, quand c'était possible, un lien vers leur description disponible en ligne. Outil d’ouverture, le résultat est librement consultable, sous forme de carte ou de tableur réutilisable, sur le site de l’AAF.
Les signataires
Lorène Béchard, vice-présidente à la normalisation de l’AAF
Julien Benedetti, membre de la section des archivistes départementaux
Pierre-Frédéric Brau, membre du bureau de la section des archivistes départementaux
Jean Chevalier, trésorier de l’AAF
Emilie Debled, présidente de la section des archivistes communaux, intercommunaux et itinérants de l’AAF
Louis Faivre d’Arcier, président de l’AAF
Alice Grippon, vice-présidente aux partenariats de l’AAF
Eve Jullien, vice-présidente aux formations de l’AAF
Cyril Longin, membre du conseil d’administration de l’AAF
Nathalie Mével, secrétaire de l’AAF
Jean-Bernard Moné, président de la section des archivistes départementaux de l’AAF
Marjorie Pailot, présidente de la section des archivistes en établissements de santé
Anne Pletinckx, membre du conseil d’administration de l’AAF
Landry Riche, président de la section des archivistes en administrations centrales et opérateurs de l’Etat de l’AAF
Lucile Schirr, vice-présidente à la vie associative de l’AAF
Sabrina Tavernier, présidente de la section des archivistes régionaux de l’AAF
Océane Valencia, présidente de la section AURORE de l’AAF
Edouard Vasseur, vice-président aux éditions de l’AAF