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« L'Occident ne représente ni un lieu, ni un repère cardinal, car c'est avant tout le champs historique d'un vaste projet politique et marchand. L'Occident n'est pas à l'Ouest, ce n'est pas un lieu : c'est un projet.»

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Billet de blog 13 mars 2025

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Groenland : point focal géostratégique, à l'intersection des colonisations

Questions ouvertes à Mediapart Le Journal : Pourquoi ne pas désormais systématiquement traiter le Groenland dans sa dimension géostratégique et militaire ? "Face à Gaïa", ou au moins avec les "contraintes écologiques" désormais structurantes ? Dans ses dimensions coloniales et impérialistes ? Si vous pas, qui alors ?

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« L'Occident ne représente ni un lieu, ni un repère cardinal, car c'est avant tout le champs historique d'un vaste projet politique et marchand. L'Occident n'est pas à l'Ouest, ce n'est pas un lieu : c'est un projet.» (Édouard Glissant)

Le 11 mars, la présentatrice du journal télévisé de France24 nous invitait – « soyons curieux » – à nous intéresser aux élections législatives au Groenland, en cours ce jour-là. Le sujet était intitulé : « Groenland : la mauvaise pêche des minerais stratégiques ». Résumé :

  • « 2,2 millions de km² » : « plus de quatre fois la France » (ainsi que la moitié de la surface totale de l'Union Européenne),
  • « 57000 habitants » : moins que le nombre rassemblé dans un stade pour un match de foot, le soir même (fait remarquer le journaliste qui donne la réplique à la présentatrice),
  • « colonisé par le Danemark au XIXième siècle ».

Une économie basée sur la pêche à 95% et et le tourisme. Un déficit budgétaire de 600 millions d'Euros comblé par une subvention du Danemark.  3 milliards de PIB pour 57000 habitants : indicateurs économiques par habitant meilleurs que la France. Mais des signes de précarité et de détresse extrême de la frange la plus précaire de la population. Beaucoup de suicides.

Les richesses des sous-sols de la plus grande île de la planète (après l'Australie) sont évoquées ... sur source de la « US Geological Survey ». Il deviendrait plus facile de localiser, et bientôt d'exploiter, du fait de la fonte des glaces.

Le journaliste – un peau-blanche qui répond aux questions d'une-peau-blanche-et-cheveux-blonds – évoque les prétentions "américaines" comme des « convoitises ». Les Etats-Unis partiraient ainsi à la pêche : pauvres Groenlandais à avoir tant de ressources inexploitées. Fin du sujet.

"Convoitise" ? "Mauvaise pêche" ? "Pêche" ?

Le 4 mars, Donald Trump faisait une déclaration devant le Congrès Américain : « Nous avons besoin du Groenland pour notre sécurité nationale et internationale. Et nous travaillons avec tous les membres concernés pour tenter de l'obtenir. Car nous en avons vraiment besoin pour la sécurité mondiale, et je pense que nous allons l'obtenir. D'une manière où d'une autre, nous l'obtiendrons ». Clameur de rires au Congrès.

Que veulent dire les rires du Congrès immédiatement après Trump déclarant : « D'une manière où d'une autre, nous l'obtiendrons ? » Quel sens donner à cette déclaration peu après les « échanges » du 28 février entre Zelensky, Trump et JD Vance à la Maison Blanche ? Après l'idée que Trump et JD Vance nous ont donné de la façon dont ils envisagent la "sécurité mondiale" ? Sont-ils vraiment en train de partir à la pêche ?

Le 11 mars (le même jour donc que le sujet précédemment évoqué) France24 organise un plateau-débat et pose la question « le Groenland peut-il résister aux ambitions de Donald Trump ?»

Mais comment la question peut-t-elle être posée en ces termes ? Comment la situation peut-elle être réduite à une "ambition" ?

Le Groenland appartient administrativement au Danemark, lui-même membre de l'Union Européenne. Pourquoi une telle déclaration de Trump vis-à-vis du Groenland n'est-elle donc pas perçue largement et spontanément comme une menace absolue sur l'espace européen ?

"Ambitions de Donald Trump" ?

Dans un désormais fameux discours prononcé devant le Sénat le 4 mars (en verbatim ici), Claude Malhuret a pourtant bien dessiné la situation :

"L'Europe est à un tournant critique de son Histoire. Le bouclier américain se dérobe, l'Ukraine risque d'être abandonnée, la Russie renforcée. Washington est devenue la cour de Néron (...) C'est un drame pour le monde libre, mais c'est d'abord un drame pour les États-Unis."

"[Trump] pense qu'il va intimider la Chine en se couchant devant Poutine, mais Xi Yinping devant un tel naufrage, est sans doute en train d'accélérer les préparatifs de l'invasion de Taiwan (...) Rappellons-nous qu'il n'a fallu qu'un mois, trois semaines et deux jours, pour mettre à bas la République de Weimar, et sa Constitution."

"Ce que veut Poutine, c'est la fin de l'ordre mis en place par les États-Unis et leurs alliés, avec comme premier principe l'interdiction d'acquérir des territoires par la force. Cette idée est à la source même de l'ONU, où aujourd'hui les Américains votent en faveur de l'agresseur et contre l'agressé parce que la vision Trumpienne coïncide avec celle de Poutine : un retour aux sphères d'influence, les grandes puissances dictant le sort des petits pays."

"À moi le Groenland, le Panama et le Canada ; à toi l'Ukraine, les pays baltes et l'Europe de l'Est ; à lui Taïwan et la mer de Chine. (...) Nous sommes donc seuls".

Nuances

Si l'on prend acte de l'analyse de Claude Malhuret, l'Europe se trouve donc désormais prise en tenaille entre :

  • côté ouest : les velléités impériales de Trump et ses oligarques,
  • côté est : les velléités impériales de Poutine, à qui Trump vient d'ouvrir une brèche à la mesure du soutien qu'il a retiré à l'Ukraine,

Cependant, il faut déjà apporter nuances et ajouts capitaux :

  • Elon Musk n'est pas un simple "bouffon sous kétamine" : SpaceX est en situation de quasi monopole sur l'accès à l'espace, idem pour les télécommunications via satellite via Starlink, et il détient le contrôle d'un des médias sociaux les plus importants pour faire et manipuler les opinions : Twitter/X.
  • Cette-fois ci, l'affrontement entre puissances impériales, se fait « face à Gaïa ». La géopolitique se tend parce que les Empires se sentent de plus en plus "à l'étroit" sur la planète, dont ils voient les ressources à exploiter s'amenuiser. Faudra-t-il qu'on laisse la situation empirer jusqu'à ce que, plus tard, les empires se dévorent mutuellement ?
  • Musk, pour vendre ses fusées SpaceX, propose de coloniser Mars pour régler ce petit problème, tout en ayant martelé comment les voitures électriques de Tesla accélère la transition vers un monde plus vert.

Traitement médiatique du Groenland : Où est Mediapart ?

Malgré ce titrage malheureux, France24 a le mérite de faire un plateau dont le contenu déborde très largement de son titre. Arnaud Orain (invité sur Mediapart le 2 février 2025) décrit comment le capitalisme passe désormais dans une phase absolument nouvelle : celle de la prédation impériale.

Mediapart, par contre, ne fait rien de plus que l'analyse des résultats électoraux dans un cadre national. Un seul article le 13 mars, intitulé "Les Groenlandais disent « non » à Trump… et au gouvernement sortant".

Aucune évocation des enjeux géopolitiques. Alors même que d'autres médias au delà de France24 le traitent ainsi. Alors même que Trump refait une sortie sur le Groenland le 14 mars : "Cela va arriver". 

Alors même que vous revendiquez (le 11 mars) avoir compris que "chaque minute compte".

Alors même que vous faîtes une Une (le 13 mars au soir) sur la colonisation  ...

Cadre d'analyse pour le traitement du Groenland vers les habitants de l'Europe

Pourquoi ne pas aborder le débat dans l'ampleur de la situation, de façon transversale ?

  • en rappelant (à défaut de les approfondir) les enjeux militaires du point de vue de l'Europe, désormais prise en tenaille entre les États-Unis de Trump à l'Ouest via le Groenland, et la Russie de Poutine à l'Est via la guerre en Ukraine,
  • en approfondissant la place désormais implacable de Gaïa dans l'Histoire (le fameux "jeu à trois" désormais irrémédiablement mis en lumière par Bruno Latour) ?
  • en répondant mot pour mot aux mensonges de Trump et compagnie ?
  • en posant que notre hyper-consumérisme de peaux blanches (notamment) ne fait toujours que mettre de l'huile sur le feu ?
  • en visibilisant systématiquement la relation coloniale du Danemark aux Inuits et au Groenland ?

Pourquoi au contraire persister dans une approche du journalisme basée sur un cadre d'analyse national, quand de nombreux signes partant de la France même démontrent qu'un discours au Sénat peut avoir de profondes répercussions dans le débat interne aux Etats-Unis ?

Pourquoi ne pas désormais systématiquement, au moins, focaliser les analyses sur les enjeux géostratégiques au Groenland, tout en y traitant la questions coloniale ? Si vous ne le faîtes pas, qui le fera ?

Bruno Latour: Comment s’orienter en politique ? © Bruno Latour
Goliath © Woodkid

« L'Occident ne représente ni un lieu, ni un repère cardinal, car c'est avant tout le champs historique d'un vaste projet politique et marchand. L'Occident n'est pas à l'Ouest, ce n'est pas un lieu : c'est un projet.» (Édouard Glissant)

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