Pour m’être promené (non sans crainte) place de la République, passant d’une prise de parole à une autre, constatant le désordre de ces groupes, je me suis remémoré un livre lu il y a bien des années dont les analyses permettent encore aujourd’hui de définir ce qu’est ce mouvement « horizontal » dénommé « Nuit debout ».
Ce livre, c’est celui d’Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine (« Bouquins », Robert Laffont, 2011), et particulièrement le tome 1 de La Révolution, L’anarchie. Ainsi la « Nuit debout », loin d’être une espérance, le lever de rideau d’une autre démocratie, une autre façon de faire de la politique, etc., représenterait plutôt ce que Taine évoquait à propos de la prise de la Bastille : ni une révolte ni une révolution, mais quelque chose de « plus grave encore » : une dissolution, un retour à l’état de nature. Ainsi, peut-on considérer sans grand risque d’erreur que derrière la « Nuit debout », se profilent l’ombre de l’anarchie et le pouvoir de la rue. La « Nuit debout », au vu du spectacle affligeant qu’offre chaque soir la place de la République, ne serait donc qu’ « une législature de carrefour et de place publique, anonyme, irresponsable, sans frein, précipitée en avant par des théories de café […] »
Taine décrit également le peuple révolté à l’œuvre pour renverser la société comme il a pris la Bastille, tel qu’on pourrait décrire « le peuple » rassemblé de la « Nuit debout » : face à la démission de l’Etat, cette foule n’est qu’un mélange de « misérables », d’« affamés », de « bandits » et de « patriotes », animés autant par le « crime » que par « l’esprit public », autant par « les passions méchantes que par « les passions généreuses ». Cette foule, selon Taine, est « un animal primitif », « surexcité », »farouche », « livré à ses sensations, à ses instincts et à ses appétits ».
Tout en essayant de m’en défendre, j’ai ressenti tout cela en parcourant la place de la République, sale et encombrée, et compris la « Nuit debout » comme le signe avant-coureur de la dissolution qui vient. Et fuyant enfin cette géhenne, les mots de Flaubert me revenaient en guise de conclusion :
« Nous sommes ballottés entre la société de Saint-Vincent-de-Paul et l'Internationale. Mais cette dernière fait trop de bêtises pour avoir la vie longue. Ah ! Quelle immorale bête que la foule ! Et qu'il est humiliant d'être homme ! »