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Billet de blog 21 octobre 2015

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POUR L'ALSACE, contre la fusion avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne

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Pour l’Alsace

« Pour faire de l’Alsace une région de kougelhopfs et de dumkopfs fossilisés, la France de l’après-guerre a commis un assassinat culturel. Par le biais de l’enseignement, elle s’est acharnée à nous déraciner de nos origines qui sont germaniques » (Tomi Ungerer, 7 septembre 2009). L’artiste alsacien Tomi Ungerer aurait pu remonter plus loin dans le XXe siècle car l’entreprise française de démolition de l’identité alsacienne commença dès 1918, une fois l’Alsace récupérée. Aujourd’hui, le mariage qu’on impose à l’Alsace avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne participe de la même entreprise : faire disparaître l’Alsace, sa culture, sa langue, son appartenance aux pays rhénans, son droit local, dans un ensemble étranger.

 L’ensemble projeté est un monstre incohérent dont la superficie est supérieure à celle de la Belgique ! On connaît bien en Alsace les performances économiques des Länder allemands dont certains sont très petits. Et que dire de Bâle et de son demi-canton dont la puissance industrielle et le rayonnement culturel sont si importants ? 

En réalité cette région a été dessinée à la va-vite, sur un coin de table de l’Elysée, un dimanche où son locataire était désœuvré.  Il ne savait que faire de la Champagne-Ardenne : la rattacher au Nord-Pas-de-Calais-Picardie ? A la seule Lorraine ? Allez, finalement on va la coller à la Lorraine et réunir tout ça à l’Alsace qui n’a qu’à tirer cet attelage improbable. « On a l’impression d’avoir servi de valeur d’ajustement, ce qui crée beaucoup de frustrations et de rancœur », dit  Jean-Paul Bachy, président ex-PS de la région Champagne-Ardenne.

Imagine-t-on raisonnable de désigner une capitale de région – Strasbourg – aussi excentrée, à 350 kilomètres de Reims par exemple ? Peut-on trouver raisonnable de marier des régions qui n’ont aucune liaison routière et ferroviaire transversale de qualité : 2 heures en voiture, 3 h 30 en train pour faire 95 km entre Colmar et Epinal (Vosges) ; 3 h 30 en voiture, de 3 h 40 à 6 heures en train pour faire 290 km entre Mulhouse et Saint-Dizier ?

C’est bien beau de vouloir gommer les Vosges, cette frontière physique, culturelle et historique – ne voit-on pas encore sur les crêtes des Vosges, à intervalle régulier, un grand nombre de bornes frontières marquées d’un « D » côté est et d’un « F » côté ouest ? – mais on ne peut ignorer que toute l’Alsace se projette vers l’Est, vers l’Allemagne et les pays rhénans, et qu’elle tourne le dos à la Lorraine, avec laquelle il n’y a plus aucune solidarité, si ce n’est, à peine, avec la Moselle qui, un temps, a partagé l’histoire de l’Alsace. On aurait pu envisager, à la limite, la reconstitution de l’Alsace-Lorraine dans son territoire de 1871 à 1918, c’est-à-dire réaliser une fusion de l’Alsace avec la seule Moselle, c’est-à-dire la Lorraine de langue germanique.  En réalité, de cette fusion-là, il ne fut jamais question à Paris, par peur sans doute de réveiller de vieux démons (?). Et pourtant, on les réveilla.

La fusion avec la Lorraine passait mal pour les raisons évoquées ci-dessus, parce qu’elle cassait en quelque sorte la solidarité et la dynamique alsacienne, économique et culturelle. Mais alors que dire de l’empilement supplémentaire de la Champagne-Ardenne. Qu’allons-nous bien pouvoir faire de cette région si éloignée, avec laquelle l’Alsace n’a strictement rien en commun, dont toute la partie centrale est en voie de désertification et est déjà dévitalisée (une grande partie des Ardennes, une partie de la Marne et de l’Aube, la Meuse et la Haute-Marne tout entières) et dont la seule partie dynamique - la région de Reims jusqu’à Troyes - est tournée vers l’Île-de-France et Paris (à 150 km de Reims et à 160 km de Troyes) avec qui elle est très bien reliée. Comme l’écrit Jean-Baptiste de Montvalon (Le Monde, 16 octobre 2015) : « Quel avenir dans ce magma confus qui s’étend vers l’ouest ? Quelle identité préserver avec des gens qui ont vocation à se fondre dans leur pauvre décor de banlieue rurale de l’Île-de-France ? »

Face à ce ratage complet qu’est déjà cette région Alca, Ala, Grand Est Europe… avant même d’exister, placés devant le fait accompli, sans qu’on leur demande leur avis, ni d’ailleurs aux Lorrains, aux Champenois et aux Ardennais, les Alsaciens, dans leur grande majorité se sont opposés à cette fusion – sur nos routes d’Alsace, beaucoup de panneaux indicateurs du nom d’une commune sont barrés de noir – les banderoles « Touche pas à l’Alsace » déployées dans toute l’Alsace et le drapeau régional Rot un Wiss (« rouge et blanc ») ressortant des tréfonds de l’histoire à l’occasion de nombreuses manifestations réunissant beaucoup de gens soucieux de l’avenir de leur Kleini Heimet  (« petite patrie ») malgré le black-out de la presse locale, très franchouillarde et qui a peur de son ombre dès que l’on évoque les particularités de l’Alsace et son appartenance au monde germanique.

Que dire de nos élus ? Bien sûr, au début, le président de la région Alsace, M. Richert (Les Républicains), suivit le mouvement et se montra lui aussi opposé à la fusion projetée. Sans aucun succès pour lui et ses collègues élus, ni aucune écoute à Paris. Tout ce petit monde politique local a démontré ainsi, s’il y avait encore la nécessité qu’il le démontrât, sa nullité complète et sa trouillardise devant un mouvement populaire qu’il ne contrôlait pas. Et sa duplicité, car, bien sûr, une fois les contours de la nouvelle région validés par le vote de l’Assemblée nationale, M. Richert a remballé son opposition de circonstance et se bat pour en être le prochain président.

Sur quoi la campagne électorale des uns est des autres sera-t-elle basée ? Probablement sur rien, aucun projet d’importance ou structurant pour la nouvelle région n’étant d’actualité. Bref, personne ne sait où il va, à l’exception du petit parti régionaliste Unser Land, présent lui aussi aux élections de décembre 2015, avec un projet bien clair : rejeter la fusion Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne. Pour que l’Alsace reste l’Alsace, reste elle-même pour être libre : Elsaß frei.

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