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Billet de blog 25 octobre 2018

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Ode à la caissière

L'immersion dans le vie trépidante d'une caissière. Respectée et estimée, la reconnaissance par ses pairs est le principal moteur à l'envie de faire ce métier. Souvent adulée, la caissière peut paraître inaccessible alors qu'elle n'en reste pas moins un être humain doué d'une sensibilité comme tout le monde.

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Un sentiment sensiblement similaire à l’obstruction soudaine de ses toilettes, qui deviennent ainsi donc sans l'avoir anticipé, inutilisables. Il peut être très frustrant, voir légèrement crispant, de devoir contrarier une envie naturelle devant l'inefficacité dudit précieux siège. Un sentiment désagréable comme lorsqu’on commence à s'adresser à une personne avec un simple mot, cette formule de politesse qui ne contient pourtant que deux syllabes que sont bon et jour (ou soir c'est l'intention qui compte), et qui peut s'avérer être plus ou moins très irritante lorsque ladite expression ne trouve pas son écho dans la bouche d'autrui, pas même par une expression faciale qui pallierait à ce mutisme soudain.

Se faisant ainsi, une personne accomplissant sa tâche « d'hôtesse de caisse », peut s'étaler abondamment un tube de Biafine sur l'intégralité de son corps à la fin sa journée de travail.

Oserai-je dire que les toilettes sont au transit ce que bonjour est au prémisse d'un premier échange se voulant au moins courtois ? Allez, soyons fous.

Sans parler de chaudière ni des formules tel qu'au revoir et merci, on se rend compte malheureusement souvent de l'utilité ou de la valeur de quelque chose, seulement lorsqu'il n'est plus là.

Merveilleux repère sociologique qu'est une caisse de grande surface, qui peut confirmer (en toute relativité) les propos de Brassens dans l'une de ses interviews « L'Homme se meurt dans l'Individu ». L'Homme trop happé par sa journée de travail, pressé de rentrer chez lui, passant dans un supermarché de centre-ville pour se dépanner, peut en oublier la personne se cachant derrière la voix annonciatrice d'un prix souvent sous-estimé. Outre l'invisibilité totale que revêt ce métier de caissier, les agressions verbales, les violences passives qui se manifestent par des mots, des intonations ou des regards mal placés sont bien trop souvent monnaie courante. Que l'élément déclencheur soit une promotion qui ne passe pas, une carte de fidélité qui eût été oubliée d'être réclamée, une attente trop longue... je ne pense pas ne me tromper en affirmant que la majorité des caissières et caissiers, eux aussi, auraient préféré qu'il en soit autrement.

L'impatience est devenue l'un des maux de ce siècle.

Mais comment Lui en vouloir ? Un magasin souvent austère où scintillent quelques promotions et produits alléchants, où une température froide accompagne une architecture qui l'est tout autant, des caisses en rang d'oignon où piétinent clients et salariés uniformisés dans un même tee-shirt uni au logo de l'entreprise, du monde qui grouille et se bouscule souvent sans se voir. Tout est fait pour consommer, en se préoccupant au minimum du reste.

Les distances sont posées.

L'installation des caisses automatiques en est l'exemple le plus criant. Le client autonome peut ainsi se délester d'une attente trop longue et de l'obligation au minimum social d'un échange verbal éreintant. Fort heureusement, comme nous l'avons constaté plus haut, obligation ne veut pas dire application automatique. Ouf.

Il y a peu, j'ai franchi une étape. Une légende urbaine s'est réalisée, sous mes yeux et mes oreilles ébahis. Lors de l’événement, je me voyais déjà raconter l'anecdote à mon entourage. Comme une fierté de dire « Mais tu sais pas quoi ?! », et apporter ma pierre à l'édifice de notre humanité flamboyante. Alors que j'expliquais à une cliente accompagnée de sa fille que son bon d'achat ne fonctionnait pas sur ma caisse, et que je la redirigeais ainsi vers l'accueil du magasin puisqu'il ne m'est pas autorisé et est impossible de faire ce genre de manipulation, elle déclara à sa progéniture sans prendre la peine de baisser d'un ton « Tu vois c'est pour ça que la prochaine fois on se fera livrer, et c'est pour ça aussi que tu dois bien travailler à l'école si tu ne veux pas finir comme ça ». Je ne saurais décrire l'attitude méprisante de cette adorable cliente qui ne m'adressa plus un regard, ne m'adressa plus un mot, prit ses tickets en souriant et secouant la tête.

Elle se dirigea vers l'accueil, je restai derrière ma caisse m'attelant à ma tâche incombée.

L'Individu recherche avant tout son accomplissement humain dans sa trajectoire estudiantine, dans son travail, la place qu'il occupe dans la société, la reconnaissance sociale qu'il engendre. Parfait contre exemple pour motiver ses enfants à cette trajectoire que la caissière courbée, que l'on ne voit que quelques minutes, tirant la gueule si possible, dans un magasin éclairé avec des néons qui ont le mérite de mettre en valeur notre chaleureux teint blafard ! Une caissière qui est obligée de demander avant d'aller aux toilettes, qui doit courir après les moindres petites heures pour palier à un contrat précaire. Une caissière qui doit utiliser son corps constamment et qui se retrouve bien trop rapidement avec des problèmes aux articulations et au dos. Une caissière qui doit faire appel à son supérieur pour le moindre petit problème d'encaissement.

C'est vrai qu'il y a mieux, comme il y a pire soit dit en passant.

Je ne voudrais surtout pas généraliser, là n'est pas mon intention. Mais quelque part, ne pourrait on pas remercier ce qu'on appelle les « sous-métiers » d'en être ainsi ? Sinon, comment se reconnait rait les « métiers » ? Comment se reconnaîtrait les « sur-métiers » ?

Cela vaut bien un bonjour, non ?

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