Je télécharge l’application. Je ne commente rien, ne cherche rien, ne clique nulle part. Je regarde simplement défiler les premières vidéos qui s’imposent à moi.
Cinq minutes. Pas plus.
Et ce que j’ai vu m’a laissée sans voix, puis profondément en colère.
● Des vidéos ouvertement islamophobes, qui attisent la peur, la haine, la confusion.
● Des propos anti-féministes, misogynes, banalisés comme des "opinions".
● Des vidéos stigmatisant les plus précaires et relayant des intox.
● Une omniprésence de contenus nationalistes, identitaires, pro-RN, qui propagent une vision régressive et violente du “patriotisme”.
● Des extraits de CNews, utilisés comme autorité morale ou “preuve irréfutable”.
● Des vidéos qui justifient la violence éducative sous couvert de tradition ou de bon sens.
● Des discours transphobes, grossophobes.
Le tout enrobé dans des formats ludiques, rythmés, esthétiques. Des effets de style. Une mise en scène qui donne l’impression de regarder un divertissement, pas une dérive.
Et je le répète : je n’ai donné aucune donnée à l’algorithme. Pas de like. Pas de recherche. Pas même un visionnage prolongé. C’était la page “Pour toi” par défaut.
Ce que cela signifie est vertigineux.
Des millions d’adolescents et de jeunes adultes en France (parfois dès l’enfance) sont exposés à ce type de contenu dès l’ouverture de l’application, sans filtre, sans modération, sans contre-discours.
Le message sous-jacent est limpide : la haine est virale. Elle capte l’attention. Elle déclenche des partages. Elle fait cliquer.
On sait que les logiques d’engagement récompensent la violence, la polarisation, le clash. Mais ce que j’ai vu en 5 minutes est une vitrine politique, pas un simple biais. Une propagande douce, déguisée en fun.
Je ne suis pas naïve. Je sais que la haine n’est pas née avec TikTok. Mais là, elle est optimisée, monétisée. Ce n’est plus de la parole marginale : c’est une esthétique dominante.
Un système où l’extrême droite, les masculinistes, les complotistes, les réactionnaires, les racistes ont compris comment détourner les codes du divertissement pour diffuser leur idéologie.
Pendant ce temps, les vidéos féministes, antiracistes, sociales, critiques... sont marginalisées, invisibilisées, parfois même censurées.
Que fait-on ? On regarde passivement cette fabrique de l’intolérance devenir la norme ?
Non. Il faut dire les choses. Et agir.
Appel à la société civile, aux éducateurs, aux journalistes, aux parents, au pouvoir public :
- Éduquons à l’esprit critique numérique.
Chaque élève, chaque adolescent, chaque citoyen doit comprendre que les plateformes sociales ne sont pas neutres. Elles orientent nos pensées, polarisent nos émotions, nourrissent la haine bien plus vite que la nuance.
- Exigeons la transparence des algorithmes.
Le Digital Services Act donne un cadre, mais il est trop peu appliqué. Il faut une mobilisation large pour forcer les plateformes à rendre compte de leur fonctionnement réel, et de leur impact sociétal.
- Demandons des modérations dignes de ce nom.
TikTok, comme d’autres, externalise sa modération, souvent mal formée et débordée. Nous devons exiger des effectifs formés, humains, transparents avec des comptes à rendre aux citoyens.
- Donnons de la voix aux contre-discours.
Les mouvements féministes, antiracistes, écologistes, sociaux ont besoin de soutien pour occuper ces espaces numériques. Si on les abandonne, on laisse le champ libre à l’extrême droite.
- Exigeons des pouvoirs publics une régulation ferme et ambitieuse des plateformes numériques.
Cela passe par l’application stricte du Digital Services Act, une protection renforcée des mineurs, l’intégration de l’éducation au numérique à l’école, le soutien aux contre-discours citoyens, et la création d’une instance de veille indépendante sur les dérives algorithmiques et les discours de haine.
- Surveillons, témoignons, partageons.
Ce que j’ai vu ne doit pas rester un détail ou un “effet secondaire”. C’est un symptôme grave. Il faut en parler, documenter, alerter.
Ce billet est un cri d’alarme. Ce n’est ni une exagération ni un cas isolé.
C’est une plongée involontaire dans ce que des millions de jeunes vivent chaque jour, souvent sans s’en rendre compte.
Si les plateformes sont devenues les nouveaux lieux de socialisation, alors elles doivent aussi devenir des terrains de vigilance collective.
Il n’est pas trop tard pour agir. Mais il est très tard pour rester silencieux.