J’ai passé des heures à explorer TikTok. Ce que j’y ai trouvé : des dizaines de vidéos d’adolescents parlant de leur mal-être, montrant leurs blessures, partageant leur volonté d’en finir. En accès libre. Sans modération.
On y voit des bras lacérés, des visages scarifiés, des séjours en hôpital psychiatrique filmés comme des vlogs, et même des lettres d’adieu filmées en silence, soigneusement pliées.
Il y a aussi, plus insidieux, ces tutoriels déguisés pour “en finir”, évoquant sans détour la pendaison, le saut d’un pont, le passage sous un train.
La scarification est devenue non seulement un effet de mode, mais aussi une addiction.
Un langage du corps quand les mots ne suffisent plus.
TikTok n’a pas inventé la souffrance. Mais il en a fait un produit d’appel, un moteur
d’engagement, un fil sans fin de douleur algorithmique.
Car ce n’est pas une exception. C’est une tendance.
Une trend, même : une musique précise, une chorégraphie, un angle de caméra.
Ces jeunes ne chantent pas : ils montrent leurs plaies, répètent les mêmes gestes, avec les mêmes filtres. Ils deviennent spectateurs et acteurs d’une spirale de désespoir où les vues remplacent l’écoute, les likes remplacent l’attention, et les commentaires prennent la place des soins.
Quand la justice s’en mêle, TikTok continue de faire défiler la douleur
En 2024, sept familles françaises ont assigné TikTok en justice. Deux de leurs filles, mineures, se sont suicidées après avoir été exposées à des contenus similaires. Cette action collective, encore trop peu relayée, confirme que ce phénomène tue.
Et depuis ? Rien, ou presque. Les vidéos continuent. Et l’algorithme tourne.
La politique regarde-t-elle ailleurs ?
Une commission d’enquête parlementaire sur TikTok est menée par le député Arthur
Delaporte. C’est un premier pas. Mais pendant qu’on auditionne les dirigeants de la
plateforme et des influenceurs, des adolescents tombent. Chaque jour.
TikTok ne répond pas. TikTok engrange.
Ce réseau ne se contente pas d’héberger cette détresse : il l’encourage, il la propage, il la rend virale.
J’ai moi-même signalé des dizaines de contenus suicidaires, d’appels à l’aide évidents, de corps mutilés filmés de près.
La réponse de la plateforme ?
“Ces vidéos ne contreviennent pas aux règles de la communauté.”
Alors les vidéos restent.
Et les enfants sombrent.
TikTok n’est pas un refuge. C’est un accélérateur de douleur.
Son algorithme monétise les émotions les plus sombres, renforce les spirales psychiques, et pousse les adolescents à se montrer toujours plus blessés, toujours plus désespérés pour exister dans un fil qui ne s’arrête jamais.
Une responsabilité collective
Ce phénomène n’est ni marginal, ni isolé.
Il est massif, structuré, codé, et largement ignoré dans le débat public.
Un simple emoji “zèbre” — utilisé comme code pour parler de scarification — suffit pour accéder à un univers entier de contenus auto-destructeurs.
Les adolescents ont appris à contourner la censure. Plus vite que nous n’avons appris à les protéger.
Et pendant ce temps, les familles sont dépassées, les écoles impuissantes, les professionnels de santé débordés, les institutions silencieuses.
L’État doit agir. Maintenant.
La santé mentale a été proclamée Grande Cause Nationale 2025.
Alors qu’attendons-nous ?
Nous avons besoin de mesures fortes, immédiates, courageuses :
Une modération humaine, formée, francophone, dédiée à ces contenus.
La suppression immédiate de toute vidéo faisant l’apologie ou la mise en scène de la scarification, du suicide ou de la psychiatrisation “cool”.
Une régulation urgente des algorithmes, afin qu’ils cessent de recommander en boucle ces contenus morbides.
Une stratégie nationale d’accompagnement des familles, des établissements scolaires et des soignants, pour faire face à cette vague de mal-être numérisé.
Ce n’est pas une tendance. C’est un cri.
Il y a urgence à légiférer. Urgence à faire cesser cette glorification du mal-être.
Urgence à ne plus laisser des multinationales numériques monétiser le désespoir adolescent.
Car quand montrer ses plaies devient “cool” alors il ne s’agit plus de réseaux sociaux. Il s’agit d’un système de destruction.
Et ce système, nous devons le démanteler.
Parce que derrière ces vidéos, il y a des enfants.
Vivants aujourd’hui.
Et peut-être plus demain.