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Billet de blog 3 avril 2011

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"Pina" de Wim Wenders - Sortie en salles 6 avril 2011

Avec Pina, Wim Wenders reussit l'exploit rare de savamment imbriquer deux films l'un dans l'autre, ainsi que de permettre la rencontre de deux mondes, le grand public et celui plus cinéphile habitué au cinéma d'auteur et au documentaire, amenés peut-être à n'en faire qu'un à la fin de la projection.

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Avec Pina, Wim Wenders reussit l'exploit rare de savamment imbriquer deux films l'un dans l'autre, ainsi que de permettre la rencontre de deux mondes, le grand public et celui plus cinéphile habitué au cinéma d'auteur et au documentaire, amenés peut-être à n'en faire qu'un à la fin de la projection. Pina est aussi une des plus belles œuvres du cinéaste allemand, novatrice, profondément personnelle et d'une beauté fulgurante.

Destiné à un large public, étranger à la danse tout comme à la chorégraphe Pina Bausch ou au cinéma de Wim Wenders, Pina est avant tout un hommage et une découverte de l'univers de Pina Bausch et au-delà de celui de la danse comme spectacle populaire au sens noble du terme. Mais ce serait là réduire le film car, en filigrane, plus confidentiel, le témoignage discret, intimiste et pudique de l'amitié qui liait depuis plus de 20 ans Wim Wenders et Pina Bausch, s'emboîte parfaitement à la trame première sans cassure ni obstacle. C'est d'ailleurs la caractéristique et la qualité première de Pina que de briser tous les obstacles.

Comme pour nombre de films de Wim Wenders, en particulier L'état des choses, Buena Vista Social Club, ou L'ami américain, l'histoire et la genèse de celui-ci est encore assez singulière pour le cinéaste dont on connait la prédilection à entretenir des liens ténus entre amitié et cinéma.

Pina, c'est l'aboutissement d'un projet de film que menaient le cinéaste et la chorégraphe depuis plus de 20 ans et qui au début du tournage tant attendu connaît un sort funeste : la mort prématurée de Pina Bausch en juin 2009. C'est alors un autre film qui prend naissance et qui nous est donné à voir. Le film aurait tout aussi bien pu s'intituler « Sur les ailes de Pina Bausch » tant les univers, le propos du cinéaste et de la chorégraphe s'entremêlent ici, tant il y est question de désir et de vie. Que le spectateur ne s'y méprenne pas : il ne s'agit pas d'un documentaire sur la chorégraphe Pina Bausch mais « Un film de Wim Wenders pour Pina Bausch ». La nuance est de taille et mérite d'être soulignée pour comprendre le choix filmique de Wim Wenders qui justifie la mention faite au générique.
 

D'emblée, le parti pris de Wim Wenders est la sobriété de la mise en scène et la simplicité du fil narratif, pour un film qui porte déjà en lui la puissance de la danse et l'usage de la 3D pour la première fois dans une œuvre d'art et d'essai. Telle une cérémonie, le film s'ouvre et se referme avec le cortège des danseurs de l'Ensemble, passant du théâtre clos à l'espace ouvert se refusant à clore la danse de la vie. Le tournage des quatre pièces majeures de Pina Bausch inscrites au répertoire du Tanztheater Wuppertal avec les danseurs de l'Ensemble se prolonge ensuite à l'extérieur dans la ville de Wuppertal et ses environs avec des des soli et des duos de danseurs succédant à des séquences souvenirs illustrées de la sorte. Wim Wenders qui affectionne les espaces aériens et les grands espaces dépouillés exploite les éléments naturels chers à Pina, en privilégiant la couleur tant des costumes que celle des lumières. Le film trouve sa respiration naturelle, son rythme et son homogénéité grâce à des scènes intermèdes de la mémoire et du souvenir que constituent les plans fixes sur les visages des danseurs se souvenant de Pina, en voix off, tout comme ces courtes scènes poétiques presque oniriques, brèves images d'archives de Pina qui s'incrustent dans le présent et qui insufflent au film la dimension mystique de la chorégraphe et contribuent à sa profondeur.
 

L'espace ainsi éclaté, le temps de la vie et de la mort est aboli. Wim Wenders parvient à briser l'espace scénique clos mais aussi celui imposé par le mur de la mort de Pina et passe avec un élan vital d'une énergie incroyable, avec les danseurs de l'Ensemble, « du » et « de » notre théâtre intérieur au théâtre de la vie avec ses facéties, ses gestuelles cocasses, douloureuses ou enchantées, proches de l'univers de l'enfance commun à la chorégraphe et au cinéaste.

On retient la séquence vertigineuse du métro aérien (qui impressionnait déjà dans Alice dans les Villes) et celle d'une bouffonnerie totale d'un coussin péteur et d'un homme aux oreilles de lapin, le duo masculin des retrouvailles père-fils devenus adultes et retombant en enfance, comme la poésie du théâtre miniaturisé à la façon des voyages de Gulliver.

Plutôt ode que danse macabre, toute morbidité est absente de Pina qu'on peut voir comme une cérémonie de retrouvailles et non pas d'adieux et où l'émotion affleure sans jamais sombrer dans la mortification ou la tristesse.

La mort, tout comme la joie, la souffrance et la solitude font partie de l'univers de Pina Bausch comme de celui de Wim Wenders et ce film en apporte un éclairage saisissant et inattendu sur l'œuvre cinématographique de ce dernier.
 

Film dense qui n'en finit pas de danser de l'intérieur à l'extérieur, brisant tous les obstacles, ceux de l'espace, des langues, des corps rendus à leur singularité, leur puissance et à leur érotisme pour toucher au plus près à l'essence de la danse, oscillant toujours entre profane et sacré. Le regard aimant de Wim Wenders, le choix d'avoir placé une caméra au centre de la scène, l'utilisation de la 3D contribuent largement à briser l'hermétisme que n'aurait pas manqué de constituer un tournage de facture classique. Ainsi, cette mort, celle de l'amie mais aussi de la chorégraphe qui laisse ses danseurs endeuillés, Wim Wenders parvient aussi à la transcender par une mise en scène épurée mais audacieuse dans ses trouvailles et pari tenu, la technologie exploitée et justifiée se fait totalement oublier.

Il y a des alliances, des accointances qui ainsi vont de soi. Qui mieux que Wim Wenders aurait pu saisir le mysticisme gracieux et enfantin de Pina Bausch? Seul Fellini avait su l'approcher avec cette délicatesse dans E la nave va où toute la mélancolie inspirée de Pina s'illustrait dans le personnage de la Princesse Lherimia pour qui chaque note et chaque voix avait sa propre couleur.

Wim Wenders ne revient pas sur ses pas avec ce documentaire mais confirme avec brio et force son talent de grand cinéaste inventif et pionnier, et si le documentaire - difficile à dissocier totalement de la fiction – est toujours une tentative de transposition du réel, il reste ainsi à cette frontière, une œuvre éminemment autobiographique qui à saisir son sujet avec tant d'amour parvient à dévoiler ici à son insu, des pans entiers de son propre univers et de son cinéma.

« Dansez, dansez sinon nous sommes perdus » scandait Pina Bausch, « Comme s'il fallait parfois se pencher pour vivre » répond la trapéziste des Ailes du désir, en constatant que « C'est peut-être le temps, le problème ».
 

On ne sort pas de la projection de Pina joyeux ou de bonne humeur, même si le rire, le sourire l'emportent dans la salle, on en sort avec une émotion toute enfantine, celle de vouloir se dépêcher d'entrer dans la danse de la vie, ce qui est un projet bien plus ambitieux et vital, moins éphémère dans une période qui l'est elle, assurément.

Laura Tuffery

Texte mis en ligne le 3 avril 2011 sur www.culturopoing.com

 http://www.culturopoing.com/Cinema/Wim+Wenders+Pina+-3893

Sortie en salles le 6 avril 2011.

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