Avec Ultimo Elvis, Armando Bo le co-scénariste de Biutiful de Gonzalez Iñaritu, crée la surprise avec une une première oeuvre singulière très maîtrisée, mélancolique et crépusculaire. En retraçant le parcours du sosie vocal argentin d’Elvis Presley, Carlos Gutiérrez, ouvrier manutentionnaire « bon qu'à chanter » et dont la voix d'or s'échoue contre les parois de la vie et contre celles, argentines ou pas, du « rêve américain », offre aussi peut-être à son insu et en miroir un premier portrait d’Elvis Presley au cinéma.
Si Ultimo Elvis emporte et transporte c’est qu’il est empreint de fantasmagorie, de rock et de répliques succulentes certes, mais vient surtout s’inscrire dans la lignée de ces films à fleur de peau - tels The Wrestler de Daren Aronofsky ou de ceux de Gonzalez Iñaritu - qui portent à bout de bras « le bonheur de la tristesse » de loosers gagnants, avec une énergie de vie déconcertante, émouvante. Beau.
A l'instar du titre dont la sémantique offre un florilège d'interprétations possibles - la dernière période d'Elvis à Las Vegas, l'ultime et unique roi du rock'n'roll mais aussi le dernier des Mohicans modernes qu'est son sosie Carlos Gutiérrez dans son romantisme et son incurable nostalgie - Ultimo Elvis est construit de manière circulaire, de sorte à brouiller les pistes entre la vie de l'un interprétant les chansons de l'autre, la ville de l'un, Avellaneda, banlieue portuaire désaffectée de Buenos Aires et Memphis, berceau du blues qui vit naître l'autre près du Mississippi. C’est grâce à ce subterfuge des plus habiles, un solide scénario construit en trompe l’œil, qu’Armando Bo rend ainsi et sans doute à son insu le premier et le plus vibrants des hommages possibles à Elvis Presley, sans que le film en soit l’intention première.
Grâce à un dispositif cinématographique, qui tient essentiellement aux choix de mise en scène sans avoir recours à une quelconque reconstitution des lieux ni à un grimage de l'acteur principal John Mc Inerny dont la performance d'acteur-interprète des chansons d'Elvis inonde totalement l'écran, Armando Bo parvient à créer l'illusion entre la vie réelle de l'un, qui n'est que musique et celle de l'autre pour qui il en fut ainsi; le destin de l'un, gauche et inapte à s'emparer du réel qui est le sien et celui de l'autre qui vit sa vie lui échapper en grande partie.
Carlos Gutiérrez est manoeuvre dans une usine de tôle dans le sud de Buenos Aires le jour, et sosie d'Elvis la nuit quand il revêt son mythique costume blanc pour entonner dans des salles polyvalentes semi désertes, avec une voix chaude et bluffante, un Suspicious Minds plus que convaincant. Au guichet, il croise Mick Jagger, Iggy Pop ou Freddie Mercury, qu'il toise et double dans la file d'attente totalement détaché comme le sont sa démarche lente et massive, son regard tantôt étonné, tantôt désarmé et impuissant. Ainsi, séparé de sa femme Priscilla (Griselda Siciliani) sans l'avoir intégré, c'est un père évanescent, traversé de bout en bout par l'émotion, qui parvient à apaiser sa fille Lisa Marie (Margarita López) à la guitare, tout comme c'est un fils qui n'a que sa voix d'Elvis comme trophée à offrir au chevet de sa mère mourante. Geste de libération ou unique et ultime acte de rébellion alors qu'il a atteint 42 ans, l'âge fatidique de la mort d'Elvis, mettre le feu à l'usine dans laquelle il travaille est autant la signature de son échec que celle de la réussite de son propre chemin, celui où sa vie semble chanter en silence « Ne me secouez plus, je suis plein de larmes » se confondant dès lors dans un parallélisme qui déjoue les lois de la géométrie avec celle d'Elvis Presley.
Avec un calme et une détermination silencieuse, sans voix, il embarque pour Graceland, traversant Highways et Fast food, assis au milieu des touristes et des cohortes de fans venus du monde entier et dès lors, Elvis redevient Carlos Gutiérrez, pour un moment, un moment seulement. Cette seconde et ultime partie du film si elle s'emboîte parfaitement à la première crée un réel effet de surprise, tant les décors se confondent et se suivent aidés en cela par de superbes plans séquences qui empruntent toujours le regard de Carlos/Elvis, ici et là-bas.
Par effet de miroir ou de kaléidoscope et c'est ce qui fait la force de Ultimo Elvis, c'est le visage, le corps obèse, la vie d'Elvis - qui décida si peu de celle-ci et de sa carrière - reclus à Graceland, qui jaillit et se confond simultanément à celle de Carlos Gutiérrez dans une vie, une maison trop à l'étroit pour une telle voix. Le premier et dernier plan du film – auxquels il faut absolument prêter l'oeil - bouclent ainsi deux parcours confondus qui s'ils ne sont pas rock'n'roll, chantent à l'unisson du « blues » qui nous poursuit longtemps après la projection et demeurent « Always on my mind ».
Laura Tuffery
Article mis en ligne le 06/01/2013 sur www.culturopoing.com
Sortie salles le 16/01/2013
Une avant première est organisée le 08/01/2013 à UGC Bercy, date anniversaire d'Elvis Presley,
en présence du réalisateur et de l'acteur qui donnera un miniconcert à la fin de la projection.