Sélectionné lors de la dernière édition du Sundance Festival, El Ultimo Elvis, premier long métrage du réalisateur argentin Armando Bo(1), co-scénariste du film Biutiful d'Alejandro González Iñárritu, a été plébiscité et récompensé du Prix « Découverte de la critique française » lors du Festival CinéLatino à Toulouse le 1er avril dernier. Sorti dans les salles argentines le 26 avril, El ultimo Elvis première oeuvre parfaitement maîtrisée tant dans sa mise en scène que dans l'écriture de son scénario co-signé par Armando Bo lui-même et Nicolas Giacobone, sortira à la rentrée prochaine en France.
Vu en compétition au Festival CinéLatino, focale sur ce film hommage à une certaine idée d'Elvis, accompagnée de l'interview de John Mc Inerny l'acteur principal et interprète des chansons du King, dans un film qui aurait tout aussi bien pu s'intituler « Dans la peau d'Elvis ».
Mélancolique et crépusculaire, El Ultimo Elvis, premier film d'Armando Bo est aussi et on peut s'en étonner, le premier film de fiction ayant pour objet Elvis Presley dans son universalité et au plus intime de l'homme dans les dernières années de sa vie, sans que le réalisateur n'ai cédé à la tentation du Biopic ni à la facilité du prétexte de l'icône. Par un subterfuge des plus habiles, grâce à un solide scénario et un acteur interprète hors pair, John Mc Inerny dont il s'agit du premier rôle à l'écran, Armando Bo rend ainsi le premier et le plus beaux des hommages possibles à Elvis Presley et à l'inventeur du rock'n'roll. En retraçant le parcours de son sosie vocal argentin, Carlos Gutiérrez, ouvrier manutentionnaire « bon qu'à chanter », et dont la voix d'or s'échoue elle aussi contre les parois de la vie et contre celles, argentines ou pas, du « Rêve américain », Armando Bo signe ici comme réalisateur une première oeuvre singulière très maîtrisée, empreinte de fantasmagorie, de rock et de répliques succulentes.

A l'instar du titre dont la sémantique offre un florilège d'interprétations possibles - la dernière période d'Elvis à Las Vegas, l'ultime et unique roi du rock'n'roll mais aussi le dernier des Mohicans modernes qu'est son sosie Carlos Gutiérrez dans son romantisme et son inguérissable nostalgie – El Ultimo Elvis est construit de manière circulaire, de sorte à brouiller les pistes entre la vie de l'un interprétant les chansons de l'autre, la ville de l'un, Avellaneda, banlieue portuaire désaffectée de Buenos Aires et Memphis, berceau du blues qui vit naître l'autre près du Mississippi.
Grâce à ce dispositif cinématographique, qui tient essentiellement aux choix de mise en scène sans avoir recours à une quelconque reconstitution des lieux ni à un grimage de l'acteur principal John Mc Inerny dont la performance d'acteur-interprète des chansons d'Elvis innonde totalement l'écran, Armando Bo parvient à créer l'illusion entre la vie réelle de l'un, qui n'est que musique et celle de l'autre pour qui il en fut ainsi; le destin de l'un, gauche et inapte à s'emparer du réel qui est le sien et celui de l'autre qui vit sa vie lui échapper en grande partie.

Carlos Gutiérrez est manoeuvre dans une usine de tôle dans le sud de Buenos Aires le jour, et sosie d'Elvis la nuit quand il revêt son mythique costume blanc pour entonner dans des salles polyvalentes semi désertes, avec une voix chaude et bluffante, un Suspicious Minds plus que convaincant. Au guichet, pour toucher son maigre cachet, il croise Mick Jagger, Iggy Pop ou Freddie Mercury, qu'il toise et double dans la file d'attente totalement détaché comme le sont sa démarche lente et massive, son regard tantôt étonné, tantôt désarmé et impuissant. Ainsi, séparé de sa femme Priscilla (Griselda Siciliani) sans l'avoir intégré, c'est un père évanescent, traversé de bout en bout par l'émotion, qui parvient à apaiser sa fille Lisa Marie (Margarita López) à la guitare, tout comme c'est un fils qui n'a que sa voix d'Elvis comme trophée à offrir au chevet de sa mère mourante.

Geste de libération ou unique et ultime acte de rébellion alors qu'il a atteint 42 ans, l'âge fatidique de la mort d'Elvis, mettre le feu à l'usine dans laquelle il travaille est autant la signature de son échec que celle de la réussite de son propre chemin, celui où sa vie semble chanter en silence « Ne me secouez plus, je suis plein de larmes »(2) se confondant dès lors dans un parallélisme qui déjoue les lois de la géométrie avec celle d'Elvis Presley.
Avec un calme et une détermination silencieuse, sans voix, il embarque pour Graceland, traversant Highways et Fast food, assis au milieu des touristes et des cohortes de fans venus du monde entier et dès lors, Elvis redevient Carlos Gutiérrez, pour un moment, un moment seulement. Cette seconde et ultime partie du film si elle s'emboîte parfaitement à la première crée un réel effet de surprise, tant les décors se confondent et se suivent aidés en cela par de superbes plans séquences qui empruntent toujours le regard de Carlos/Elvis, ici et là-bas.

Par effet de miroir ou de kaléidoscope et c'est ce qui fait la force de El Ultimo Elvis, c'est le visage, le corps obèse, la vie d'Elvis - qui décida si peu de celle-ci et de sa carrière - reclus à Graceland, qui jaillit et se confond simultanément à celle de Carlos Gutiérrez dans une vie, une maison trop à l'étroit pour une telle voix. Le premier et dernier plan du film – auquel il faut absolument prêter l'oeil - bouclent ainsi deux parcours confondus qui s'ils ne sont pas rock'n'roll, chantent à l'unisson du « blues » qui nous poursuit longtemps après la projection et demeurent « Always on my mind ».
1) Fils de Victor Bo et petit fils d'Armando Bo tous deux respectivement réalisateurs, scénaristes et acteurs argentins.
2) Henri Calet, Peau d'Ours.
Interview de John Mc Inerny le 30 mars 2012 à Toulouse
Laura Tuffery : Il s'agit de votre premier rôle au cinéma, comment s'est passé le casting, comment avez-vous été retenu?
John Mc Inerny : En fait, j'ai d'abord été contacté pour être le coach de l'acteur principal qui était à ce moment là en tournage. Entre temps, on m'a fait passer un essai qui s'est avéré concluant, j'ai donc été retenu pour être le protagoniste du film.
LT : La raison principale était parce que vous étiez chanteur non?
JMI : Évidemment. J'ai d'abord été contacté après que l'équipé ait entendu mes CD puis j'ai été invité à une fête donnée par un des producteurs où l'on m'a expliqué en quoi consisterait mon rôle de coach autour du « jeu » d'Elvis.
LT : Votre répertoire était-il essentiellement composé des chansons d'Elvis?
JMI : oui. J'ai formé il y a quelques années un groupe hommage à Elvis qui s'appelle « Elvis vive » qui est le même groupe qui interprète les chansons dans le film.
LT : L'interprétation vocale des chansons d'Elvis que l'on entend dans le film est de vous alors?
JMI : Oui. La musique du film, les différents morceaux joués par les musiciens du groupe ont étés enregistrés, en revanche je chante en direct. Ce fut une décision d'Armando compte tenu des journées de tournage qui sont longues et où le groupe qui était présent donnait parfois de vrais mini récitals, en présence des figurants qui étaient environ quatre-vingt sur le tournage, pour les scènes de shows. Pour des raisons de commodité, on a donc procédé ainsi en deux temps.
LT : Vous portez totalement ce film sur vos épaules, compte-tenu du rôle aviez vous un lien particulier, intime avec Elvis avant ce film, puisque c'est aussi l'objet du film ou avez-vous du travailler le rôle?
JMI : Non. Je suis fan d'Elvis.
LT : Vous l'êtes?
JMI : Oui...
LT : Quel regard avez-vous porté sur le film alors avec ce rôle de Carlos Gutiérrez, fan et sosie d'Elvis? Comment l'avez-vous vécu intérieurement puisque la situation n'est pas si éloignée de la réalité?
JMI : Je l'ai vécu intensément et très reconnaissant pour l'opportunité qui m'a été donnée... Tout fut très fort pour moi, du début jusqu'à la fin j'en ai réellement profité, je trouve l'ensemble très beau.
LT : Que diriez-vous sur cette relation qui unit Carlos à Elvis? S'agit-il pour vous d'une identification totale au point de le suivre sur ses pas ou d'un lien intime qu'entretient le personnage avec lui?
JMI : Dans ce sens oui, on peut dire qu'il y a un lien entre le film et ma vie réelle puisque je suis réellement fan d'Elvis depuis mon enfance, maintenant il est clair que moi je suis John Mc Inerny, je suis fan d'Elvis et que je joue sa musique. Je ne me teins pas les cheveux, je me suis juste laissé pousser les pattes pour le film, parce qu'on me l'a demandé, donc ce fut très simple et naturel pour moi puisqu'en quelque sorte ce fut une ré immersion dans ma propre vie réelle. D'une certaine façon, ce fut revivre ma vie quotidienne, quant à ma relation à Elvis elle est faite de respect et d'admiration mais je suis bien conscient qu'Elvis c'est Elvis, et moi c'est moi (sourires).
LT : Cette relation intime entre Elvis et vous se sent réellement dans le film, c'est sans doute ce qui lui donne cette teinte si mélancolique, est-ce cela qui l'a emporté dans le choix de vous confier le rôle principal, en dehors de votre talent d'interprète?
JMI : Je pense que c'est ce qui a motivé la production et Armando. En dehors de mes disques et récitals, je me suis rendu à plusieurs reprises à Memphis, dans la maison d'Elvis, je suis fan mais pas seulement je suis aussi architecte de profession, j'étais donc la personne idéale pour entraîner l'acteur principal...
LT : Effectivement, il n'y avait pas de ressemblance physique particulière avec Elvis, comme c'est le cas de certains personnages du film comme le sosie de Freddie Mercury...
JMI : Non, c'est exact. La production et le réalisateur cherchaient réellement un acteur professionnel, assez connu, mais les paramètres étaient assez compliqués à réunir, jusqu'à ce que je fasse ce bout d'essai. Je suppose que c'est cette connexion particulière à Elvis dont vous parlez, en dehors de la voix, qui a déterminé le choix.
LT : C'est vrai qu'à la fin on finit par oublier le physique d'Elvis et se dire qu'on est en sa présence, ou peut-être la présence du dernier. Comment avez-vous réagi en vous voyant ici à l'écran?
JMI : Je n'ai vu le film qu'au montage final. Durant le tournage, je me suis tenu éloigné volontairement au moment du visionnement des prises. Je me suis trouvé très bien parce que l'histoire est très bien racontée par Armando, le réalisateur, et il ne faut pas oublier que Margarita López la petite fille joue brillamment et Griselda Siciliani aussi.
LT : Est-ce que cela vous a donné l'envie de renouveler l'expérience ou était-ce le sujet qui vous a inspiré et convaincu d'être acteur?
JMI : Mon coach d'acteur, Maricel Alvarez qui est la co-protagoniste de Javier Bardem dans Biutiful, est vraiment brillante. A partir du moment où j'ai été choisi comme protagoniste principal, je suis resté assez serein et silencieux, ce que je fais exactement en ce moment (sourires). Je profite de ce que je suis en train de vivre, je profite de ma venue à Toulouse, de connaître aussi cette ville, d'être là à vous donner une interview. Ce qui viendra je le saisirai et si rien ne vient, je suis vraiment comblé et reconnaissant par ce que j'ai vécu dans cette expérience.
LT : Comment s'est passé le tournage?
JMI : On a filmé sept semaines à Buenos Aires, majoritairement à Avellaneda dans la zone sud de Buenos Aires, avant d'achever le tournage à Memphis. Moi je vis à la Plata j'ai donc déménagé à Buenos Aires quelque mois avant le tournage pour travailler avec Maricel et suivre un entraînement physique, puisque je devais tourner chaque jour, avec des journées assez longues ou parfois même de nuit.
LT : Comment avez-vous sélectionné les chansons?
JMI : C'est Armando qui les a sélectionnées, après les avoir écoutées et réécoutées avant de les sélectionner et pouvoir en acheter les droits. Ce sont les chansons de sa dernière période, celles qui correspondent à Las Vegas.
LT : Quelle difficulté majeure avez-vous rencontré ou éprouvé dans l'incarnation du rôle principal qui occupe presque la totalité du film quand même?
JMI : J'essayais de ne pas y penser justement. Le père d'Armando Bo, Victor Bo, est aussi réalisateur, acteur et producteur de cinéma, il me disait toujours de ne pas visionner ce qui avait été tourné, que je me repose au maximum et que j'évite de penser au fait que je portais en grande partie le film. Il a été d'une aide très précieuse pour moi. Des difficultés? Je vous dirais qu'en fait il n'y en avait pas, j'étais très prédisposé au film, très prédisposé à faire ce film (sourires).
LT : Jusqu'à votre nom, qui n'a rien d'argentin, vous sembliez prédestiné...
JMI : Mon grand-père était irlandais.
LT : De la même façon, mais je suppose que c'est volontaire, on oublie Buenos Aires comme si la ville était vue à travers le regard de Carlos Gutiérrez /Elvis...
JMI : Exactement, le propos d'Armando était que le film soit vu à travers le regard de Carlos Gutiérrez et prenne un caractère universel, autrement dit l'action se déroule en Argentine mais aurait pu se passer n'importe où ailleurs. De fait, le film est aussi une certaine critique des Etats-Unis, car le personnage réalise réellement son rêve – bien sûr on ne dira pas lequel – comme d'une certaine manière le « rêve américain »...
LT : Un rêve américain avec un final assez inattendu et qui fait la force du film...
JMI : Oui mais on ne le dévoilera pas (sourires).
LT : Toulouse est-ce un festival important pour le cinéma argentin et latino- américain? Gustavo Taretto avait aussi été primé pour son premier long métrage avec Medianeras et a connu une belle carrière internationale. C'est un peu la même situation dans laquelle se trouve Armando Bo avec ce premier long métrage déjà selectionné au Sundance Festival, non?
JMI : Évidemment. C'est la première oeuvre pour Armando qui est assez jeune, il n'a que 31 ans. Son père et son grand-père sont des réalisateurs argentins reconnus, il a fait une carrière publicitaire importante avec Rebolucion, la maison de production qu'il a fondée et qui a produit aussi El ultimo Elvis. Le film était déjà en projet depuis 5 ans mais entre temps, compte-tenu de la relation proche qu'il entretient avec Alejandro González Iñárritu, il a co-écrit le scénario de Biutiful et en ce moment ils en écrivent un second ensemble. Le premier pas qu'il a donc fait au cinéma fut la présentation de Bitutiful à Cannes et maintenant à Toulouse la présentation de ce premier long métrage qui lui tient à coeur.
LT : A ma connaissance il n'existe aucun film de fiction consacré à Elvis. Vous jouez et vous vous comportez presque comme le King dans ce film. Comment vivez-vous désormais l'existence de ce film, sachant que sa fille est encore en vie par exemple?
JMI : (rires) Imaginez ce que cela signifie... C'est une grande fierté. Comme vous le rappelez je n'ai jamais vu aucun film de ce type sur Elvis. Jouer ce rôle et aussi que le film soit argentin c'est donc une immense fierté. Maintenant c'est l'histoire de Carlos Gutiérrez et pas celle d'Elvis, c'est l'illusion de la voix et de la présence qui produit cet effet d'interférence.
LT : Comme Carlos Gutiérrez-Elvis n'apparaît ni fan ni souffrant d'une double personnalité, il existe un parallèle troublant entre sa vie et la trajectoire même d'Elvis. C'est sans doute ce qui produit cette illusion d'être en présence d'Elvis à la fin de sa vie et donne cette grâce au film dont on peut dire que le scénario était assez périlleux...
JMI : C'est un des éléments du scénario auquel Armando a veillé de près : ne pas construire un personnage ridicule ou grotesque. L'émotion, susciter l'émotion était l'objectif d'Armando en réalisant le film.
Laura Tuffery
Article mis en ligne sur www.culturopoing.com le 6 juin 2012