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Billet de blog 11 janvier 2012

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"J.Edgar" Clint Eastwood

« When the legend becomes fact...print the fact !» Inattendu dans son propos sur la démocratie américaine, ses fondements et ses mythes, Clint Eastwood trouve en J. Edgar, un sujet à sa mesure, celle d'un cinéaste complexe qui, après avoir livré un film testament avec Gran Torino, se livre à une déconstruction de la légende – y compris la sienne - avec le portrait d'Edgar Hoover, le fondateur du FBI.

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« When the legend becomes fact...print the fact !»

Inattendu dans son propos sur la démocratie américaine, ses fondements et ses mythes, Clint Eastwood trouve en J. Edgar, un sujet à sa mesure, celle d'un cinéaste complexe qui, après avoir livré un film testament avec Gran Torino, se livre à une déconstruction de la légende – y compris la sienne - avec le portrait d'Edgar Hoover, le fondateur du FBI. Pour dresser le portrait de celui qui arrêta Dilinger, Clint Eastwood, loin de reconstituer une fresque historique sur le FBI, s'interroge à l'instar d'un John Ford, sur la manière dont on écrit l'Histoire, et en particulier celle des Etats-Unis, en inversant la proposition de ce dernier « When the legend becomes fact, print the legend » pour remettre l'Histoire à l'endroit et la filmer telle quelle. Ainsi, dans ce portrait intimiste d'un des personnages les plus influents de l'histoire des États-Unis, si Clint Eastwood met à l'épreuve la démocratie américaine, ses peurs et fantasmes, son puritanisme et son légendaire isolationnisme, il explore simultanément avec une audace désarmante, au plus près de ses obsessions, le masque sombre et intime de la vieillesse et de la mort au travers la pantomime du pouvoir. Passionnant et diaboliquement efficace.

Si la mise en scène et la reconstitution historique époustouflantes se veulent magistrales, dans ce qui a priori s'annonce comme un biopic sur J. Edgar Hoover, fondateur et directeur du FBI durant près de 40 ans, c'est qu'elles sont indispensables pour volontairement égarer le spectateur. En effet, point de narration linéaire et exhaustive de l'évolution du FBI pas plus qu'une biographie en bonne et due forme de J. Edgar Hoover. A partir du scénario de Dustin Lance Black (scénariste d'Harvey Milk de Gus Van Sant), Clint Eastwood s'attache ici, en parcourant plus de soixante années de la vie de J. Edgar, à souligner la dualité extrême du personnage pour mieux l'appréhender dans ses profondeurs et mettre à jour ainsi la double histoire américaine.

D'une pierre deux coups, avec ce parti pris d'une polarisation sur J. Edgar, Clint Eastwood relève deux défis : celui d'en faire un citoyen américain ordinaire et celui d'en faire une figure majeure des États-Unis qui concentre sur elle une force d'attraction et de répulsion. L'absence de procédé causal - rien n'explique le parcours singulier de J. Edgar - met ainsi en relief par ces grands traits, des thématiques et des problématiques propres à l'histoire des États-Unis.

Découpé en deux grandes parties, tout en suivant un axe chronologique, J. Edgar se déploie autour d'un noyau central, l'affaire Lindbergh, comme affaire du siècle, celle qui justifie pour J. Edgar Hoover la légitimité du FBI autant que la sienne. Autour de ce pivot du film se déroule tel un écheveau, l'ascension irrésistible d'un homme ainsi que l'exacerbation de sa personnalité dont l'aspect le plus paranoïaque trouve certes à s'épancher mais également à étancher toute une nation, selon le principe du « Right person on the right place » en dépit d'une vie privée en totale contradiction avec son action publique.
Explorée dans ses moindres recoins, l'affaire Lindbergh sert d'outil cinématographique à Clint Eastwood pour occuper l'espace, accorder de la démesure à J. Edgar afin d'en révéler les soubassements : la frénésie et l'exaltation érigés comme principes d'investigation propres à sauvegarder la morale et l'intégrité d'une nation, les États- Unis, principes qu'il démantèle simultanément par le grotesque et la grandiloquence d'un J. Edgar zélé et fêlé qui élabore ainsi son propre mythe, qui comme tous les mythes contient une force tutélaire.


Ainsi, clownesque dans sa raideur et son hyperactivité contenue, J. Edgar (Leonardo Di Caprio), ne manque pas de l'être non plus dans sa méticulosité, poussant jusqu'à l'extrême le soin de ne rien laisser au hasard, pas plus la coupe de ses costumes, le choix de ses collaborateurs que l'histoire de son pays qu'il observe avec ses jumelles. Face à la démesure paranoïaque du personnage de J. Edgar, Clyde Tolson (Armie Hammer) le fidèle collaborateur-amant repoussé de J. Edgar, apporte le contrepoids de la placidité, dans sa fidélité, son effacement et sa lucidité.
S'ouvre dans la seconde partie de ce film construit comme un pile et face, le réel tangible cher à Clint Eastwood. Si J. Edgar incarne bel et bien ce que l'Amérique a érigé comme système moral et politique au travers du FBI, dans son culte de la loi, il se pose également comme modèle de héros avec une volonté délibérée de l'être grâce à l'utilisation des médias.


Clint Eastwood après avoir ainsi abordé son personnage par son côté le plus spectaculaire, renverse la donne avec une mise en scène moins nerveuse, plus poétique mais plus sombre aussi pour aborder l'intimité de J. Edgar. Là où tout n'était que surexposition, action, contrôle, vérification, maîtrise, le refoulement de l'intime le plus bridé se défait dans la relation entre J. Edgar et sa mère (Judi Dench) ou encore dans sa relation homosexuelle refoulée avec Clyde, dans des scènes d'une grande audace, comme celle où J. Edgar revêt les vêtements de sa mère à la mort de celle-ci ou encore celle du seul baiser douloureux que Clyde obtiendra de J. Edgar, dont l'homosexualité apparaît aussi refoulée que forcluse.


Si J. Edgar offre bel et bien un portrait de Hoover, traversant par ailleurs des thèmes chers à Clint Eastwood dans les amours inabouties (Sur la route de Madison), le vieillissement (Gran Torino), le retranchement du monde (Un monde parfait) ou la force d'obstination d'une vie (Million dollar baby), il propose une véritable réflexion politique dont la teneur est assez inédite dans la filmographie de Clint Eastwood.
Jamais auparavant Clint Eastwood n'avait ainsi porté tel regard sur les États-Unis d'hier et plus encore d'aujourd'hui, interrogeant une des institutions les plus fondatrices du XXème siècle américain, sur ce qui détermine l'identité d'une nation et par conséquent ses choix politiques. Que celle-ci s'appuie sur des peurs, des légendes, des mythes et des héros qui ont force de loi telle est sans doute la lecture de Clint Eastwood sur les faits mais aussi on peut l'avancer, sur un parcours cinématographique mythique, imprégné des mêmes héros et légendes... qui ne peut-être que le sien.

Laura Tuffery

Article mis en ligne le 10 janvier 2012 sur www.culturopoing.com

Sortie salles le 11 janvier 2012

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