

Barbet Schroeder © Catherine Faux
Laura Tuffery : Vous n'aimez pas être catalogué, vous avez exploré divers pans du cinéma et pourtant votre oeuvre cinématographique recouvre une grande homogénéité et cohérence tant sur le plan filmique que des thématiques. J'ai envie de vous poser une première question un peu naïve quel est le ou les films auxquels vous êtes le plus attaché et pourquoi?
Barbet Schroeder : Les films écrits. Les films d'écrivains, c'est à dire La Vierge des Tueurs, Barfly et Reversal of Fortune et puis pour les documentaires, tous ceux que j'ai fait (rires).
LT : Vous évoquez souvent Bukowski et Vallejo en terme d'âmes soeurs, dans la lignée de ce que vous venez de dire, avez-vous éprouvé ce même sentiment avec L'Avocat de la Terreur, d'âme soeur ou de promiscuité avec le personnage, concernant Jacques Vergès?
BS : Vous me demandez si je pensais trouver en Vergès une âme soeur? Oui c'était une âme soeur dans la mesure où c'était mon idole quand j'avais 14 ans mais en même temps c'est une image de moi-même qui me fait peur car c'est quand même une image de compromis qu'on finit par accepter dans la vie avec l'âge, que j'ai fait aussi et je n'aimerais pas être qualifié d'âme soeur à cause de cela avec Vergès. Mais c'est possible, c'est possible... C'est à dire qu'il y a beaucoup de gens qui répètent dans leur vie des choses de leur jeunesse, et quand ils le répètent sous forme de caricature ils le répètent sous une forme moins merveilleuse que la première fois. C'est le thème de la répétition qui est très important pour moi, qu'on trouve aussi dans La Vierge des Tueurs. C'est le thème de Vertigo où quelqu'un veut absolument revivre le même amour qu'il a déjà vécu et force la personne à s'habiller pareillement, à se comporter pareillement et là avec Vergès on peut imaginer qu'il voulait retrouver ce qu'il avait trouvé pendant la Guerre d'Algérie et qu'en aidant d'autres mouvements de libération, je ne dis pas lesquels... (rires) il retrouverait les mêmes émotions qu'il a eu en participant à la Libération d'un peuple.
LT : La plupart de vos personnages portent en eux une fêlure. Je pense bien évidemment à L'Avocat de la Terreur mais aussi à Before and After ou Reversal of Fortune, il y a une réplique dans Barfly qui me semble assez bien les qualifier « L'Endurance c'est plus important que la vérité » Est-ce que ce n'est pas un peu aussi Barbet Schroeder?
BS : Oui, magnifique. Superbe passage. Je ne participe jamais à l'analyse des thèmes de mes films parce que je trouve que c'est très dangereux! Déjà, rien que de feuilleter ce livre là (1), c'est extrêmement dangereux. Je me rappelle que Bukowski disait répétant une phrase d'Hemingway « Celebrity is the biggest bitch of all » et il disait c'est le test le plus dur que celui d'être connu, d'avoir des livres sur vous et il rajoutait « Je ne pense pas que j'arriverai à le passer » et c'est la raison pour laquelle je ne voulais pas qu'on fasse de livres sur moi avant. Là, je ne pouvais pas refuser puisque cela allait avec la rétrospective mais maintenant je suis très content parce qu'il est très bien, il est très bien fait. Je ne l'ai pas voulu mais il est très bien (rires)... Donc je suis d'autant plus content que moi je ne l'ai pas voulu. De feuilleter les pages c'est un exercice qui est malsain pour moi, c'est malsain. Il faut que je pense à mon prochain film pas aux films passés.
LT : C'est un peu le cas de tous les réalisateurs ou écrivains ce qui est passé s'est détaché de soi...
BS : Oui mais on peut se laisser prendre au piège et commencer à jouer à l'auteur, « voilà mes thèmes je vais continuer à explorer un de mes thèmes », etc. C'est très dangereux tout ça, donc je le fuis comme la peste!
LT : C'est vrai que de prime abord, du documentaire à la fiction, vous semblez effectivement un cinéaste assez difficile à classer et pourtant il y a néanmoins un thème qui apparaît en filigrane, qui n'intéresse peut-être pas directement votre personne, mais tous vos films qui est celui du voyage initiatique, que ce soit dans More, dans La Vallée ou la Vierge des Tueurs, qui prend plusieurs formes, le retour dans la Vierge des Tueurs, la mort traversée ou l'épreuve judiciaire dans Before and After...
BS : Là vous êtes en train de me convaincre, oui...(rires).
LT : Tous ces plans qui s'achèvent de la même manière, en forme d'ouverture vers le « Nowhere », le plan brumeux à la fin de La Vallée, celui du rideau tiré dans la Vierge des Tueurs ou de la barque dans Before and After, cette vie à réinventer ou cette Utopie, trouve-t-elle écho dans votre histoire personnelle, notamment dans votre désir très jeune de faire des films en Amérique, une forme de nowhere également, sachant vos multiples pérégrinations avant?
BS : Très jeune j'ai décidé de m'intéresser au cinéma et c'est le cinéma américain qui m'intéressait, j'ai tout simplement voulu voir de plus près l'Amérique. C'était mon pays d'adoption, comme j'avais déjà plusieurs pays, c'était donc pour moi le pays du cinéma. Malheureusement je suis arrivé dans un désert. Je suis arrivé à un moment où il n'y avait déjà plus rien à Hollywood, c'était pratiquement terminé. Les gens font des grands yeux quand je leur dit ça car évidemment il y a eu beaucoup de succès au cinéma depuis, mais pour moi je considérais que c'était exactement comme arriver à Florence au XIXème siècle et de s'intéresser à la peinture et c'est fini! (rires).
LT : Lorsque vous dites votre difficulté à vous intégrer en France et au cinéma français après avoir vécu votre enfance en Colombie à côtoyer la misère et la violence, n'avez-vous pas la sensation que l'Amérique vous a apporté ce lieu où vous sentir plus à l'aise?
BS : Oui, c'est un lieu de cinéma et c'est quand même un pays qui a toujours eu le courage de faire des films sur des sujets difficiles pour lui. C'est à dire qu'en France, on a eu la Guerre d'Algérie et tout le monde est toujours sidéré de voir que la France n'a jamais voulu traiter de cela alors qu'en Amérique il y aurait eu dix films qui auraient été réalisés tout de suite, même pendant la guerre d'Algérie, tout de suite après il y aurait eu dix films dans un cinéma qui aurait eu une approche de cinéma. Le cinéma américain est donc un cinéma très proche de la vie. C'est aussi très souvent le contraire de ce qu'on dit : du cinéma formaté, de formules... C'est une cinéma qui à la grande époque n'hésitait pas à traiter de thèmes brûlants pour lui, comme faire Apocalypse Now pendant la guerre du Vietnam, il fallait le faire quand même...!
LT : Justement dans le cadre de cette rétrospective de vos films et la carte blanche qui vous a été laissée, vous avez fait le choix de trois films House of Bamboo de Samuel Fuller, Husbands de John Cassavetes et The Pianist de Roman Polanski, pouvez-vous m'expliquez ces choix là?
BS : House of Bamboo de Fuller, parce que formellement et dramatiquement et sur tous les points c'est un de mes films préférés, un des films qui m'a le plus marqué. C'est un film dans lequel il y a beaucoup de scènes qui sont faites en plans séquences et c'est le cinémascope écran large sur un pays avec une vision presque documentaire sur ce pays. C'est un film qui est tourné sur place avec l'armée américaine et qui a un point de vue totalement inhabituel, étrange et particulier. Husbands c'est parce que je considère que c'est un des meilleurs films de Cassavetes, un des films où il va le plus loin avec sa position de caméra qui n'est pas à hauteur d'homme, qui est un peu plus bas, très étonnante. Le pianiste de Polanski parce que c'est le film de fiction qui pour moi montre vraiment cette période de l'histoire mieux qu'aucun autre, peut-être pas aussi bien qu'un documentaire mais presque autant, et si on veut faire un film de fiction c'est cela qu'il faut faire et pour moi c'est le meilleur, donc je pensais que c'était important de le choisir.
LT : Pour poursuivre avec le documentaire, vous en avez vous-même réalisé beaucoup en tant que tels, avec des thèmes d'ailleurs assez voisins de ceux de Rouch dont vous étiez proche, je pense notamment à Koko le Gorille. Mais il y a aussi une part documentaire importante que vous revendiquez dans vos fictions, ce qui leur accorde une dimension hyperréaliste comme dans La Vierge des Tueurs. Quel est pour vous l'apport essentiel du documentaire à la fiction, les deux sont-ils pour vous forcément liés?
BS : Complètement liés. C'est à dire je ne fais pas un film de fiction sans me documenter à fond sur le sujet que je vais traiter, sur les personnages, sur tous les aspects du film. Je fais un travail de documentation et très souvent même je tourne un documentaire pour me préparer, pour essayer de mieux comprendre. Je vois aussi beaucoup de documentaires pour essayer de voir de quelle réalité je parle et cela c'est un travail essentiel pour moi. Je pense toujours à Hitchcock qui en faisant un film qui n'avait vraiment rien de documentaire, Psychose, avait besoin de voir l'itinéraire que faisait Janet Leigh de Phoenix à l'hôtel. Il a donc envoyé un assistant pour photographier tous les 100 mètres la route, pour voir le chemin qu'elle allait emprunter alors que ça n'avait dramatiquement strictement aucune importance apparente. Et quand je fais un film documentaire, alors là au contraire, je veux cultiver et découvrir tous les aspects de fiction et de dramaturgie qu'il y a là. Là j'ai été très loin avec l'Avocat de la Terreur, le film sur Vergès parce que je me suis libéré au point d'utiliser de la musique comme de la musique de film, c'est à dire une musique dramatique qui souligne les moments dramatiques. C'est une musique admirable qui travaille avec des thèmes, j'ai donc réalisé un travail de musique exactement comme je l'aurais fait pour un film de fiction. Cela me passionne d'explorer tous les aspects dramatiques du documentaire.
LT : Vous parlez de la musique qui est un élément extrêmement important dans vos films. Au départ vous étiez absolument opposé à la musique de films et n'avez travaillé que par la prise de son direct, comme avec les Pink Floyd dans More ou La Vallée, et on aboutit avec la Vierge des Tueurs à une musique symphonique absolument admirable, comment s'est faite cette évolution?
BS : J'ai découvert que j'avais des préjugés sur la musique de films, du fait de l'influence très forte de Rohmer et de l'idée que nous avions tous les deux que l'on faisait du cinéma pur et qu'on n'avait pas besoin de musique, que c'était une facilité. Puis petit à petit j'ai découvert que c'est peut-être une facilité mais que c'est quelque chose qui peut sur-multiplier la puissance du film...
LT : Vos personnages sont aux limites mais vos tournages aussi non? Vous avez réalisé La Vierge des Tueurs entourés de gardes du corps pour vous-même et vos caméras, pour Barfly on connait l'anecdote qui vous a valu le surnom de « Black and Decker » en menaçant de vous scier le doigt afin d'obtenir les financements, pour La Vallée vous avez eu le droit à un dépôt de plainte dès le premier jour du tournage, les acteurs s'étant baignés nus...
BS : Le plus fou et le plus dangereux de tous les tournages que j'ai fait c'est celui de Inju, parce que travailler avec une équipe de 100 japonais personne ne l'avait fait. Les gens arrivent avec leurs équipes, ils tournent quinze jours et ils repartent. Là j'ai tourné tout un film avec des acteurs japonais, une histoire japonaise, un auteur japonais, il y avait juste un écrivain français qui avait adapté le roman japonais et un acteur français, tout le reste c'était du matériel cent pour cent japonais. Faire quelque chose de plus étranger et de plus impossible à communiquer, c'était vraiment difficile. C'était un des tournages les plus passionnants que j'ai fait car quand tout cela marche au tournage c'est vraiment très excitant, réaliser une chose impossible c'est vraiment très excitant, oui...

Barbet Schroeder © Catherine Faux
LT : Est-ce que cela ne fait pas aussi partie de votre goût du cinéma, cette part d'adrénaline au tournage? Cela me fait penser à cette tirade dans Les Tricheurs « Il n'y a rien de meilleur qu'avaler un sandwich quand on a tout misé »
BS : Sourires... Non parce que les tournages c'est vouloir capter quelque chose que des gens n'arrivent pas d'habitude à capter au cinéma, et y arriver. Finalement c'est un travail technique le cinéma. Il faut faire plan après plan et que ces plans aient une raison d'être et qu'ils racontent une histoire, ce qui est commun à tous les films. Tout simplement moi je me mets dans des situations où effectivement pour obtenir des images jamais vues ou qui ont l'air de n'avoir jamais été vues, cela représente des difficultés supplémentaires ou des difficultés de financements, très souvent de financement parce que cela suppose certains choix, en particulier celui des langues qui sont parlées, les endroits où l'on veut tourner et que l'on ne peut pas reconstituer, donc cela crée des difficultés
LT : Vous parlez de financement, La Vierge des Tueurs est le premier film que vous ayez tourné en numérique haute définition, pour des raisons de mobilité, de sécurité mais aussi pour des raisons de financement, est-ce une expérience que vous avez envie de renouveler?
BS : De toute façon que j'ai envie ou pas, le 35 mn c'est fini. Donc on peut voir qu'en dix ans il n'est plus possible maintenant de tourner en 35mn à moins d'être un nostalgique, un fou furieux, quelqu'un qui veut faire faire fabriquer de la pellicule, faire rouvrir des laboratoires comme les gens qui voulaient faire des films en noir et blanc alors qu'il n'y avait déjà plus de laboratoires qui les traitaient. On en est maintenant à ce stade là, la révolution a été très très rapide et j'ai été très excité d'être au début de cette période avec un projet qui correspondait. C'est parce que j'avais besoin du numérique que j'ai tourné La Vierge des Tueurs de cette manière là, ce n'était pas pour économiser de l'argent ni pour que ce soit plus facile. C'était beaucoup plus compliqué d'essuyer les plâtres avec des technologies aussi compliquées dans des endroits aussi dangereux que Medellín, c'était de la folie furieuse! C'était déjà assez compliqué de filmer tout court. J'avais trois caméras ça me permettait d'aller un peu plus vite et puis ça me permettait de dire que je tournais pour la télévision alors que je faisais un film pour le cinéma.
LT : Donc votre prochain film vous envisagez de le faire en numérique?
BS : Moi j'aimerais bien le faire en 35 mn mais ce n'est pas possible. Parce que c'est un film qui s'y prête donc je vais choisir la caméra digitale qui s'approche le plus du 35mn.
LT : Vous rappelez souvent que vous êtes un maniaque du casting. Vous avez dirigé de grands acteurs je pense à Jeremy Irons, Meryl Streep, Mickey Rourke, Ryan Gosling, et pour regarder l'aspect américain de votre carrière qui en constitue l'essentiel je me suis demandé si vous n'aviez pas eu l'envie de retravailler avec certains de ces acteurs ou tout simplement l'occasion ne s'est-elle pas représentée?
BS : La question ne s'est pas posée. Dès que j'initie un projet pour jouer tel rôle je vois telle personne et bien sûr cela peut arriver avec des acteurs très talentueux d'avoir envie de les mettre en scène à nouveau. L'occasion ne s'est pas représentée peut-être parce que je ne fais pas des films tous les ans aussi.
LT : Dans la phase de préparation vous avez donc en tête des acteurs bien précis?
BS : Oui, dès que je commence à fonctionner sur un film j'ai une idée assez précise de ce que je veux. Mais c'est une collaboration avec les acteurs, j'ai une idée des gens avec qui j'ai envie de collaborer ou avec qui je pense pouvoir avoir une collaboration fructueuse. Il y a des acteurs avec lesquels je ne m'imagine pas avoir une collaboration fructueuse. En gros j'aime bien les bons acteurs, c'est très simple! (rires)
LT : Vous avez la réputation de diriger de manière assez souple et assez précise vos acteurs. Vous aviez demandé par exemple à Mimsy Farmer de ne pas sourire du tout dans More, afin d'obtenir ce portrait de femme fatale en tee shirt, est-ce que vous avez une relation...
BS : Avec chaque acteur c'est différent, c'est à chaque fois une histoire d'amour différente donc c'est à chaque fois complètement spécial à la fois les acteurs et les personnages qu'ils ont à jouer, donc c'est toujours une combinaison différente.
LT : Est-ce que vous pourriez envisager ou est-ce que vous souhaiteriez aujourd'hui retourner en Europe?
BS : Ah mais c'est ce que j'essaie de faire! Malheureusement ce sont des films en anglais et le financement des films en anglais aujourd'hui est très difficile, puisque l'Angleterre c'est fini et l'Amérique c'est fini pour moi parce que je ne veux pas faire les films de grands studios, qui ne sont pas des films intéressants maintenant. A l'époque où je travaillais, je faisais des films de grands studios et tous les films que j'ai fait en Amérique à l'époque si je voulais les faire aujourd'hui, les grands studios me diraient « non, ce sont des films d'art » y compris JF partagerait appartement serait classé « film d'art » aujourd'hui alors que c'est le film le plus commercial que j'ai jamais fait. Il serait considéré comme film d'art et je n'arriverai pas à le financer ou si j'arrivais à le financer ce serait pour un tiers de ce que je l'ai fait à l'époque, donc un quart. Le budget serait de 25% de ce que j'ai eu à l'époque et aujourd'hui personne ne pourrait avoir un budget pour JF partagerait appartement dans un studio, à moins d'avoir les deux plus grandes stars de l'époque mais ce n'est pas possible puisque ces deux jeunes filles qui ont moins de trente ans ne les ont plus aujourd'hui et on se demanderait pourquoi elle partageraient un appartement.
LT : Ce seraient donc les difficultés de financement et de contrainte artistique liées qui vous pousseraient à revenir tourner en Europe?
BS : J'ai toujours pensé que je reviendrai faire des films à Ibiza, je savais que j'allais revenir. J'avais plusieurs projets, le seul problème est qu'ils sont en anglais. Et faire un film en anglais c'est beaucoup plus difficile qu'on ne le croit. C'est plus difficile parce que l'Angleterre est finie. Stephen Frears ne fait plus de films, il est parti en Amérique pour faire des films pour HBO, ça dit tout! Cela dit tout. Si le plus grand cinéaste de son pays n'arrive plus à faire de films dans son pays et part travailler pour la télévision américaine, c'est qu'il y a un vrai problème. Je pourrais effectivement aller faire des films pour la télévision américaine, HBO notamment, mais je préfèrerais retourner à Ibiza et faire des films vraiment personnels.
LT : Puisque vous parlez d'Ibiza, il y a effectivement une dimension très personnelle puisque c'est le lieu où vous passiez vos vacances dans votre jeunesse et où vous avez tourné votre premier film More...
BS : Oui, je veux tourner un film là, dans la même maison.
LT : Et est-ce que vous envisageriez aujourd'hui de tourner en France?
BS : Vous savez, j'aimerais bien tourner en France mais je n'arrive pas à trouver de sujet... Si, si je pouvais trouver une comédie qui soit à la fois très drôle et très intelligente, chose qui est extrêmement difficile à faire et extrêmement difficile à trouver. Autrement je retombe toujours sur l'anglais, l'espagnol et là sur l'allemand pour le projet que j'ai.
LT : Est-ce que la langue est un critère pour vous, puisque vous parliez tout à l'heure de l'importance de l'écriture de l'histoire?
BS : Oui j'aimerais travailler avec un grand dialoguiste français, c'est sûr. Grand écrivain, grand dialoguiste, oui s'il y avait un projet en France j'aimerais bien...
LT : Vous entretenez une relation assez proche avec la littérature, vous l'avez démontré avec Charles Bukowski et Fernando Vallejo déjà...
BS : Oui. Je pense que quand des phrases sont bien écrites elles sont plus faciles à dire pour les acteurs, et si elles sont plus faciles à dire, les acteurs risquent d'être meilleurs, c'est aussi bête que ça... (sourires).
LT : Est-ce que vous pouvez parler un peu plus de ce projet en cours?
BS : Ah non! Jamais, jamais! Jamais je ne parle des projets! Chaque fois que j'en ai parlé ils ne se sont jamais faits!
LT : Alors de vos envies de cinéma aujourd'hui, des chemins que vous avez encore envie d'explorer?
BS : J'ai d'autres projets que j'ai envie de faire et qui sont des films américains mais c'est devenu très très difficile. J'ai un projet américain que j'essaie de faire depuis 6 ans, 6 ans comme pour Barfly, avec la même persistance sur un projet auquel je crois autant. Je n'y suis toujours pas arrivé mais je n'abandonne pas... Les domaines que je n'avais pas abandonné sur Barfly...
LT : Vous êtes tenace?
BS : Oui. Quand je suis persuadé que quelque chose est extraordinaire cela me donne la force de persister parce que je suis sûr d'avoir raison et jusqu'à présent je ne me suis pas trompé mais un jour je me tromperais peut-être...Un jour je passerais peut-être 6 ans à faire quelque chose qui sera complètement raté! (rires)
LT : Vous avez commencé par un premier film américain avec More, et même si vous êtes de nationalité suisse sans l'être pour autant, puisque votre mère est allemande et que vous avez grandi en Colombie, avec la carrière que vous avez mené par la suite vous êtes davantage reconnu, identifié comme un cinéaste « américain »...
BS : Vous savez il y avait beaucoup de gens qui venaient de l'étranger, qui ont atterri en Amérique et qui ont fait des films. Ils y sont venus pour différentes raisons et ont réussi pour différentes raisons aussi, mais c'est une des traditions du cinéma américain que de s'alimenter à l'étranger. C'est une tradition vivante qui est toujours vraie, même dans les films les plus commerciaux et même ceux à effets spéciaux.
LT : Et comment expliquez-vous l'aisance avec laquelle vous vous êtes inscrit dans le cinéma américain?
BS : J'ai toujours adoré le cinéma américain, je me suis toujours senti à l'aise dans ce système, même en sachant que c'est un système très dangereux et très compliqué, mais quand on arrivait à réussir quelque chose en collaborant avec les gens qu'il fallait, cela donnait des résultats formidables, cela valait la peine de faire cet effort là. Je ne sais pas... Je n'ai pas d'explication...
LT : Votre absence de connotation « nationale » par un pays par une langue, votre cosmopolitisme est peut-être une explication?
BS : Peut-être, mais en même temps on ne peut pas trouver des gens plus marqués par leur pays que Fritz Lang, Otto Preminger ou encore plus Billy Wilder qui avait un accent à couper au couteau et qui ont parfaitement réussi! Donc je n'ai pas d'explication...
LT : Vous évoquiez tout à l'heure l'aisance avec laquelle les américains parviennent à porter leur histoire, ce qui est très difficile en France, avec L'Avocat de la Terreur vous vous en êtes approché, est-ce un genre que vous aimeriez à nouveau aborder?
BS : Je le ferais si le sujet m'intéresse suffisamment, si ce n'est pas un film sur des problèmes mais un film sur des gens, puisqu'on m'a proposé de faire un film sur l'énergie nucléaire... Je veux bien, mais moi je fais des films sur des gens par sur des problèmes de journalistes (sourires).
Laura Tuffery
Propos recueillis le 9 mars 2012 au Magic Cinéma de Bobigny
Article mis en ligne le 13 mars sur www.culturopoing.com
1) Barbet Schroeder, Monographie sous la direction de Dominique Bax Collection Magic Cinéma, 191 pages.
Hommage et rétrospective Barbet Schroeder 23ème festival Théâtre au Cinéma Bobigny du 7 au 20 mars 2012