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Chroniqueuse cinéma, Historienne, professeur d'Histoire et de cinéma. Historiadora y crítico de cine basada en Paris.

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Billet de blog 18 janvier 2012

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«Ici-Bas» de Jean-Pierre Denis, entre Foi et Résistance

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Si Jean-Pierre Denis parvient à s'emparer de la question de la foi en dressant un portrait contrasté d'un couple éphémère habité par le doute, il est dommage que la mise en scène surannée et pataude d'un Périgord Résistant, dont le réalisateur est natif, surplombe ce beau sujet de film qui à trop s'ancrer ici-bas l'empêche de se déployer au plus haut des cieux.

Comme pour Les Blessures assassines, Jean-Pierre Denis s'est inspiré d'un fait divers réel pour l'écriture de son scénario qui ne manque pas d'originalité. Fin 1943 alors que la France est entièrement sous occupation allemande, Soeur Luce dont la dévotion est exemplaire, est amenée à soigner un certain nombre de Résistants au sein de l'hôpital qui a choisi ainsi son camp tout comme l'évêque du Diocèse. Comme illuminée devant l'icône du Christ - au sens premier – qu'elle révérait enfant, Luce s'épanche devant celle de Martial ancien aumônier blessé dans le maquis dont la corpulence trapue est pourtant loin de la silhouette gracile du Christ porté en croix. C'est que l'image au sens étymologique a valeur ici de miracle autant que de prédiction, celui par lequel s'ouvre le premier plan d'Ici-Bas, présente Luce enfant, tenant pieusement et amoureusement une image pieuse entre ses mains, comme une promesse. De cet amour platonique et mystique instantané qui n'est pas sans rappeler la controverse iconoclaste et l'iconoclasme, surgit une adoration instantanée pour Martial qui du visuel glisse vers le corporel, bien plus que le charnel. Le portrait de Soeur Luce incarné par Céline Sallette est d'une grande crédibilité tant le personnage demeure enfermé dans cette ferveur enfantine, échappant à tout ancrage dans le profane qu'il soit celui d'une France occupée ou celui du désir de l'homme qu'elle tient blessé, durant toute une nuit.

En contrepoint au personnage mystique de Soeur Luce, Martial (Éric Caravaca) n'est pas à proprement parler, l'archétype du Résistant. Aumônier dont la foi est vacillante, Martial, dont le physique rustique renvoie au terrien et terrestre, semble trouver dans l'épisode de la guerre l'opportunité de se défaire d'un désir d'action inassouvi dans son sacerdoce. C'est de l'opposition de ces deux personnages, l'un aérien l'autre éminemment terrestre et de la réunion de leurs frustrations respectives, ici-bas, que naît cette non rencontre entre Soeur Luce et Martial. Si celle-ci voit en l'ancien aumônier la promesse d'une enfance imagée et imaginaire, ce dernier voit en elle l'attache pesante voire culpabilisante d'une foi dont il a peine à se débarrasser. L'originalité du film de Jean-Pierre Denis se situe bien à cet endroit là qu'il exploite de manière plus aérienne et heureuse dans la seconde partie du film, lorsque les deux protagonistes libérés de leurs uniformes se révèlent dans leurs fragilités respectives et chancelantes.

Situé dans le Périgord entre le ici-bas du village et le là-haut dans le maquis, Ici-bas offre également une fresque des divisons au sein de l'Église quant à la Résistance et à la Collaboration qui, si elle n'est pas inintéressante pour cerner Soeur Luce et Martial dans leurs cheminements, alourdit considérablement la fragilité de ces deux êtres que tout semble opposer et paradoxalement réunir. Originaire du Périgord, Jean-Pierre Denis semble s'être laissé subjuguer voir déborder par le cadre naturel – la mise en scène alterne des trouées de lumière au beau milieu du terre à terre montagnard - qui enserre ce non couple que forme Soeur Luce et Martial mais qui constitue justement le coeur du film.

La non moins pesante reconstitution du réseau de Résistants étouffe quant à elle, par une mise en scène très dialoguée, le très beau scénario d'Ici-Bas qui jamais ne sombre dans la condamnation ou la ferveur pour dérouler cette véritable tragédie qui conduit Soeur Luce à dénoncer Martial et son réseau à la Kommandantur, après un coïtus animal triste est qui ne tiendra pas sa promesse, celle de la passion d'un christ qui n'est pas au rendez-vous. Plus sacrificielle que vengeresse, Soeur Luce meurt sous le peloton d'exécution de Résistants, réticents et quelque peu pantois face à cette Jeanne d'Arc moderne qui surgit dont ne sait où et dont on eût aimé, nous aussi, qu'elle demeure à la hauteur de cette tragédie qui finit malheureusement en simple drame, Au plus haut des Cieux...


Laura Tuffery
Article mis en ligne le 18 janvier sur www.culturopoing.com

Sortie en salles le 18 janvier 2012

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