Laura TUFFERY (avatar)

Laura TUFFERY

Chroniqueuse cinéma, Historienne, professeur d'Histoire et de cinéma. Historiadora y crítico de cine basada en Paris.

Abonné·e de Mediapart

62 Billets

1 Éditions

Billet de blog 23 janvier 2012

Laura TUFFERY (avatar)

Laura TUFFERY

Chroniqueuse cinéma, Historienne, professeur d'Histoire et de cinéma. Historiadora y crítico de cine basada en Paris.

Abonné·e de Mediapart

Entretien avec Mathieu Demy autour de son premier film "Americano"

«Le jour où tu mourras t'auras une tasse de King Kong de larmes». – Martin, dans Documenteur d'Agnès Varda.

Laura TUFFERY (avatar)

Laura TUFFERY

Chroniqueuse cinéma, Historienne, professeur d'Histoire et de cinéma. Historiadora y crítico de cine basada en Paris.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

«Le jour où tu mourras t'auras une tasse de King Kong de larmes». – Martin, dans Documenteur d'Agnès Varda.
Laura Tuffery : J'ai presque réussi à oublier que vous étiez le fils de Jacques Demy et d'Agnès Varda dans Americano. Est-ce vous faire un compliment que de vous dire cela?

Mathieu Demy : (Rires) Pourtant j'ai pas lésiné! Ah oui tout à fait! J'ai très clairement, délibérément voulu faire un film qui a plusieurs niveaux de lectures mais qui est fait pour un spectateur qui n'a pas de références de Varda ou de Demy au cinéma, on s'en fout complètement! Ça c'est j'ai envie de dire, la cerise sur le gâteau, c'est la même histoire qu'on va lire mais d'une manière différente mais pour moi le cinéma c'est un art populaire, il faut que ce soit accessible à tout le monde et il n'y a pas besoin de références pour voir Americano. C'est un type qui perd sa mère, qui essaie un peu de recomposer les morceaux qui part en live dans une fuite en avant, il s'obsède avec une femme puis finalement il comprend son histoire familiale et cette histoire familiale il y a suffisamment de thématiques universelles pour qu'on la comprenne sans rien d'autre. Et pour moi c'était très important ça, et donc oui je le prend comme un compliment.

LT : Est-ce que ce n'est pas un pari très difficile quand on s'appelle Mathieu Demy de faire un premier film sur le deuil, quand on a eu des parents aussi célèbres, et sur celui de la mère, surtout quand celle-ci s'appelle Agnès Varda?

MD : Si bien sûr. C'était un pari d'autant plus difficile que j'ai délibérément mis les pieds dans le plat comme je disais en parlant de ce lien qui des deux côtés de mes parents m'a mis dans de la fiction très jeune, il y a aussi parce que le film était rattaché à Documenteur j'ai souhaité le produire moi-même et le faire un peu comme un « home made movie », un film familial. La présence de Documenteur dépasse la simple anecdote des extraits dans le film, ça a influencé le ton du film et la manière de le fabriquer. De jouer, de réaliser et de produire en même temps c'était aussi compliqué pour trouver la bonne distance et faire sa propre mayonnaise et puis délibérément parler de ce lien pour ne pas éviter le sujet parce que je ne voulais pas éviter le sujet, je ne pouvais pas éviter le sujet et que j'avais besoin surtout d'en parler.

LT : Vous venez d'évoquer le film familial, on a le sentiment qu'y compris celui-ci se retrouve dans le choix des acteurs, tous enfants d'acteurs célèbres avec lesquels vous avez pour certains tourné, était-ce une condition indispensable au film?

MD : Non, c'est presque un hasard. C'est un film qui parle de la famille, vous dites un film de famille mais c'est aussi un film sur la famille, et puis c'est un film sur le temps, sur la mémoire et un peu sur le cinéma parce qu'en prenant Documenteur comme source, qui est un film de fiction et de prolonger ce personnage, de prendre ce petit garçon et de le faire grandir, ça raconte quand même un lien avec le cinéma. Je trouvais intéressant que les acteurs, qui sont que des acteurs que j'ai choisi parce que j'avais envie de les filmer, parce que je les admirais, soient relié à un passé de cinéma parce que c'est un film sur la mémoire. Géraldine ou Chiara elles font partie de par leur famille à des familles d'artistes mais Jean-Pierre c'est quelqu'un qui trimballe toute une partie de l'histoire du cinéma français sur son visage, avec lui, dans ses poches, dans ses chaussures, dans sa manière d'être, c'est quelqu'un qu'on connait comme un metteur en scène et ça appuie sur le côté ambigu entre ce qui est de l'ordre de la fiction et ce qui est de l'ordre de l'intime, ce jeu qu'il y a dans Documenteur et dont je me suis inspiré. Le documentaire menteur ou le côté d'assumer les parts de vérité d'une histoire.

LT : Vous parlez d'héritage et de famille – il est vrai qu'il était difficile de passer outre celui-ci pour vous – la première partie d' Americano semble directement rattachée à celui-ci alors que dans la seconde, lorsque le personnage principal arrive à Los Angeles et se réapproprie ses souvenirs, on sent davantage le film de Mathieu Demy, plus fils de Jacques Demy et d'Agnès Varda, avec sa tonalité particulière...

MD : Tant mieux, je le prend aussi comme un compliment parce que c'est vrai que le personnage s'extraie quand même de quelque chose, moi je m'extraie aussi de quelque chose en faisant ce film, au sens où de parler de l'importance qu'ont eu à des places différentes mes deux parents dans la manière dont comment je me suis constitué, le rapport à la fiction, d'avoir joué très petit dans les films de ma mère, que mon père m'ait montré tant de fois ses films, c'est vrai que je suis là-dedans beaucoup et j'avais moi envie de faire autre chose, d'aller vers autre chose. Je pense que le film est très lié, c'est ce que je disais tout à l'heure, à Documenteur par sa mélancolie, par un ton mais je voulais ça, et il finit par une ouverture. Il prend son envol au fur et à mesure et il finit sur un possible beaucoup plus large.

LT : Il y a une grande justesse du temps respecté du deuil, entre l'annonce de la mort, la mort elle même et l'aspect très concret des démarches inévitables et simultanément la place du travail du deuil et de la mémoire qui se fait dans le même temps et auquel vous laissez une grande place dans la seconde partie du film. Le personnage de Martin a du mal à se confronter à cette mort – comme n'importe qui – et effectue immédiatement un travail de recyclage et de mémoire. On a la sensation pour reprendre ce que vous venez de dire, que Martin et Mathieu suivent le même cheminement, dans la manière dont on répare où on réorganise sa mémoire non?

MD : Oui... J'avais envie de raconter que le deuil ne peut pas se faire de manière paisible sans reconstituer l'histoire, comprendre ce qui s'est passé et que pour être en paix avec la mémoire de quelqu'un je crois que si on a le plus d'éléments possibles, s'il n'y a pas trop de zones d'ombre, de questions non répondues, d'énigmes non résolues, on est plus à même de comprendre le avant et le après et de faire son deuil comme on dit. Et je voulais aussi raconter à travers ce film que ça ne se faisait pas comme prévu, et que le père, le personnage de Jean-Pierre, lui dit ce qu'il doit faire mais ça ne se déroule pas comme ça, Martin il a besoin de tout faire de traviole et il a surtout besoin de le faire à son rythme dans ce temps dont justement vous parliez, ça va trop vite pour lui, il a besoin de chercher ailleurs pour trouver finalement quelque chose de ce qu'il aurait du faire au début, c'est à dire se souvenir du rapport, du lien.
LT : Dans le choix que vous avez fait de jean-Pierre Mocky pour incarner le père, c'est pas exactement l'image de Jacques Demy...

MD : Non pas du tout! (rires)...

LT : J'ai trouvé qu'il y avait un parti pris radical de prendre cette image masculine, de grande gueule qu'il assume parfaitement d'ailleurs, et je me demandais pourquoi vous aviez fait ce choix?

MD : Pour l'ambiguïté, je trouvais que c'était très intéressant de l'avoir. Jean-Pierre c'est un super acteur, il a été acteur dans sa jeunesse mais il a quand même l'image d'un metteur en scène, et pour cette ambiguïté du vrai-faux, du côté vrai-faux documentaire, je trouvais intéressant que mon père ait l'image d'un metteur en scène et je trouve aussi intéressant que Martin s'émancipe de quelqu'un qui a une très forte personnalité, et c'est vrai que Mocky il gueule, il est autoritaire, il lui déroule tout le truc et c'était plus intéressant que Martin s'émancipe d'une très forte personnalité comme ça à qui il va finir par lui dire « Va te faire foutre! » et lui raccrocher au nez.
LT : Dans ce que vous venez de dire sur le vrai-faux, est-ce qu'il n'y a pas cet équilibre à trouver quand on est un « enfant de la balle » entre la fiction et la réalité, surtout quand on a tourné si jeune comme vous?

MD : Ah oui c'est sûr que pour moi la fiction ça fait partie de ma vie, de la façon dont je me projette dans la vie, j'écris des petites histoires depuis longtemps, j'ai fait des cours métrages, des vidéos. C'est sûr que ça fait partie intégrante de ma vie, après je sais faire la différence entre la fiction et le réel (rires) mais... oui, c'est quand même une manière de penser la vie.

LT : Je vous pose cette question car on a la sensation que tout le film se tient sur cette ligne entre le vrai-faux, la vérité et le mensonge, ce qui lui a été dit et appartient à la mémoire de son père et dont le personnage de Lola semble être le seul moyen qu'ai Martin pour parvenir à quelque chose de l'ordre du véridique, du vraisemblable pour rassembler sa mémoire...

MD : Il y a un jeu de miroir un peu double entre Lola/Rosita et Mathieu/Martin finalement parce que le personnage de Mathieu/Martin il est un peu double aussi et cette femme elle est un peu double aussi.

LT : Dans la scène d'ouverture du film, Martin est dans une relation amoureuse où il a beaucoup de mal à s'engager, dès qu'il part à l'annonce de la mort de sa mère, on découvre dans cette seconde partie du film un Martin qui s'affirme dans sa masculinité et prend de l'envergure et de l'autonomie, avec une opposition très connotée entre deux figures féminines Chiara Mastroianni et Salma Hayek particulièrement sexuée...

MD : C'est le truc de La maman et la Putain! C'était l'idée si vous voulez, qu'il perd sa mère, son lien avec elle, qui est quelque chose de très intime est brisé, il doit faire un chemin, une fuite en avant, un voyage qui l'éloigne de plus en plus, en plus, de ça et le personnage de Lola a été pensé comme le personnage le plus diamétralement opposé qu'on pouvait lui opposer à sa mère, c'est à dire une prostituée qui n'est pas de sa culture qui n'est pas de son pays, qu'il ne connait même pas et qui se trouve ne même pas être la fille qu'il croyait être. Il y a plusieurs degrés de mensonges et d'échappatoires et de fuite et que ce soit justement cette personne-là qui le ramène à cette chose très intime en le reconnectant avec plus, justement ce qui est plus de l'ordre des clichés de l'imaginaire masculin, la maman et la putain, mais en reconnectant avec quelque chose de simple que c'est une femme, elle est les deux à la fois.
LT : Il y a aussi un personnage important qui est celui du petit garçon avec cette mise en abîme de Mathieu/Martin, qui permet de découvrir Lola cette-fois avec ce visage de mère, une mère qui n'est pas fardée. Est-ce qu'il n'y a pas, sur cette fin là que je ne vais pas dévoiler, une volonté de réparation et d'apaisement à la mère aussi? MD : Ah oui peut-être... (sourires) LT : J'ai trouvé que le film était un formidable hommage aux mères, puisque le personnage de Martin va permettre à une autre mère, de vivre avec son fils, ce qu'il n'a pas pu vivre avec sa propre mère.

MD : Ça me fait plaisir ça... Ce qui est finalement plus une démarche de parent que une démarche d'enfant, vous voyez ce que je veux dire, que de donner et transmettre. C'est là qu'il devient père. Non mais c'est intéressant, parce que c'est aussi oui, un apaisement, une image apaisée de la mère, de cette mère à lui, qui si on reconnecte tous les morceaux de l'histoire, devrait lui permettre de traverser avec lui, c'est un peu en creux ce qui est dit, ou en tout cas de ne pas continuer dans ce malentendu qui est une mise en abîme du malentendu que lui avait avec sa propre mère, d'être un peu mal aimé, de ne pas avoir réussi à la rencontrer comme il aurait voulu, donc il y a le visage apaisé de cette mère mais il y a aussi un apaisement du fait que quelque part, mais d'une autre manière, il suit la volonté de sa propre mère. Elle lui a dit « l'appartement n'est pas pour toi » donc le fait de suivre cette volonté là et le fait de rendre hommage à la vraie Lola en allant sur sa propre tombe à elle, qui est aussi comme par procuration celle de sa mère, puisqu'il a loupé l'enterrement de sa mère mais il va se recueillir sur celle de Lola, reconnaître l'existence de cette demi-soeur un peu surprise, c'est aussi une manière d'accepter sa mère telle qu'elle était. C'est tout une histoire de décalages en fait. Il y a des décalages permanents entre les personnages, ce qu'ils font, ce qu'ils incarnent, il y a toujours un temps de retard ou de décalage...

LT : Y compris dans l'héritage, elle lui laisse les tableaux, que ce soit des « croûtes » ou pas, peu importe - elle lui laisse l'art en héritage et on peut faire le parallèle Mathieu /Martin aussi – en renonçant à l'appartement, en le retransmettant, le personnage de Martin semble finalement délesté à la fin du film en s'inscrivant dans le don, ce qui est plus une attitude de parent.

MD : Après on ne sait pas ce qu'il va faire des tableaux?! Mais la lettre dont Claire parle qu'il a reçu à Paris, la lettre de sa mère, c'est probablement le pendant de la lettre qu'elle avait écrite à Lola qui lui explique pourquoi elle lui donne les tableaux. C'est un personnage qui devient un peu moins con tout simplement, un peu plus sensible, un peu plus ému et un peu moins... il est un peu raide quand même au départ, il est un peu matérialiste, un peu fermé, un peu lâche et à la fin du film il est un peu moins con, il est un peu plus généreux...

LT : Il est un peu plus paternel à la fin du film. Est-ce que ce film c'est pas un peu votre bébé finalement?

MD : Ben si, oui évidemment mais c'est mon troisième enfant alors, parce que j'en ai déjà deux...

LT : Vous avez peut-être accouché de vous-même alors?

MD : Oui c'est juste.

LT : En dehors des multiples références aux films de vos parents, présentes dans le film, y-a-t-il d'autres cinéastes qui vous ont inspiré? MD : Pour ce film là, c'est davantage des films qui m'ont marqué pour des raisons très très différentes, Exotica de Atom Egoyam, le personnage qui vient regarder cette jeune écolière danser une strip-teaseuse, on découvre bien plus tard à la fin pourquoi il vient, c'était pour une raison autre et bien plus tragique que ce qu'on peut imaginer. J'aimais bien cette idée aussi que ce personnage de Martin il vient devant Lola, cette espèce de créature, il vient lui parler de sa mère, il arrive pas à coucher avec elle, il est pas là pour ça tout simplement. Il est complètement à côté de la plaque, j'aimais bien ça que cette intimité hyper fragile se passe dans un endroit où il est question de tout sauf de ça. Il y a aussi Mortelle randonnée que j'ai vu dans mon enfance, qui est un road movie sur le deuil dont j'adore le ton, entre le côté comique du personnage de Serrault qui est hilarant, le côté vraiment tragique d'Adjani qui est vraiment magnifique et puis cette relation parfois magique où ils se parlent sans se parler, lui il y voit aussi une femme qu'elle n'est pas et qui est le fantôme de sa fille, elle elle y voit quelqu'un qui est une absence de père, c'est un film pas tout à fait réaliste sur le deuil; il y a aussi Paris Texas de Wim Wenders sur les grands espaces, la lumière, ce mec qui se perd pour se trouver et la fin de Paris Texas est tellement émouvante, c'est génial, génial...
LT : Vous citez Paris Texas, il y a la encore une référence à La maman et à la putain et à cette mère qui va laisser son fils, tout en lui gardant son amour, et le père qui va « conduire » l'enfant à la mère, c'est encore un film de filiation et d'hommage à la mère. Comment votre mère, Agnès Varda, a-t-elle perçu le film?

MD : Oui, oui c'est vrai... Ben elle a été un peu surprise que je la tue à la page une (rires) mais bon, elle a compris où je voulais en venir, elle m'a donné des conseils, elle a un peu participé à la production de loin, elle était aussi présente sur le projet mais à la bonne distance parce que c'était important aussi pour moi de faire mon truc dans mon coin. Elle était comme une mère quoi (sourires).
LT : Comment êtes-vous ressorti de ce film vous?

MD : Lessivé, lessivé... Complètement vidé! J'ai eu un moment de baby blues, vous parliez d'accouchement avant, je me suis dit qu'est-ce que je fais maintenant. Maintenant le film est sorti, on en parle, j'ai commencé à rejouer donc je commence à reprendre ma vie d'avant.

LT : Est-ce que vous avez en projet de faire un autre film? Est-ce que c'est un film héritage-testament?

MD : Oui mais c'est un peu tôt pour y penser, j'espère pas j'ai d'autres envies mais l'envie principale pour l'instant c'est de jouer et de faire peut-être des formats plus courts aussi, j'aime beaucoup les clips.

LT : Avez-vous eu en tête votre père durant le film, incarné par Jean-Pierre Mocky dans le film, avez-vous songé à ce deuil là aussi? MD : Non vous savez c'est aussi pour ça que le film est fictionnalisé quand même c'est que ce petit Martin de Documenteur il me ressemblait un peu à l'époque mais pas totalement, et le Martin adulte que j'ai fait grandir c'était un peu de moi mais il y a dix ans. Moi mon père est mort il y a assez longtemps, depuis j'ai eu des enfants, j'ai fait plus de chemin que ce personnage là.
LT : Avez-vous la sensation que ce film vous a changé?

MD : Il m'a fait progresser je pense comme acteur aussi, ça m'a vraiment détendu. Je me sens plus libre de faire des choses plus éclectiques comme acteur.

LT : Dans la seconde partie du film vous sortez du rôle un peu lisse, un peu nonchalant que vous avez souvent dans vos rôles pour entrer dans un jeu un peu plus connoté, plus « agressif »...

MD : Oui c'était aussi une manière de le changer, c'est vrai qu'au début il est un peu plus maladroit, manipulé par son père, un peu plus passif. C'est un peu l'histoire de quelqu'un qui se réapproprie sa vie, donc à la fin je l'ai voulu fort et déterminé. C'est vrai qu'il y a moins de burlesque que ce que l'on a pu dire sur mon jeu, à la fin d'Americano.

LT : Finalement avec ce film deux en un, grand public et cinéphiles vous faites d'une pierre deux coups?

MD : Oui peut-être mais c'est une pierre qui m'intéresse plus que les deux coups, c'était ma volonté de ne pas cantonner ce film à des cinéphiles, sinon ça ne m'aurait pas intéressé.

LT : Qu'est-ce qui vous tenait tellement à coeur dans le traitement du sujet du deuil de la mère à partir de Documenteur? Vous auriez pu partir des mêmes images et construire un scénario très différent?

MD : Oui, c'est vrai... C'est une très bonne question (sourires). Ça me tenait à coeur parce que moi j'ai vécu un deuil et que j'ai été frappé par une manière très différente encore une fois, par le côté non prévisible que ça pouvait avoir. L'histoire du deuil est venu dans un second temps mais c'est vrai que ça permettait à la fois de parler d'héritage, d'une certaine mélancolie et dans Documenteur il est déjà question de ça. C'est un film sur la fusion entre une mère et son fils et lui ne veut pas comprendre que sa mère a besoin d'un peu plus d'air. C'est quand même curieux oui... Cette fusion avec la mère présente dans Documenteur s'arrête avec la mort, c'était la fin logique oui... D'ailleurs le petit garçon de Documenteur dit à sa mère - et je sais que c'était improvisé, c'est moi qui lui ai dit - « Le jour où tu mourras t'auras une tasse de King Kong de larmes » donc je sais que ça faisait partie des choses dont on parlait dans Documenteur, ça faisait partie du sujet, en quelque sorte.
LT : Cette mort de la mère est donc une mort symbolique?

MD : Oui, comme une sorte de passage de relais. La fin je l'ai voulue apaisée parce qu'il y a quand même beaucoup de violence dans la manière qu'il a de vider l'appartement, d'accuser, de ne pas comprendre, de refuser. Je ne voulais pas que ça se termine dans les larmes ni dans le pathos mais dans quelque chose d'apaisé. C'est un peu comme un héros de cinéma, quand il est sur la tombe de Lola, il reste fort.

LT : Martin - comme Mathieu- a vécu seul avec sa mère qui se trouve un temps esseulée, avant que son père ne le récupère. Dans une scène d'engueulade avec lui, sans aller au conflit, c'est au fond une manière de réparer et de garder la part de l'un et de l'autre non? MD : Ah oui tout à fait! Comme il a mal connu sa mère, il n'a que la version de son père, et le travail qu'il fait c'est aussi de comprendre que c'est pas ses oignons, c'est leur histoire à eux deux, et c'est vrai. Lui il faisait partie de cette mélancolie... C'est une histoire d'histoire en fait, et lui il arrive à mieux comprendre ce qui s'est passé et à s'en extraire.

LT : Dans ce sens vous êtes assez proche du cinéma d'Agnès Varda, dans son rapport à la mémoire, à la mélancolie...

MD : Oui, peut-être dans ce film là peut-être mais en même temps il y a quelque chose de pas réaliste dans le film qui est un peu comme une fable, décollé de la réalité, symbolique parfois, vous avez vu ça aussi et ça ça se rapprocherait peut-être plus de la manière un peu décollée de la façon de voir les choses de mon père...
LT : C'est presque un film thérapeutique ce film? MD : Oui, oui c'est un film très analytique quand même...

LT : Film risqué et vrai casse-tête pour les cinéphiles et pourtant le film roule!

MD : Ce qui est bien pour un road movie (rires)

Laura Tuffery

Entretien mis en ligne sur www.culturopoing.com le 22/01/2012

Americano

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.