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Chroniqueuse cinéma, Historienne, professeur d'Histoire et de cinéma. Historiadora y crítico de cine basada en Paris.

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Billet de blog 24 juillet 2011

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Lourdes - Jessica Haussner

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Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Albert Cohen

Dieu qui n'est pas, pose ta main sur mon épaule. Yves Bonnefoy

Entre deux chants, l'Ave Maria de Schubert et La Félicita d'Al Bano et Romina Power, Jessica Hausner ose avec Lourdes, filmer plus bleu que les cieux, l'étoffe resserrée et sans accroc de la vie, loin de toute bondieuserie, et approcher dans une chorégraphie aussi précise que celle d'un horloger, le beau miracle intermittent de l'amour comme réponse provisoire à nos solitudes et quête de sens.

Pourquoi Lourdes? Jessica Hausner dont il s'agit ici du troisième long métrage a une prédilection pour le huis clos enchâssé dans le titre lui-même. Après Hôtel en 2004, Lourdes se déploie comme une tapisserie brodée main, une enluminure austère, loin donc de la tentation d'une fresque humaine en soif de paradisiaque comme la promesse d'un ailleurs miraculeux, qu'un tel titre pouvait laisser présager. La réalisatrice place ainsi son cadre et son propos qui, même s'ils s'ancrent dans le décorum du mythique et mystique Lourdes, demeurent à une échelle humaine sans démesure et sans prétention à une quelconque démonstration ou volonté didactique vis à vis du spectateur. Telle est la qualité majeure de Lourdes, ou comment interroger sans grandiloquence la quête universelle et atemporelle de sens et d'amour que revêt toute existence, ce néant sans promesse de la vie en amont qui cherche dans le « miraculeux » un signe en guise de sens, en aval.

Pris sous cet angle, Lourdes se situe ainsi à l'interstice du film de genre et du film mental pour ne pas parler de genre philosophique. Dans la lignée de films abordant le miracle dans son cadre religieux et toute sa liturgie, tels Ordet de Dreyer - dont Jessica Hausner précise s'être inspirée pour son travail sur la lumière - ou la Symphonie pastorale de Jean Delannoy, Lourdes présente également une parenté avec le burlesque de Tati mais plus sûrement encore avec le figuratif Bal d'Ettore Scola, dans l'originalité de la mise en scène et le traitement de son sujet.

Avec une ouverture sur la salle du repas où invalides, pèlerins et accompagnateurs de l'Ordre de Malte, arrivent peu à peu dans une chorégraphie désuette mais très bien orchestrée sur l'Ave Maria de Schubert, qui n'est pas sans rappeler certaines chorégraphies de Pina Bausch où l'ouverture du Bal d'Ettore Scola - dans le dénuement et les mimiques de chacun des personnages - Jessica Hausner introduit ainsi un à un ses personnages. Avec une très grande minutie accordée à leur démarche, leurs costumes, leurs expressivité, chacun dans sa singularité, encore à l'état d'ébauche la réalisatrice plante ainsi le cadre dans lequel peu à peu subrepticement se profilent les contours d'archétypes universels où les femmes tiennent la part belle à l'instar de la première d'entre elle, la Vierge Marie.

C'est dans un temps resserré, celui d'un pèlerinage organisé à Lourdes, que se rencontre ici non pas une humanité mais toute l'humanité dont le point de convergence est son face à face à la solitude et par conséquent à l'altérité, une humanité aussi diverse qu'inattendue qui se pose la question fondamentale du que faire de sa vie, qu'a-t-on mérité ou que faut-il mériter pour y apporter une réponse, que tous souhaiteraient claire et visible, car « pour croire il faut voir » et rien de tel que le miraculeux pour s'en persuader, s'en satisfaire ou contre toute attente en douter. Grâce à de longs plans séquences et des plans fixes, avec une dominante lumineuse de bleue tamisé jusqu'au moindre détail vestimentaire et avec le parti pris de l'absence de bande son pour rehausser le propos, Jessica Hausner parvient à trouver le ton juste, entre profane et sacré, la bonne distance avec le spectateur captivé par les moindres détails brodant peu à peu des personnages dans leur duplicité, sans aucune schématisation. Les multiples scènes où se dresse un infranchissable rideau blanc, témoignent autant d'une pudeur que d'une opacité nécessaires au propos.

Si Christine, campée par une Sylvie Testud accoutumée à l'aridité de ses rôles, est la « miraculée » inattendue, elle qui atteinte d'une sclérose en plaques vient en pèlerinage pour rompre la solitude, même si c'est moins « amusant que les voyages culturels », tous les personnages dits secondaires bénéficient de la même attention particulière. Ainsi, la jeune Maria (Léa Seydoux) accompagnatrice de l'ordre de Malte et chargée de veiller sur Christine, attend-t-elle à l'aube de l'âge adulte, le miracle de la rencontre amoureuse ou encore celui de la révélation d'une sexualité qui affleure et abonde derrière la mine tantôt boudeuse tantôt rougissante face à Kuno (Bruno Todeschini) oscillant lui même entre le charme, la séduction agissants ou contenus, focalisant sur lui un érotisme mâtiné comme un fort contrepoids à la féminité et virginité du film.


Ce qui auréole tous ces personnages qui « jouent » tous un rôle taillé sur mesure, c'est de leur avoir attribué une grâce jusque dans leur obséquiosité, repli, nonchalance ou médisance : chacun se trouve le rôle qu'il peut ou qu'il veut dans cette micro société fixée sur une photo de groupe où chacun côtoie son voisin, tout en étant profondément seul.

Sans avoir négligé la question de Dieu et du miracle, ni éludé Lourdes comme lieu d'une possible kermesse du bonheur, Jessica Hausner parvient à se tenir en bon équilibre dans son traitement du religieux, du sacré et du sacrément terrestre et en donnant chair à ses personnages c'est aussi au delà de la question du miracle, qu'elle interroge le sens existentiel du mystère et de la grâce. Ceci explique sans doute la possibilité qui lui a été donnée de tourner à Lourdes même, en concertation avec les ecclésiastiques mais également une direction et un jeu d'acteurs à la mesure de cette facilité et contrainte, puisque le tournage s'est déroulé au sein d'un réel pèlerinage, où les acteurs ont du se glisser au milieu des malades et adopter leur posture.

Pourquoi Christine parvient-elle à se lever et à marcher ne semble pas être la question essentielle du film, même si on peut supposer que le miracle est introduit, sans effet ni mise en scène spectaculaire par une faille le précédant venant rompre ainsi l'équilibre d'un groupe hiérarchisé, où quand l'un surplombe et tombe, l'autre peut se relever et trouver enfin un peu de place pour exister autrement. Chacun continuera de s'interroger si miracle il y eut ou pas, mais tous, spectateurs compris, de s'interroger sur la précarité du bonheur, le lien ténu que celui-ci entretient avec le mystère opaque de la vie et de l'amour, et ce va et vient incessant intérieur entre vouloir savoir et ne pas vouloir savoir, la crédulité et l'incrédulité, le bonheur comme état présent et non pas à venir, enchantement et désenchantement.
Avec ces multiples scènes ouvertes aux sens, et l'ultime partie qui se réchauffe au contact de plans extérieurs ensoleillés, à l'instar des pèlerins qui poseront à cette occasion pour une seconde photo de groupe ou les rôles et les places de chacun seront quelque peu modifiés ou remis à leur « place », Lourdes emporte le spectateur dans une scène finale aux multiples interprétations possibles, entre grâce, résignation, scepticisme et bonheur, dans un élan de vie qu'on peut qualifier de quiétude, tant le film sait se tenir à bonne distance.

Sur l'air italien du célèbre Félicita façon bal populaire, acteurs et spectateurs, chacun peut se choisir in fine, la chaise, le fauteuil roulant, le comptoir, l'explication ou la posture qu'il souhaite, le parti pris de Jessica Hausner n'est pas sans rappeler dans ce choix musical que félicité est synonyme de bonheur mais aussi de béatitude...

Laura Tuffery

Sortie en salles le 27 juillet 2011

Article publié le 23 juillet sur www.culturopoing.com

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