Hier, nous causions avec Julia, 68 ans, de la réparation prochaine du vélo d'Hugo, notre nouveau colocataire de 18 ans. Les conversations au sein d'un habitat intergénérationnel sont sans doute parmi les plus riches auxquelles il m'ait été donné de participer, ainsi nous n'avions, une fois encore, pas les même réflexes face à cette problématique.
Un simple changement de chambre à air et la bécane était opérationnelle sur de courts trajets. Julia émit en premier lieu l'idée de jeter un oeil à la recyclerie du village en contrebas, où l'un de ses proches amis, Hervé, s'applique à redonner une jeunesse à quantité de vieux vélos.
Cette proposition, je dois l'admettre, me ravit intérieurement. À ce stade, une première réflexion émergea dans mon esprit sur le fait que les générations de nos grands-parents et la mienne avait quantité de choses à partager sur la valeur des choses et le réemploi des objets. Cette pensée était confortée par le fait qu'il n'y ait pas un seul objet dans la maison de Julia qu'elle ne connaisse pas intimement. Chaque bol, chaque livre, chaque meuble a ici sa place, de par son histoire particulière. Il est tout a fait possible d'écrire une vingtaine de lignes par objet sur la manière dont elle en a fait l'acquisition (je me suis déjà employée à la questionner sur bon nombre d'entre eux.)
Le soir-même, Julia revient me trouver dans le jardin, un agacement perceptible dans la voix. Elle m'indique qu'Hervé n'a pas pu trouver la chambre à air correspondante, grommelle et se demande s'il a réellement cherché. Mais qu'à cela ne tienne, se reprend-t-elle, puisqu'elle a trouvé la référence sur Amazon et qu'Hugo pourra la commander dès aujourd'hui pour une réception le lendemain.
Exit, les belles et naïves pensées qui m'étaient apparues quelques heures plus tôt ! À cette phrase, mon cerveau s'est figé et je crois lui avoir esquissé un vague sourire.
Figé, comme il l'était déjà en décembre dernier, lorsque, prenant le TER vers mon village d'enfance afin de passer les fêtes de fin d'année en famille, j'avais observé la poussée fulgurante de ces drôles de champignons oranges que sont les Amazon Lockers sur les quais des petites gares de nos villages de brique. Leur coloris fluo tranchait face aux bâtiments ferroviaires fermés et aux escaliers de rouille enjambant les rails herbeux.
Entre la recyclerie en contrebas et Amazon, n'y aurait-il désormais plus qu'un saut de pensée ?
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Les noms ont été changés à la demande des concerné.es.