Ce billet est essentiellement un copié/collé du commentaire que j'ai posté sur le site de France Culture concernant l'émission Science publique du 3 avril 2015. Par là, je souhaite prolonger la discussion sur le scandale de corruption organisé autour des laboratoires pharmaceutiques révélé par Médiapart dans ses éditions de mars avril 2015. Cette émission intitulée La médecine prescrit-elle des médicaments inutiles ? (http://www.franceculture.fr/emission-science-publique-la-medecine-prescrit-elle-des-medicaments-inutiles-2015-04-03) donne encore plus d'éléments attestant de la malhonnêteté des laboratoires notamment au travers de Monsieur Patrick Errard représentant les laboratoires. De manière intéressante cette émission reprend et développe une idée tout juste énoncée dans le débat filmé de Médiapart Retour sur nos enquêtes : soupçon sur les labos (http://www.mediapart.fr/journal/france/290315/retour-sur-nos-enquetes-soupcon-sur-les-labos) à savoir : seule une centaine de médicaments serait réellement utile.
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Je suis scandalisé, je suis outragé. J’ai 24 ans (c’est important car cela explique ma virulence et mon ingénuité), de formation scientifique, toute mon éducation a été axée sur la démarche scientifique, cadre dans lequel s’inscrit la médecine (au moins dans la théorie).
J’ai été, jusqu’à il y a quelques temps un fervent défenseur de la médecine institutionnelle contre tous les membres de ma famille (dont personne ne connait professionnellement le monde médical) qui doutaient de sa valeur et glissaient vers des médecines alternatives plus ou moins honnêtes. Mais j’ai compris récemment que je me suis trompé et que si l’on accorde un crédit non justifié à un certain nombre de médecines alternatives on accorde également un crédit injustifié à une médecine institutionnelle malhonnête. Il ne faut pas s’étonner de la défiance croissante du public à l’égard des médecins (qui y sont pour très peu dans cette histoire, mais pas pour rien pour certains) quand on écoute des émissions pareilles et les autres sources que j’ai citées en introduction.
Je demeure un ardent défenseur de la médecine occidentale qui s’appuie sur la démarche scientifique (voir entre autres Bachelard) qui a permis et permettra des progrès considérables dans le traitement des maladies. Malheureusement et ô grand malheureusement la médecine que j’ai qualifiée d’institutionnelle et qui se revendique de la médecine occidentale a oublié de dire qu’elle contenait une part notable de médecine « politique » (je ne veux pas dire bien sûr de droite ou de gauche mais qui contient une part d’arrangements entre personnes). La chose très grave est que cette imposture de la médecine institutionnelle qui prend le visage de la médecine occidentale jette le doute et discrédite cette dernière. Je ne comprends pas que l’on en soit arrivé là.
Maintenant, je me permettrai de poursuivre le débat de l'émission Science publique de Michel Alberganti sur France Culture du 3 avril 2015 intitulée : La médecine prescrit-elle des médicaments inutiles ? Je fais en particulier une analyse minutieuse des propos de Patrick Errard (président du LEEM, représentant les laboratoires) qui apparaît pour quiconque a l’ouïe fine ridicule tout au long de l’émission.
Monsieur Errard est tout simplement un bon communiquant malhonnête, on aurait dit au temps des grecs un sophiste. Je pèse mes mots et je les justifie de manière très précise.
Question de Michel Alberganti (13:26): « Comment réagissez-vous à cette liste ? »
Réponse de Monsieur Errard : « La première cause d’inutilité d’un soin c’est son mauvais usage ». Là n’est pas la question, bien sûr il faut faire attention à ce que l’usage soit bon mais on interroge Monsieur Errard sur les médicaments eux-mêmes. Monsieur Errard dit ensuite donner trois exemples, les deux premiers ne sont pas pertinents car le thème de l’émission ce sont les médicaments et il parle du diagnostic. Pour le troisième exemple, Monsieur Errard prend un exemple grossier de l’inutilité des antibiotiques pour une infection virale. Je n’ai jamais fait de médecine et je le sais alors a fortiori ce serait une erreur grave d’un médecin que de prescrire des antibiotiques pour une angine virale. De quoi nous parle ce Monsieur ? Du sexe des anges ? Monsieur Errard conclut qu’il « mène un combat », je suis désolé en sciences on ne mène pas de combat, il y a des faits, point. En somme dans ces deux minutes de parole Monsieur Errard noie le poisson en parlant d’autre chose (l’usage) et en disant que le problème est trop compliqué pour que l’on en conclut quoi que ce soit car il y a le facteur usage.
Intervention de Caroline Tourbe (20:35) : En substance, il y a des médicaments de référence et d'autre part des médicaments récents dont les preuves sont à faire.
Réponse de Monsieur Errard : « On voit bien là le danger de l’amalgame ». Ici encore Monsieur Errard, qui utilise le mot exagéré d’amalgame alors que Caroline Tourbe propose simplement une classification, veut nous faire tomber dans l’idée selon laquelle en fait c’est plus compliqué, vous auditeurs aucune vulgarisation n’est possible.
Ensuite il dit : « La prescription de médicaments récents peut avoir deux intérêts, d’abord il peuvent être innovants ». Je ne savais pas que le caractère innovant était un des critères dans la démarche scientifique qui donne du crédit à une position plutôt qu’à une autre. Mais de quoi parle ce monsieur ?
« Des bénéfices sanctionnés par la HAS ». On remarquera ici l’argument d’autorité d’un organisme qui prend le masque de la science derrière des pratiques que l’on découvrira en se référant à Médiapart.
« Deuxièmement, on peut considérer effectivement, qu’il existe des médicaments qui n’ont pas d’amélioration du service rendu et qui sont effectivement des variantes [remarquez le ton en réécoutant l’audio] de médicaments existants, est-ce-que ça en fait des médicaments inutiles pour autant […] Il peuvent avoir néanmoins, même s’il n’ont pas une amélioration significative de l’efficacité, […] » et il conclut sur l’argument de l’observance et l’argument économique. A cela, j’attends des études précises et exhaustives sur les prix de ces variantes et je parie fort (il est vrai sans aucun élément factuel en ma possession mais simplement suite au débat filmé de Médiapart) que les laboratoires se gavent (désolé pour le vulgaire) avec ces variantes.
Intervention de Monsieur Errard (30:52). On comprend d’une part que Monsieur Errard est gastroentérologue (« Il se trouve que je suis gastroentérologue ») et d’autre part qu’il travaille pour un laboratoire (« En plus ce n’est pas une molécule de mon labo »). Or il me semblait avoir compris (je n’ai pas la source immédiatement) que dans toute prise de parole publique un professionnel de santé devait déclarer tout lien avec les entreprises. Il est dommage que Monsieur Errard ne fasse pas mention explicite de ses liens avec des entreprises (c’est-à-dire quelle(s) entreprise(s)) au début de l’émission.
Question de Monsieur Alberganti (41:03) : « Patrick Errard, quand on fait ce constat que finalement beaucoup des médicaments très vendus, très utilisés par les médecins, ne font pas parti de la liste des médicaments essentiels, qu’est-ce-que ça vous inspire ? ».
Réponse de Monsieur Errard : Belle réponse politico politique (à réécouter absolument) complètement à côté de la question, au milieu d’un débat globalement construit. Mais qui ce Monsieur croit-il duper ?
Dans le fond Monsieur Errard utilise des grands mots « On a en France une médecine responsable ». Il parle ensuite de ses confères (les médecins) avec les adjectifs « connaissent leur métier parfaitement et leurs patients sur le bout des doigts », « Ils ont la liberté de choisir ce qu’il y a de mieux pour leurs patients, ils le font avec une connaissance éclairée ». Je me permets une analyse lexicale digne des discours politiques : on y retrouve les mots « responsable, parfaitement, liberté, éclairée » en moins de vingt secondes. Oui, ils connaissent leur métier mais ils ne peuvent pas lire les milliers de publications médicales alors ils lisent les revues qui leur sont destinées et qui hors « Prescire » sont pieds et poings liés avec l’industrie pharmaceutique.
J’avais appris à l'école la séparation des pouvoirs en France, adulte je me rends compte que l’on ne m’a pas dit qu’il y a aussi le système « juge et parti » en Fance.
Ensuite il accuse le travail de classification fait par ces médecins de « démarche rétrograde ». Ce sont des médecins et jusqu’à nouvel ordre, s’il n’ont pas été radié de l’ordre des médecins, c’est bien qu’ils appliquent la démarche médicale scientifique et pas la méthode « gourou ». D’ailleurs, ils proposent une classification qui dans l’approche même fait parti de la démarche scientifique (voir la classification des espèces intentée dès le début des sciences de la nature). Enfin joli florilège « Il n’y a pas de problème (deux fois), Je ne vois pas où est le problème (deux fois) ? » qui l’empêche d’écouter la question de Monsieur Alberganti, par conséquent il répond encore une fois à côté. « Il faut quand même laisser la possibilité de choisir ». Oui mais il faut dire aussi que quand les médecins ont un panel de milliers de médicaments ils ne choisissent pas vraiment, il suivent les résumés et synthèses qu'ils reçoivent (Car je le répète ils ne peuvent pas pour chaque médicament lire les dizaines d'articles scientifiques eux-mêmes). Vient alors la question pertinente de qui fait ces résumés, ces synthèses à destination des médecins ?
Enfin « J’attends l’article suivant, quelles seront les innovations essentielles de demain et je veux bien vous accompagner là-dedans ». Donc d’après Monsieur Errard, inutile d’écrire des articles sur l’utilité des médicaments que la population française consomme actuellement, inutile de se poser des questions sur l’intérêt médical des médicaments, non, il vaut mieux les consommer les yeux fermés et écrire des articles sur les futurs médicaments que l'on consommera encore les yeux fermés. Cette prise de position est hallucinante. Prend-on conscience de ces propos ? Prend on conscience de la position politique du LEEM au travers de son président. Réécoutez ce passage et jugez avec l’esprit critique que l’Ecole Républicaine vous a forgé. S’en suit avec un rythme effréné une énumération des progrès expectés digne des promesses politiques.
Je passe sur les 15% de Monsieur Errard qui signifient en somme « on vole le peuple mais c’est pas beaucoup donc laissez nous faire ». Je souhaiterais qu’il dise plutôt la valeur absolue en euros de la somme prise directement dans la poche du contribuable (avant salaire donc invisible) et déposée directement dans la tirelire du laboratoire non pas pour l’intérêt thérapeutique mais en raison du nuage épais que Monsieur Errard contribue à construire.
Vous l’aurez compris, j’ai 24 ans et je suis simplement dépité de voir que l’on m’avait enseigné la science, la rigueur, la justice et que je constate qu’ici sur la question des soins la société marche simplement sur la tête. Si la société marche sur la tête c’est à cause de Monsieur Errard et de tous ces individus qui contribuent à petite échelle et en connaissance de cause au rapt organisé des laboratoires. Il sera très difficile de me convaincre (je dis convaincre et non persuader car je m’inscrit dans la discussion dialectique) que Monsieur Errard croit au fond de lui à un seul des mots qu’il prononce. Si c’est le cas alors le problème est ailleurs ...
Bravos à ces médecins et journalistes (de Médiapart, France culture, Sciences et Vie) qui font un travail remarquable pour un peu de lumière au milieu d'un océan de mensonges. Un grain de plus pour le progrès démocratique.