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Billet de blog 24 novembre 2010

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Servier tenterait-il d'entortiller les médias sur le Médiator ?

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Au Journal de la santé de France 5 du lundi 22 novembre, Lucie Vincent, neurologiste, travaillant pour le laboratoire Servier, chargée des «affaires extérieures», est venue pour s'indigner des accusations portées contre le Médiator. http://www.france5.fr/magazinesante/video.cfm?file=http://www.france5.fr/images/emissions/010866/61/magsante_20101122.asx Affalé dans mon sofa devant ma télé, je dresse l'oreille. Et plus l'interview se déroule, plus se propage dans mon esprit une drôle d'impression...Servier nous prendrait-il pour des imbéciles? En tant que pharmacien j'ai quelques notions de pharmacologie, et ce que j'entends alors me semble une tentative pour nous faire prendre des enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Décryptage:

«Michel Cymes: Lucie Vincent, vous êtes une scientifique. Nous, il y a des choses qu'on a du mal à comprendre. Le Médiator et l'Isoméride, dont on a beaucoup parlé dans cette émission, qui a été retiré du marché pour les mêmes raison en 97, ils font partie de la même famille de médicaments pour simplifier

Lucie Vincent: Alors c'est moi la scientifique ou c'est vous? Parce que là on n'est pas d'accord.

MC: Laissez-moi finir. C'est surtout que ce qu'on appelle le métabolite, c'est-à-dire un des produits de dégradation du médicament, dans les 2 cas ils donnent la même molécule. Or c'est cette molécule là qui serait toxique pour le cœur. Alors on a du mal à comprendre pourquoi ça marcherait pour l'Isoméride et ça ne marcherait pas pour le Médiator.

LV: Il faut que l'on reprenne les choses à la base, parce qu'on a dit dans les médias des choses qui sont vraiment fausses. Totalement. Pour commencer, la même famille. Les 2 molécules font partie d'une famille qui s'appelle les alkylamines. Il y a beaucoup de différences moléculaires entre les 2 molécules. Ce n'est pas parce qu'on fait partie de la même famille qu'on fait la même chose dans le corps. L'exemple de l'hormone mâle, la testostérone, et de l'hormone femelle, l'œstrogène: elles sont beaucoup plus ressemblantes que l'Isoméride et le Médiator, et pourtant l'un donne des moustaches...»

La famille des alkylamines...Oui, bien sûr, ce sont 2 alkylamines, mais c'est un peu comme de dire du tigre et du lion qu'ils font partie de la même famille , celle des...mammifères ! Certes. Mais ce serait plus pertinent de dire qu'il font partie des félins. Le Médiator et l'Isoméride font ainsi partie de la familles des dérivés amphétaminiques. Aïe!!...rappeler que ces molécules sont proches des amphétamines ne risquerait-il pas de jeter le discrédit sur ces médicaments et le labo qui nous les a vendus? Que Servier préfère ne pas le dire et se fondre dans la vaste famille des alkylamines se comprend !

Quant à l'exemple de la testostérone et de l'œstrogène...c'est un peu noyer le poisson. Si le Médiator et l'Isoméride sont classés par les pharmacologues dans la famille des amphétaminiques, ce n'est pas seulement parce que leur formule chimique en est proches, mais aussi parce qu'ils ont des effets similaires. Ils agissent sur les mêmes récepteurs. Il était donc raisonnable de se demander si le Médiator ne faisait pas courir les mêmes risques aux patients que l'Isoméride. D'autant plus que, ainsi qu' insiste justement Michel Cymes dans la suite de l'entretient:

«MC: Non mais je vous parle du produit qu'on retrouve dans le sang après avoir pris le Médiator ou après avoir pris l'Isoméride. Ce produit c'est le norfenfluramine et dans les 2 cas, aussi bien celui de l'Isoméride que celui de Médiator, c'est ce produit que l'on retrouve dans le sang à des doses équivalentes. On ne parle pas des produits retrouvés dans les urines, mais de ceux qui circulent dans le sang. Or c'est bien le même produit, même si on n'arrive pas au produit par la même voie parce que ce sont 2 médicaments différents, mais c'est le même produit qu'on retrouve dans le sang et c'est ce même produit qui est toxique pour les valves cardiaques

LV: Alors là aussi vous allez bien vite dans la pharmacocinétique. Il y a un métabolite, la norfenfluramine, qui est produit à 2% dans le cas du Médiator, parmi les 8 métabolites qui sont présents. Alors si vous voulez bien regarder quelle est la compétition entre tous ces métabolites pour le récepteur, c'est un facteur. 2% pour le Médiator et 40% dans le cas de l'Isoméride.

MC: c'est pas les chiffres qu'on a sur les courbes que nous on a eu, où on a les mêmes concentrations en norfenfluramine dans le sang

LV:Eh bien dans le rapport de l'AFFSAPS, que vous pouvez retrouvez sur internet, comme moi»

Hou là, c'est compliqué tout ça. Qui a raison?

Reprenons les deux arguments de la «chargée des affaires extérieures» de Servier. Oui, le Médiator est transformé en norfenfluramine, le produit toxique, mais aussi en 8 autres métabolites qui pourraient empêcher le norfenfluramine d'être toxique en prenant sa place sur les récepteurs des cellules. Ainsi, le Médiator produirait un composé toxique, mais en même temps ses antidotes. Magique !! Bon, moi je veux bien, ...mais ça, ça reste des suppositions théoriques. Et, en pharmacologie, de magnifiques théories sont souvent mises en pièce par la réalité. Ce qui se passe dans nos cellules s'avère ne pas toujours se conformer à ce qui est écrit sur la papier. N'était-il pas indispensable de vérifier que, dans le corps des patient, la norfenfluramine issue du Médiator était vraiment neutralisée ?

Ah, ces 2 % contre 40%, tout de même ça frappe l'esprit.

Premier constat: en supposant que la quantité de norfenfluramine retrouvée après absorption de Médiator soit très faible (et bien inférieure à celle retrouvée après prise d' Isoméride) cela ne signifie qu'il faille se désintéresser de la question. Enquêter sur la toxicité du Médiator en comparant les diabétiques en prenant avec ceux sous un autre traitement, voilà de quoi Servier aurait pu s'inquiéter

Pourquoi, depuis 1997, n'avoir pas fait une telle étude? Ce qui importe au final c'est le résultat clinique plutôt que le taux de tel ou tel paramètre biologique

Voici ce que dit le fameux rapport de l'AFSSAPS: http://www.afssaps.fr/content/download/29421/387796/version/1/file/fiche_propri%C3%A9tes_pharmacologiques_mediator.pdf"La (d)-norfenfluramine est donc un métabolite commun du benfluorex et des fenfluramines. Pour le benfluorex, la d-norfenfluramine ne représente qu’environ 4% de l’exposition aux autres métabolites alors que ce pourcentage est de 33 % avec la dexfenfluramine (Isoméride) et de 10,6 % pour la fenfluramine (Ponderal). " Ah, c'est donc le pourcentage des autres métabolites.Mais la quantité des autres métabolites, auquel s'applique ce pourcentage, est-elle similaire dans les 2 cas. Je n'ai pas trouvé de réponse.Mais je tiens quand même à rappeler un petit détail: La dose d'Isoméride était de 2 gélules de 15 mg par jour, soit 30 mg/jour. Or, celle du Médiator était de 150 mg 3 fois par jour, soit 450 mg/jour ce qui me conduit à penser que les concentrations sanguines des métabolites des 2 médicaments n'étaient pas les mêmes!! Bref, la seule bonne question, c'est la concentration de norfenfluramine mesurée chez les patients...

Or l'AFFSAPS ajoute: "Cependant, le niveau de l’exposition de la norfenfluramine (évolution de ses concentrations plasmatiques en fonction du temps) est similaire entre benfluorex, fenfluramine et dex-fenfluramines aux doses thérapeutiques utilisées". Voilà, ne nous laissons pas enfumer l'esprit par des chiffres qui n'ont pas de signification. Michel Cymes a raison, les concentrations sanguines du métabolite toxique sont équivalentes chez les patients.Je ne peux m'empêcher de penser que Servier veut nous tromper. Et là, c'est grave. Confier notre santé à des industriels qui n'hésitent pas à nous tromper me semble très, très inquiétant.

Laure Chatenet, pharmacien

Ainsi que la loi m'y oblige, je dois déclarer mes liens d'intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques: je n'en ai aucun.

Ps: pour plus d'infos sur les dérivés amphétaminiques aux USA dont il est question après, allez voir Ce qu'en dit la Revue Prescrire : http://www.prescrire.org/aLaUne/dossierDexfenfluramine.php

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