« Quoi ? C’est seulement maintenant que vous le dites ?» Je suis furieuse contre lui. Il a 50 ans. Il est fatigué, essoufflé quand il marche et ça dure depuis plusieurs semaines. Il a décidé de consulter. Ce soir. Aux urgences. A l’examen je découvre qu’il a un important souffle au cœur et après les examens et l’évaluation du cardiologue, on en déduit qu’une de ses valves cardiaques est endommagée et qu’elle est responsable de ses symptômes. D’autres examens sont indispensables mais aucun d’entre eux ne nécessite d’être hospitalisé dans l’instant. En revanche, il ne faut pas traîner. Le chirurgien décidera après s’il faut ou non opérer. C’est au moment où je lui donne toutes les ordonnances avant qu’il ne quitte le service qu’il me tend une pochette d’un air coupable. En l’ouvrant je découvre stupéfaite qu’il sort à peine d’un séjour dans un autre hôpital et qu’y sont consignés tous les résultats des examens que je viens de lui prescrire.
Les conclusions ont été tirées et la chirurgie est prévue dans 15 jours. Je suis donc furieuse. Furieuse d’avoir perdu du temps à l’interroger, à l’examiner, à l’informer de ce qu’il savait déjà et m’a volontairement dissimulé. Furieuse de m’être emportée contre le cardiologue qui mettait trop de temps à venir. Furieuse d’avoir fait patienter d’autres malades qui sont, eux, toujours sur leurs brancards. Bref, furieuse qu’on m’ait menti et d’avoir été trompée.
Je fulmine et le lui dis. Lui, se décompose. Ses épaules s’affaissent, son regard fuit. « Il voulait m’opérer vite. Mais si je posais des questions, il s’énervait. Le chirurgien m’a crié de revenir quand je serai décidé. Il m’a dit que c’était mon problème si je voulais mourir. » Silence « Comment je peux savoir quoi faire ? J’ai 4 enfants, je suis boulanger, je suis seul, je travaille dur. Je peux pas m’arrêter comme ça. »
Il sanglote. « C’est mon cœur docteur. Je voulais juste un autre avis et on m’a dit que les chirurgiens étaient bien ici. » Il soupire. « J’ai voulu prendre rendez-vous mais la secrétaire m’a dit : « si c’est pour tout de suite c’est une consultation privée, sinon c’est public et dans 2 mois »… La dernière fois pour mon fils, j’ai vu un professeur à l’hôpital parce qu’il a une maladie grave, il m’a demandé 300 euros comme ça... Je lui ai donné… Mais j’ai jamais eu de feuille de soins. Là, je peux pas me le permettre. Je voulais pas vous mentir docteur. Je suis désolé. Vraiment désolé. »
Il se tait et soupire encore en rangeant ses papiers. Ma colère, elle, a changé de camp.