Des lions et des lièvres
Maints lions, force lièvres
En un grand bois vivaient,
Les premiers s’ébattant, forgeant mille projets,
Edictant mille règles,
Déchirant les seconds ;
Les autres frémissant, fuyant les coups de pattes,
Craignant les coups de dents,
Pleurant leurs frères perdus.
Parfois un jeune lion, feulant et rugissant,
Sur les brisées d’un oncle
Prestement s’avançait.
Mais alors un conseil, de doctes réuni,
Accordait leurs visées.
L’ordre, d’airain, régnait.
D’autres fois, de fureur et de hardiesse pleins,
Les lions provoquaient la guerre
Aux lions leurs voisins.
Lors, le grand jeu
Etait d’amonceler les corps
Des lièvres morts.
C’était beau, c’était grand,
Mais de tout on se lasse.
Entre deux bains de sang,
Comment vivaient les lièvres ?
De mille expédients.
Beaucoup trouvaient une consolation
En mettant aux fers leurs semblables,
En écrasant femmes, fils, frères,
En humiliant ceux qui se voyaient plus faibles.
Les déboires de ces derniers
Réchauffaient les ardeurs de nombreux lièvres,
Qui, moins bas se jugeaient placés
Sur une échelle du malheur.
Aux vertiges des sens, bien d’autres se prenaient :
Les hases courtisaient, fumaient herbes et plantes,
Accumulaient les biens.
Il en est qui sans fin se tournaient vers les dieux,
Dénonçant les abus des lions. Puis ceux,
Qui montaient aux tribunes,
Tout gonflés d’importance,
En criant : « Il faut que ….! »
« Que quoi ? », entends-je ?
C’est bien simple, pourtant :
Il fallait que, vertueux, les lions devinssent.
N’y crois-tu pas, cher lecteur ? Ta main pince.
Quelques lièvres, de beaux talents dotés,
Donnaient à voir, par mille tours,
Mille maux endurés.
Tel, célébrait la fin de cette illustre hase
Qui mourut déchirée pour sauver ses levrauts.
Un lièvre mit en scène
L’épopée d’un héros
Qui déroba un jour
A un lion sa bague,
Puis expira,
Après une longue tirade,
Qui exhortait chacun à prendre patience.
Lors de la première, au premier rang, lions
Applaudirent aussi fort que lièvres aux corbeilles.
Un jour, trouvant fâcheux
La pleutrerie des lièvres,
Et l’absence d’enjeu dans l’issue des combats,
Les lions imaginèrent d’en finir une fois.
Tous moyens y passèrent :
De grandes équipées
Fort méthodiquement
Mirent à bas les gîtes.
Il se murmure
Que certains lièvres,
Certains de se sauver,
Révélèrent aux lions les terriers secrets.
A force de détours, de vœux fallacieux,
Les innocents levrauts
Furent enfin corrompus :
Détestant leur lignée, sans fin ils vagissaient
En contestations et chimériques rêves.
Pour ce qui est de massacrer les hases,
La force seule prévalut.
Même, un noble lion, fort sage,
Sans blêmir, s’acharna
Sur les troncs centenaires
De la belle forêt.
Pour les lièvres, perdus,
Une nouvelle fois les discours seuls restaient.
Cinq ou six lièvres téméraires
Dans le palais des lions
Ensemble s’immiscèrent.
Là, d’un air indigné,
Belle morale déversèrent.
« Méchants, vils, débauchés, abjects, cruels,
Mais ne voyez-vous pas,
Qu’en pourfendant les lièvres
Qu’en ruinant la forêt,
Votre ruine s’avance ! »
Se rire de ces lièvres,
Pour les lions roués
Représentait encor
Un innocent plaisir.
D’un père courroucé, ils mimèrent l’accent :
« Le monde doit changer ; même, voyez : il change.
Vous aimez à pleurer et à vous contenter
De peu.
Les lions, visionnaires, dessinent le futur.
Pour peu que vous tâchiez
A vous hisser un peu,
Il faut vous préparer :
Déluges, hécatombes,
Incendies, bris de glaces,
Cet ultime spectacle
Durera peu.
Or, dégagez.
Nous n’aimons plus pleurer.
Puis, réconfortez-vous.
Nous aurons soin de tout. »
Lors, lièvres de s’en retourner
A leurs logis fumants,
Où, bien vite, ils troussèrent
Drames et élégies.
Hommes, d’où vient que, parmi nous,
Qu’un même sang unit,
Certains prennent des lions les mœurs et les délires,
Et que d’autres se plaisent à jouer le malheur
De lièvres gémissants ?