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Billet de blog 28 janvier 2022

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Pour notre bien

Remercions un homme, qui fut premier ministre, et qui, l'un des premiers, sut nous tancer, pour avoir voulu prendre le soleil, voir notre famille ou nos amis, un beau dimanche de mars 2020. Car il nous fallait, pour notre bien, accepter de mourir pour voter. Mais pour la beauté ou l'amitié, risquer de vivre était obscène.

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Pour notre bien

                                                                                                                      A Monsieur Edouard Philippe

Pour notre bien

Ils nous ont enfermés.

Ils ont dit que les liens

Que nous avions patiemment tissés

Nous menaçaient.

Le lierre qui pousse

Entre les tombes

D’Iseut et de Tristan,

Ils l’ont coupé.

Pour notre bien

Ils ont muré les vieillards

Dans une solitude au goût de cendre.

Ne se présentaient plus

Devant les vieillards

Que des ombres sans peau

Que des mains couvertes de latex

Des visages mis en sac.

Mais c’est pour notre bien à tous

Que ce cauchemar a été traversé.

Pour notre bien

Les enfants ont appris

A craindre leurs semblables.

Dans les squares,

Il fallait jouer seul.

Il fallait jouer chacun dans son cercle.

Oui : les cercles étaient inscrits sur le sol

Et chaque enfant,

Pour notre bien,

Devait s’inscrire dans le cercle

Et ne pas en sortir.

Mais c’est vraiment pour notre bien à tous

Que ces souffrances ont été endurées.

Pour notre bien

Ils ont joué à nous épier.

Un jour, pour notre bien,

Ils ont envoyé un drone

Se ficher au-dessus de la tête d’une femme,

Qui s’était assise, seule,

Dans le jardin du Carrousel.

Pour notre bien,

La machine donnait l’ordre à la femme de partir,

Elle devait se lever,

Car que faisait-elle assise,

Avait-elle perdu l’esprit,

D’être seule assise,

Dans ce jardin,

A la tombée de la nuit.

Et c’est pour notre bien

Que la femme a dû déguerpir.

Pour notre bien,

Ils avaient vidé les rues de toute vie.

Les villes étaient mortes,

Et pour notre bien

Certains diffusaient ces images de fin du monde,

Et trouvaient belles

Les villes sans humains.

Pour notre bien,

Ils m’ont rendue malade de désespoir,

De ne plus voir la beauté des visages,

La beauté de leurs lignes,

Menton, joues, nez, rides, ossatures,

Lignes de fuite,

Horizon,

Lèvres, couleurs subtiles,

Jolies dents,

Nez dérangeant,

Mais cachez cette bouche que nous ne saurions voir !

Car pour notre bien,

La bouche est devenue obscène,

Sourire est impossible,

Il apparaît même que chanter,

Pour notre bien,

N’est plus de saison.

Pour notre bien,

Ils imposent beaucoup de règles

A respecter par tous,

Partout,

Et qui changent souvent.

Mais c’est vraiment pour notre bien

Car se reposer

Se détendre

Laisser aller sa tête un moment contre une épaule

Serait se relâcher ;

Pour notre bien,

Le qui-vive est préférable.

Ce petit creux paisible que tu chéris

Pour notre bien

Abandonne-le.

Pour notre bien

Ils ont cadenassé

La nuit,

Empêché les chats noirs de sortir.

Pour notre bien,

Ils ont déclaré

Qu’il faut croire Candide,

Et laisser là Voltaire.

Pour notre bien

Ils ont dessiné

Une ligne très nette

De fracture entre ton voisin

Et toi.

Garde-toi de fréquenter

Qui tu ne peux pas fréquenter

Pour notre bien,

Prends garde à tes propos,

Et prends garde à tes pas.

Pour notre bien,

Voici que maintenant

Tu me surveilles

Je te surveille

Et sûrement

Il sera bon demain

De nous déchirer

A belles dents

Pour notre bien.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.