Pour notre bien
A Monsieur Edouard Philippe
Pour notre bien
Ils nous ont enfermés.
Ils ont dit que les liens
Que nous avions patiemment tissés
Nous menaçaient.
Le lierre qui pousse
Entre les tombes
D’Iseut et de Tristan,
Ils l’ont coupé.
Pour notre bien
Ils ont muré les vieillards
Dans une solitude au goût de cendre.
Ne se présentaient plus
Devant les vieillards
Que des ombres sans peau
Que des mains couvertes de latex
Des visages mis en sac.
Mais c’est pour notre bien à tous
Que ce cauchemar a été traversé.
Pour notre bien
Les enfants ont appris
A craindre leurs semblables.
Dans les squares,
Il fallait jouer seul.
Il fallait jouer chacun dans son cercle.
Oui : les cercles étaient inscrits sur le sol
Et chaque enfant,
Pour notre bien,
Devait s’inscrire dans le cercle
Et ne pas en sortir.
Mais c’est vraiment pour notre bien à tous
Que ces souffrances ont été endurées.
Pour notre bien
Ils ont joué à nous épier.
Un jour, pour notre bien,
Ils ont envoyé un drone
Se ficher au-dessus de la tête d’une femme,
Qui s’était assise, seule,
Dans le jardin du Carrousel.
Pour notre bien,
La machine donnait l’ordre à la femme de partir,
Elle devait se lever,
Car que faisait-elle assise,
Avait-elle perdu l’esprit,
D’être seule assise,
Dans ce jardin,
A la tombée de la nuit.
Et c’est pour notre bien
Que la femme a dû déguerpir.
Pour notre bien,
Ils avaient vidé les rues de toute vie.
Les villes étaient mortes,
Et pour notre bien
Certains diffusaient ces images de fin du monde,
Et trouvaient belles
Les villes sans humains.
Pour notre bien,
Ils m’ont rendue malade de désespoir,
De ne plus voir la beauté des visages,
La beauté de leurs lignes,
Menton, joues, nez, rides, ossatures,
Lignes de fuite,
Horizon,
Lèvres, couleurs subtiles,
Jolies dents,
Nez dérangeant,
Mais cachez cette bouche que nous ne saurions voir !
Car pour notre bien,
La bouche est devenue obscène,
Sourire est impossible,
Il apparaît même que chanter,
Pour notre bien,
N’est plus de saison.
Pour notre bien,
Ils imposent beaucoup de règles
A respecter par tous,
Partout,
Et qui changent souvent.
Mais c’est vraiment pour notre bien
Car se reposer
Se détendre
Laisser aller sa tête un moment contre une épaule
Serait se relâcher ;
Pour notre bien,
Le qui-vive est préférable.
Ce petit creux paisible que tu chéris
Pour notre bien
Abandonne-le.
Pour notre bien
Ils ont cadenassé
La nuit,
Empêché les chats noirs de sortir.
Pour notre bien,
Ils ont déclaré
Qu’il faut croire Candide,
Et laisser là Voltaire.
Pour notre bien
Ils ont dessiné
Une ligne très nette
De fracture entre ton voisin
Et toi.
Garde-toi de fréquenter
Qui tu ne peux pas fréquenter
Pour notre bien,
Prends garde à tes propos,
Et prends garde à tes pas.
Pour notre bien,
Voici que maintenant
Tu me surveilles
Je te surveille
Et sûrement
Il sera bon demain
De nous déchirer
A belles dents
Pour notre bien.