Laure-Meriem Rouvier

Journaliste

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 novembre 2025

Laure-Meriem Rouvier

Journaliste

Abonné·e de Mediapart

Journal d'une précaire, épisode 3 : le transport scolaire

En France, l’instruction est obligatoire et gratuite. Enfin dans les mots. Pour se rendre à l’école, les enfants dans nos campagnes prennent le bus et jusqu’à présent, le transport pour se rendre au collège était gratuit. Mais, le Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes en a décidé autrement. Coût : 140 euros !

Laure-Meriem Rouvier

Journaliste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Au mois de mai, les parents d’élèves apprenions que le bus que prennent nos ados pour aller étudier avec joie au collège, aller devenir payant. Et pas qu’un peu : 140 euros pour l’année, sans condition de revenus. Jusqu’à présent, seul le transport pour le lycée était payant. On pourrait y voir une corrélation entre l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, sa gratuité et le fait de ne pas payer pour s’y rendre. Aujourd’hui, cela ne tient plus. Il faut payer pour apprendre !

L’argument est qu’avec cet abonnement, les enfants pourront se rendre partout dans la région, sans payer davantage. C’est vrai que les gamins de 11 ans, vont aller seuls à Lyon faire du shopping ou à l’opéra. En plus, un enfant de moins de 12 ans ne peut pas prendre le train sans accompagnement. Et même si cela peut arriver, les trajets ne coûteront que très rarement 140 euros pour l’année.

Dans ma région, un million de personnes vit sous le seuil de pauvreté, une famille mono-parentale sur quatre et mon département, la Drôme, fait partie des plus touchés (source Insee). Pour tous ces citoyen.nes, 140 euros à rajouter au budget, c’est une somme. Même s’ils se sont montrés grands seigneurs (ou saigneurs) en proposant un paiement en trois fois. Imaginez une famille à 2000 euros avec deux enfants scolarisés au collège, il faut sortir 240 euros. C’est très très compliqué !

Les enfants payent les dîners

Quand nous avons reçu le courrier nous annonçant la nouvelle, une mobilisation s’est mise en place. Enfin pas tout de suite, car il fallait aussi gérer l’augmentation des effectifs dans les classes, la baisse du nombre de profs, des enfants avec des notifications Segpa qui n’avaient pas de place à la rentrée. Bref, des trucs de tous les jours.

Trois semaines plus tard, je décide d’appeler le service transport de la Région, pour leur demander la raison de ce changement. La conseillère me répond du tacotac : « Mais vous savez combien coûte le transport d’un enfant ? 1200 euros par an ». Je réponds : « Vous savez combien coûte un dîner des sommet de Wauquiez ? 100 000 euros ». Un invité pour une soirée, équivaut à un élève. « Mais, ce n’est pas la même chose », assume cette fonctionnaire qui préfère fayoter que de voir une réalité sociale. « Je préférerais que le président de Région fasse des économies sur ses cocktails et autre repas de luxe et que les enfants puissent aller à l’école gratuitement », dis-je un poil énervé. Et puis, je me suis permis de lui rappeler que dans service public, il y a service et que c’est à ça que servent nos impôts. J’imagine que cette fonctionnaire avait oublié cette notion, pourtant au coeur de son métier. Tout le monde l’a donc compris, l’échange n’a pas été très constructif. Des courriers ont été envoyés et tous sont restés lettre morte. Ils ne vont pas répondre aux gueux, non plus !

Je reste quand même idéaliste et me dis qu’ils ont dû mettre en place quelque chose pour aider les plus précaires. Je cherche et je ne tombe pas sur une aide selon les revenus, mais selon la distance entre le lieu d’habitation et l’arrêt du bus. Déjà pour trouver ce dispositif, il faut être très curieux et quand on arrive à trouver les détails, après quelques coups de fil au service transport, il est indiqué que l’aide s’applique si on habite à plus de 3 km de l’arrêt. C’est mon cas, je fais donc une demande au mois de juillet. Se passe cinq mois et je relance pour savoir où en est mon dossier. J’apprends en réponse à mon mel que mon dossier sera traité en fin d’année scolaire, pour être sûr qu’il n’y a pas eu de déménagement, ni de changement d’établissement. On ne sait jamais, s’il y avait des parents fraudeurs. Même pour cette aide, il faut avoir de la trésorerie. D’ailleurs, elle n’est indexée sur aucun revenu. Si on habite dans un mas qui vaut des millions mais, que le bus est à plus de 3 km, la région vous remboursera 0,30 € par kilomètre supplémentaire.

Avec ce nouveau dispositif, le Région a affaibli la capacité des plus précaires à scolariser leurs enfants dans de bonnes conditions (faut choisir entre la bouffe ou le transport). Encore une fois, les plus fragiles financièrement doivent subvenir aux besoins des plus aisés et leur payer des dîners à plus de 1000 euros.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.