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En bordure de Cox's Bazar, au Bangladesh, le site d'expansion de Kuputalong-Balukhali est le plus grand camp de réfugiés du monde et est habité principalement par des Rohingyas. Les Rohingyas sont un groupe ethnique de confession musulmane qui vivait principalement dans l'État de Rakhine, au Myanmar, où ils ont été privés de leurs droits de citoyenneté depuis 1982. À partir d'octobre 2016, les nationalistes bouddhistes de Rakhine, puis l'armée birmane, ont lancé une campagne brutale de nettoyage ethnique et de déportation forcée, qui a poussé près d'un million de Rohingyas à fuir pour sauver leur vie en traversant la rivière Naf pour trouver refuge au Bangladesh.
Une enquête à la Cour internationale de justice (CIJ) sur les objections préliminaires soulevées par le Myanmar en application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est en cours. À l'heure actuelle, l'affaire de la CIJ a été autorisée à se poursuivre, la Gambie engageant des poursuites contre la junte militaire birmane pour le génocide du peuple rohingya. Pour en savoir plus sur les politiques d'inclusion et d'exclusion au Myanmar, lisez le numéro spécial sur les Rohingyas de l'Independant Journal of Burma Studies (en anglais).


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Six ans plus tard, la vie est dure et incertaine pour la plupart des personnes piégées dans ces camps peu sûrs et pour les nombreux autres réfugiés rohingyas déplacés à travers le monde. Afin de donner un sens et sensibiliser à leur sort, une équipe basée dans le camp de Balukhali a créé "Rohingyatographer", un magazine de photographie qui documente leur expérience de réfugiés.
Selon leurs propres termes, Rohingyatographer permet à la communauté rohingya d'être connue non seulement pour sa marginalisation mais aussi pour sa "créativité, son talent et ses aspirations pour l'avenir".
Le magazine et sa plateforme soulignent également l'importance de l'utilisation de la photographie et de l'art comme outils éducatifs pour les Rohingyas, car plus de la moitié de la population réfugiée est constituée d'enfants. Leur donner les moyens de raconter leur histoire leur permet de s'exprimer et d'acquérir une série d'autres compétences.
Beaucoup d'entre eux ont également participé à la création du Centre de la mémoire culturelle rohingya, une institution située au cœur des camps, qui se consacre à la conservation du patrimoine de la communauté et à l'éducation des jeunes nés en dehors de l'État de Rakhine sur leur culture et leur histoire.

Née dans la région de l'Irrawaddy au Myanmar, Shahida Win a d'abord travaillé comme interprète pour Médecins sans frontières (MSF), avant de suivre sa passion pour le journalisme. Depuis qu'elle a fui le Myanmar en août 2017, elle se consacre au bénévolat pour MSF et d'autres ONG et à la photographie et poésie pour Rohingyatographer.
- Shahida, pouvez-vous décrire le travail que vous effectuez pour Rohingyatographer ?
Je suis l'une des dix photographes du magazine Rohingyatographer numéro 1, été 2022, et l'une des deux femmes photographes présentées. Neuf de mes photos figurent dans le magazine.
- J'ai lu que, malgré votre travail d'interprète auprès d'un médecin, vous avez suivi votre passion pour le journalisme après avoir obtenu votre diplôme. Y a-t-il un événement ou un sujet particulier qui a éveillé cette passion ? Pouvez-vous également me dire pourquoi vous pensez que le journalisme est important ?

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Je travaille actuellement avec des organisations humanitaires dans le camp. Avec elles, je prends des photos, ce qui n'est pas ma seule passion - j'utilise aussi ma voix pour défendre ma communauté, par exemple en soutenant les droits des femmes dans le camp et en défendant les droits des enfants qui sont privés d'accès à l'éducation formelle. Tous les matins, je vais travailler au bureau d'une organisation humanitaire dans le camp, et en chemin je prends des photos d'enfants, de femmes et d'hommes avec mon téléphone. Je recherche les histoires de ces personnes. Je les motive à exprimer eux-mêmes leurs difficultés et leurs rêves. Je les écoute et je les encourage à ne pas perdre espoir, car nous sommes ici avec eux pour partager leurs difficultés, leurs espoirs et leurs rêves avec le monde entier par le biais de la photographie et des récits. Être une femme photographe est très rare dans la communauté rohingya. Je suis très encouragée par mes amis et mes collègues à poursuivre ma passion pour inspirer d'autres femmes de la communauté. Je suis également très motivée par le fait d'avoir eu la chance de contribuer au premier numéro du "Rohingyatographer Magazine".
- Quels sont les principaux problèmes auxquels doivent faire face les femmes rohingyas ?
Plus de 60 % des réfugiés rohingyas sont des enfants et des femmes. Presque toutes les filles adultes du camp

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sont coincées dans cette crise des réfugiés et n'ont pas accès à l'école. En raison de ce manque d'accès à l'éducation, elles n'ont pas la liberté de s'exprimer ou de développer le droit de prendre des décisions pour leur avenir.
- Pouvez-vous décrire ce qu'est la vie d'une femme vivant dans un camp de réfugiés ?
Les femmes rohingyas vivant dans le camp de réfugiés mènent une vie dépendante des autres pour tous leurs besoins. Elles n'ont pas le droit de dénoncer les abus, le harcèlement et la discrimination dont elles sont victimes chaque jour. La communauté rohingya risque de perdre une nouvelle génération, principalement parce que le monde des femmes est dans l'obscurité. Le monde des femmes doit être éclairé par l'éducation.
- Quel est votre objectif personnel ?

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Je veux devenir poète et photographe professionnel et apporter la justice et les droits à ma communauté. Je sais que je ne peux pas changer le monde entier en écrivant des poèmes et en faisant de la photographie, mais je ne peux pas non plus continuer à vivre sans voix puisque ma communauté et moi-même avons été victimes d'un génocide et que justice ne nous a toujours pas été rendue.

- En attendant, nous devons continuer à élever la voix contre l'injustice et à demander le rétablissement de nos droits, des droits que nous méritons comme les autres personnes dans le monde. Mon objectif est donc d'être l'une des voix de ma communauté vulnérable et opprimée. Je n'abandonnerai jamais. Par le biais de la poésie et de la photographie, je continuerai à défendre les intérêts de ma communauté et à militer pour elle jusqu'à mon dernier souffle. Nos voix doivent être entendues.
Merci beaucoup, Shahida.
Cette interview a été produite par Sian Mc Allister du collectif Visual Rebellion Myanmar qui a publié la version initiale en anglais. Elle est aussi disponible en birman sur le site de My Constitution (Institute for Democracy and Electoral Assistance). Les photos ont été utilisées avec l'aimable autorisation de Rohingyatographer.
Vous pouvez soutenir l'équipe de Rohingyatographer en vous informant sur leurs projets et en achetant leur magazine.
