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Billet de blog 2 novembre 2022

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Timor-Oriental : les enjeux d'une adhésion à l'ASEAN

Bien que géographiquement situé en Asie du Sud-Est, le Timor-Leste reste le seul pays de la région à ne pas faire partie de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). Cette analyse porte sur les matrices historiques qui ne lui ont pas encore permis d'intégrer l'ASEAN, tout en analysant la stratégie de la nouvelle administration Horta pour tenter d'y faire entrer le pays.

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Illustration 1
© Dok. Jindal Global University

Lors des élections d'avril 2022 au Timor-Oriental, Jose Ramos-Horta est sorti victorieux face à l'ancien président Francisco "Lu-Olo" Guterre dans les urnes. Cette petite île située à l'est de l'Indonésie a réussi à développer une structure démocratique depuis la fin de l'occupation indonésienne en 1999 et est considéré comme le seul pays "libre" d'Asie du Sud-Est. Pourtant, actuellement, seul le Timor-Oriental reste exclu de l'ASEAN. 

Les critères d'entrée à l'ASEAN

Après la déclaration de Bangkok de l'ASEAN de 1967, signée par les cinq membres fondateurs (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande), d'autres pays ont rejoint l'ASEAN au fil des ans : Brunei en 1984, Vietnam en 1995, Laos et Myanmar en 1997 et Cambodge en 1999.

Selon la Charte de l'ASEAN de 2007, et en particulier l'article 6 (2), les critères pour devenir membre sont les suivants :

  • Être situé géographiquement et régionalement en Asie du Sud-Est
  • Être reconnu par tous les membres de l'ASEAN
  • Être lié par la Constitution de l'ASEAN
  • Avoir la capacité et la volonté de remplir les obligations liées à l'adhésion à l' ASEAN

En outre, le paragraphe 3 de l'article 6 précise que la décision finale d'intégrer un nouveau membre sera prise lors du sommet de l'ASEAN, sur recommandation du Conseil de coordination de l'ASEAN (ACC), formé par les représentants des ministres des Affaires étrangères des pays membres.

Ces critères ne sont entrés en vigueur qu'en 2008. Cela explique pourquoi pour des pays comme le Myanmar, le Laos et le Cambodge, qui ont connu des expériences politiques turbulentes, voire violentes et répressives à la fin des années 1990, le processus d'adhésion à l'ASEAN a été plus rapide et moins contraignant que pour le Timor-Oriental. Avant la Charte de l'ASEAN qui stipule plus précisément la procédure d'adhésion, ces pays ont pu avancer le simple critère d'être géographiquement situé en Asie du Sud-Est pour faire partie de l'ASEAN.

Illustration 2
© UN Women/Guilherme Valle


L'aspect économique doit également être pris en compte. En 2016, la Banque asiatique de développement (BAD) a stipulé que le Timor-Oriental devrait modifier son cadre juridico-légal afin de s'aligner sur le critère de l'article 6 /2 concernant les obligations dues par un nouveau membre de l'ASEAN (1). En 2015, seulement 1,6 % de ce cadre était conforme, et la BAD a estimé que le pays pourrait remplir ce critère à 50% en 2018. 

Le Timor-Oriental remplit les trois premiers critères de la Charte mais le quatrième critère de l'article 6, déjà reflété dans l'article 5, reste le principal obstacle, soit sa capacité à remplir les obligations liées à l'adhésion à l'ASEAN (2).

Entre la fin du pétrole et l'influence chinoise

Illustration 3
International Day of Peace © UN Photo/Martine Perret

Sur le plan politique, le Timor-Oriental représente un exemple de démocratie à part entière en Asie. Le plus jeune pays d'Asie du sud-est, devenu officiellement indépendant en 2002, est peuplé de 1,3 million d'habitants, à grande majorité de confession catholique, qui y parlent le tetum, portugais et indonésien. C'est le seul pays à être considéré libre par l'organisation Freedom House en Asie du Sud-Est, avec un indice de 72 / 100 en 2022. En outre, les dernières élections dans le pays se sont déroulées sans aucun problème ni perturbation, de manière libre, plurielle et équitable. Ramos-Horta a reçu le prix Nobel de la paix en 1996 pour ses efforts visant à faciliter la résolution du conflit au Timor-Oriental et en 2008, il a survécu à une tentative d'assassinat. M. Ramos-Horta, 72 ans, a déclaré qu'il était sorti de sa retraite pour se présenter une nouvelle fois parce qu'il estimait que le président sortant avait violé la Constitution.

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Second Village Elections in 2009 © UN Photo/Martine Perret


Ce niveau de démocratie a été atteint malgré des siècles de colonisation portugaise (1596-1975) puis la brutale occupation indonésienne (1975-1999) qui a débuté un mois après l'indépendance lorsque l'Indonésie a annexé unilatéralement le Timor. Les deux épisodes de colonisation successifs ont provoqué la mort de centaines de milliers de personnes. Les Nations Unies ont organisé un référendum d’autodétermination en 1999 qui conduisit à la pleine indépendance en 2002.
Toutefois, l'économie du pays est encore fragile. Le Timor-Oriental reste l'un des pays de la région avec une économie faible et un taux de pauvreté élevé, bien qu'en baisse dans les dernières années. En outre, le niveau de développement humain reste faible, bien qu'en légère augmentation. La Banque mondiale a déclaré que 42 % de la population y vit encore sous le seuil de pauvreté et 70% de la population est engagée dans le secteur agricole.

France Diplomatie rappelle que "le Timor-oriental est l’un des pays les plus dépendants des hydrocarbures au monde. Le pays figure parmi les pays moyennement avancés grâce à des recettes pétrolières qui lui ont permis de générer une croissance économique forte et une politique ambitieuse en matière d’infrastructures. Toutefois, les dernières évolutions montrent la fragilité d’une croissance liée essentiellement à la manne pétrolière, peu diversifiée et donc soumise aux aléas de l’économie mondiale.  La production de pétrole à Bayu-Undan (principal champ pétrolier du pays) étant susceptible de s’achever dans quelques années, cette situation nécessite une gestion prudente du Fonds pétrolier qui alimente le budget annuel." A court-terme, il est urgent de travailler à des stratégies de redistribution des bénéfices du pétrole au profit de la population et à moyen-terme, d'investir dans d'autres secteurs avant que les réserves ne s'épuisent. Le pays reste dépendant de l’aide internationale pour sa croissance économique et son développement humain, tandis que les activités non-pétrolifères ne représentent que 21% du PIB à l'heure actuelle.

Illustration 5
Planting Mangroves © Yuichi Ishida / UNDP Timor-Leste

Ces réalités, selon la façon dont elles évolueront, peuvent affecter la stabilité politique du pays. Dans ce contexte, l'adhésion à l'ASEAN reste la priorité absolue du nouveau gouvernement Horta, qui a déclaré qu'elle était cruciale pour le Timor-Oriental. Le pays est déjà un État "observateur" de l'ASEAN depuis 2002, a rejoint le Forum régional de l'ASEAN (FRA) en 2005 et le Traité d'amitié et de coopération (TAC) en 2007.

En 2011, le Timor-Oriental a officiellement déposé sa candidature d'adhésion, qui a commencé à être examiné par l'organisation. En 2013, tous les membres de l'ASEAN ont soutenu l'intégration du Timor-Oriental, qui a ensuite été bloquée parce que le pays ne remplissait pas pleinement le dernier critère de la Charte.

Un autre facteur déterminant est sa relation avec la Chine, qui a été l'un des premiers pays à reconnaître le Timor-Oriental dès son indépendance. Cette collaboration se traduit par des investissements chinois dans ses infrastructures routières, bâtiments publics et un soutien militaire par un programme de modernisation de l'armée timoraise.

Illustration 6
© ILO / F. Lim (2016)

En outre, depuis que le Timor-Leste est devenu membre de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB) dirigée par la Chine en 2017, des projets relevant de l'initiative chinoise "Belt and Road" (lire l'analyse Mediapart du projet Ceinture et Route) ont commencé à y atterrir. Cette relation étroite avec la Chine, que le gouvernement Horta a annoncé vouloir renforcer pourrait ralentir son adhésion à l'ASEAN, dont certains membres pourraient craindre l'influence de la Chine sur le Timor-Oriental.

L'adhésion à l'ASEAN est essentielle pour stimuler et diversifier l'économie timoraise. Sur le plan économique, le pays entretient déjà des relations étroites avec les membres de l'ASEAN, soit 95 millions de dollars en volume d'exportations, et plus particulièrement  l'Indonésie, Singapour, le Vietnam, la Malaisie et la Thaïlande, avec lesquels le Timor-Oriental a enregistré deux milliards de dollars d'importations entre 2016 et 2019.  Grâce à l'ASEAN, le Timor-Oriental pourrait faire partie d'un bloc politique et d'un marché fort, tant sur le plan économique que diplomatique. La création d'une communauté de l'ASEAN, fondée sur la stabilité économique, la sécurité et l'intégration dans la région, ne peut faire abstraction du Timor-Oriental. 

Le 11 novembre 2022, les dirigeants de l’ASEAN réunis à Phnom Penh au Cambodge ont convenu d’accepter “en principe” le Timor-Leste en tant que 11e membre. Ils ont consenti à octroyer un statut d’observateur au Timor-Leste, et à autoriser sa participation à toutes les réunions de l’ASEAN, y compris aux plénières du sommet. Ils se sont également accordés à formaliser une feuille de route objective fondée sur des critères pour l’adhésion à part entière du Timor-Leste.  

Bibliographie

(1) - Banque asiatique de développement (BAD), 2016, République démocratique du Timor-Leste : Capacité d'intégration économique régionale (cofinancé par le Fonds de coopération et d'intégration régionale).

(2) - Windraskinasih M., Afriansyah A., 2017, The Struggle of Becoming the 11th Member State of ASEAN : Timor Leste's Case. Journal of Legal Studies V.5 No.1

Cet article a été co-écrit par Aniello Iannone, maître de conférences et chercheur à l'université de Diponegoro, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie et de la Malaisie, et Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research: A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé en mai 2022 par Alter-Sea and Shape-Sea.  

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Capoeira Practice on Dili Beach © UN Photo/Martine Perret