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En juin 2025, l'OIT a déclenché des sanctions au titre de l'article 33 contre le Myanmar [nom officiel de la Birmanie depuis 1989 sur décision de la junte au pouvoir] pour violation de la convention n° 87 - liberté syndicale et protection du droit syndical - et de la convention n° 29 - travail forcé. C'était la deuxième fois que cette mesure était utilisée contre le Myanmar, après la première occurrence sous le régime militaire de Than Shwe.
En 2000, l'OIT a adopté une résolution en vertu de l'article 33 de sa constitution pour lutter contre le recours généralisé au travail forcé au Myanmar, marquant la première fois que cet article était invoqué contre un État membre. Khin Nyunt, alors chef des services de renseignement et figure clé du régime militaire du Myanmar, était l'un des principaux représentants du pays dans les discussions avec l'OIT avant d'être purgé quelques années plus tard.
L'article 33 habilite les États membres de l'OIT à revoir leurs relations avec les gouvernements fautifs et à envisager des mesures telles que la suspension de la coopération, des investissements ou des échanges commerciaux. Bien que l'article 33 n'impose pas automatiquement des interdictions commerciales, les dirigeants syndicaux locaux l'ont décrit comme une mesure extrêmement sévère au sein du système de l'OIT, qui, selon eux, risque de nuire davantage aux travailleurs qu'aux autorités. Les travailleurs disent comprendre pourquoi le Myanmar a été sanctionné, mais affirment que cette mesure risque d'aggraver leurs difficultés économiques plutôt que de faire pression sur la junte.
Des conditions de travail indignes après le coup d'État
Les travailleurs et travailleuses, la plupart des employés étant des femmes, des usines CMP (cut-make-pack) témoignent d'une forte détérioration des droits du travail et de la sécurité sur le lieu de travail depuis le coup d'État en 2021. Bas salaires, heures supplémentaires obligatoires et horaires excessifs. Beaucoup évoquent des conditions dangereuses, dans des endroits non ventilés et insalubres, des restrictions à la formation de syndicats et des abus verbaux ou physiques de la part de leurs supérieurs. Certains rapportent avoir été contraints de signer des documents vierges, s'être vu refuser des congés ou avoir été mutés à titre de sanction pour avoir exprimé leur opinion.
Le rapport Stitches of Struggle and Hope (“Coutures de lutte et d'espoir”) révèle que 55 % des travailleurs interrogés ont déclaré travailler en moyenne 12 heures par jour, maid jusqu'à 21 heures dans les cas extrêmes, 62 % ont subi des blessures physiques et 60 % ont déclaré souffrir de détresse psychologique liée au travail. Ces conclusions concordent avec ce que les organisateurs locaux décrivent comme la période la plus répressive pour la main-d'œuvre birmane depuis des décennies, en plus d’une pauvreté urbaine record dans le centre économique du pays.
Pourquoi l'article 33 a-t-il été invoqué ?
L'OIT a justifié sa décision en invoquant les violations persistantes des conventions 29 et 87 par le Myanmar. En coordination avec les syndicats en exil et les représentants des employeurs, le gouvernement d'union nationale (NUG), formé en réponse au coup d’Etat par des parlementaires déposés, a salué cette initiative comme « une victoire du peuple », appelant les États membres de l'OIT à revoir leur coopération avec la junte, à suspendre les transferts de carburant aviation, d'armes et de financements qui soutiennent les opérations militaires, et à tenir les acteurs publics et privés responsables du travail forcé.
Pourtant, les travailleurs sur le terrain affirment qu'ils n'ont pas été consultés. Ils soutiennent que cette décision a été prise loin de la réalité à laquelle ils sont confrontés, sans avoir appréhendé comment les sanctions pourraient aggraver leur vulnérabilité. Les médias pro-régime, tels que le Global New Light of Myanmar, font état d'environ 700 usines de confection dans tout le pays et de 700 000 travailleurs rien qu'à Yangon. La junte affirme également que les exportations de vêtements ont généré un profit d’environ cinq milliards de dollars américains par an entre 2021 et 2024.
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Réaction des travailleurs et des syndicats
Les représentants syndicaux soulignent que ces chiffres, bien que probablement exagérés, illustrent à quel point la junte est devenue dépendante des exportations de vêtements – et pourquoi ce sont les travailleurs plutôt que les généraux qui subissent le plus lourdement les sanctions.
Ma Zin Mar, dirigeante syndicale dans le quartier industriel de Hlaing Thar Yar, a exprimé sa frustration face à cette politique : « Si nous soutenons l'article 33, dites-nous clairement combien de temps il faudra pour renverser la junte. Qui peut le promettre ? Vous ne pouvez pas demander à 700 000 travailleurs qui dépendent de ce secteur d'absorber ce choc. » U Tun Wai Nyunt, militant syndicaliste chevronné qui milite depuis plus de vingt ans, a déclaré : « Fermer les usines ne nuit en rien aux généraux, mais détruit les moyens de subsistance des travailleurs. Ciblez leurs revenus, pas les nôtres. » Il a ajouté que les mesures punitives radicales « ne favorisent ni la démocratie, ni la paix, ni le fédéralisme » et a averti que les mesures qui nuisent à la classe ouvrière risquent de compromettre la révolution dans son ensemble.
Une enquête du CCTU (Comité de coopération des syndicats) aurait révélé que 98 % des personnes interrogées s'opposaient à la fermeture des usines, invoquant des besoins de survie.
Des problèmes de représentation et de consultation
L'OIT fonctionne selon un système tripartite qui comprend des représentants des travailleurs, des employeurs et des gouvernements. Le NUG et la junte prétendent tous deux être les institutions légitimes contrôlant ces structures. Lors de la 113e Conférence internationale du travail (2025), l'OIT a reconnu la délégation du NUG plutôt que celle de la junte, bien que les deux aient désigné la Confédération des syndicats du Myanmar (CTUM) comme représentant des travailleurs.
U Tun Wai Nyunt a critiqué ce processus : « Les représentants devraient être choisis démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes. Comment des décisions concernant les droits du travail au Myanmar peuvent-elles être prises à Genève sans consulter les travailleurs ici ? »
Ko Kane, un dirigeant syndical d'usine âgé de 25 ans, a fait écho à cette préoccupation : « L'OIT nous semble très éloignée. Même nous, les dirigeants syndicaux, ne savons pas si elle a encore un bureau ici. Beaucoup de travailleurs n'ont jamais entendu parler de l'OIT. » Il a ajouté que les travailleurs n'avaient pas eu la possibilité d'exprimer leur opinion avant que la décision relative à l'article 33 ne soit prise.
Complicité des employeurs et répression syndicale
Ko Kane a décrit comment les efforts visant à créer un syndicat légal dans son usine ont été sabotés. La liste des travailleurs soutenant cette initiative a été divulguée à la direction, ce qui a donné lieu à des intimidations, des heures supplémentaires forcées et des licenciements. Lui-même a été muté à un poste sans rapport avec la construction, puis contraint de coopérer avec la direction ou de démissionner : « Passer directement à l'article 33, c'est comme brûler la maison parce qu’il y a une souris. »
U Tun Wai Nyunt a souligné que les employeurs partagent la responsabilité des abus : « Ce n'est pas seulement le gouvernement qui bloque les syndicats, de nombreux employeurs y participent eux-mêmes. L'OIT devrait impliquer non seulement les autorités, mais aussi les propriétaires d'usines et les représentants des marques, et leur demander des comptes. »
Leurs témoignages mettent en évidence une tendance à la répression conjointe par les acteurs étatiques et privés.
Les leçons du précédent de 2000
La première expérience du Myanmar avec l'article 33 en 2000 offre un parallèle édifiant. Malgré cette mesure, le régime dictatorial du Conseil d'État pour la paix et le développement (SPDC) dirigé par Than Shwe et Khin Nyunt est resté au pouvoir. Des usines ont fermé, des travailleurs ont perdu leur emploi et la junte a ensuite consolidé son contrôle grâce à la Constitution de 2008, qui réserve 25 % des sièges parlementaires aux militaires, et aux élections de 2010.
« Nous n'avons jamais dit de ne pas agir contre la junte », a déclaré U Tun Wai Nyunt. « Nous avons seulement dit : ne prenez pas de mesures qui nuisent à la population. Attaquez-vous aux véritables sources de revenus de la junte. » Il a cité les industries extractives comme exemple : « Personne ne s'est opposé au départ de Total ou d'autres géants pétroliers, mais ces entreprises n'ont jamais employé notre population. Elles se sont contentées de piller nos ressources. »
Pour lui et beaucoup d'autres, des sanctions efficaces devraient cibler les sources de revenus réelles de la junte, et non les industries qui font vivre les familles ordinaires.
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Réactions internationales et contexte commercial
En juillet 2025, l'administration Donald Trump a annoncé un taux de droits de douane de 40 % sur les importations en provenance du Myanmar, une mesure que la junte a saluée comme un signe de semi-normalisation après des années de sanctions quasi totales. Ce taux n'a pas rétabli les avantages du système de préférences généralisées (SPG), mais a permis aux exportateurs du Myanmar, en particulier dans le secteur de l'habillement, d'opérer dans le cadre d'un tarif légalement défini plutôt que d'être soumis à des restrictions d'embargo totales.
Ce changement a permis au régime de remporter une victoire en matière de relations publiques et d'ouvrir une nouvelle voie pour les recettes d'exportation, même si les sanctions contre les conglomérats liés à l'armée ont été maintenues. Elle a également offert aux importateurs occidentaux un moyen légal de continuer à s'approvisionner au Myanmar sans enfreindre les sanctions, assouplissant ainsi l'étranglement économique qui limitait auparavant les échanges commerciaux.
Les analystes régionaux notent que les États-Unis restent la quatrième destination d'exportation de vêtements du Myanmar. La junte a utilisé l'ajustement tarifaire pour projeter une image de reprise économique et de légitimité, bien que les travailleurs affirment que cela n'a pas rétabli la sécurité de l'emploi ni amélioré les salaires. Les dirigeants syndicaux ont également fait référence aux discussions en cours avec l'Union européenne, le plus grand marché d'exportation de vêtements du Myanmar.
Ils pensent que l'UE évitera un désengagement total comme celui de 2000, optant plutôt pour des mesures de diligence raisonnable ciblées exigeant des marques qu'elles rendent compte des conditions de travail dans leurs chaînes d'approvisionnement. Des marques comme Primark and Decathlon poursuivent leurs commandes de matériaux sources au Myanmar, mais l'industrie textile du Myanmar continue de dépendre en grande partie des investisseurs de Taïwan, de Chine, de Corée du Sud et de Macao, dont les réactions à la décision relative à l'article 33 restent incertaines.
L'invocation de l'article 33 par l'OIT visait à tenir la junte birmane responsable des violations systématiques des droits du travail. Pourtant, parmi les travailleurs du pays, cette mesure est accueillie avec ambivalence, entre espoir de justice et crainte d'un effondrement économique. Les travailleurs comme Ma Zin Mar insistent sans cesse sur une exigence : un engagement direct. « Vous ne pouvez pas voir d'en haut. Descendez, et vous comprendrez ce qui se passe entre les travailleurs et les employeurs. »
Le dilemme reste entier : comment punir un régime sans punir son peuple ?
Cet article a été publié initialement par Josephine Kyi et Laure Siegel en anglais.